Antoine Flandrin
Antoine Flandrin
Space debris GIF. European Space Agency.
Aujourd’hui, à peu près 8 500 tonnes de fragments de toutes tailles tournent au-dessus de nos têtes dans la banlieue terrestre.
“S’envoyer en l’air”, au propre comme au figuré, a toujours été un profond désir humain. Depuis l’Antiquité, à l’image d’Icare, nous cherchons à nous arracher à l’attraction terrestre, conquérir le ciel. Nous en rêvons la nuit, des écrivains imaginent des voyages dans la Lune, en 1487 Léonard de Vinci dessine des appareils volants. En 1783, le rêve devient réalité avec la première montgolfière. En 1890, un engin plus lourd que l’air décolle appelé “avion”, du latin avis, oiseau. En 1957, l’URSS met en orbite le satellite Spoutnik. Le 21 juillet 1969 l’astronaute Neil Amstrong foule le sol lunaire…Aujourd’hui, ce vieux rêve de l’humanité a engendré une puissante industrie spatiale militaire et civile…
Les “débris spatiaux”, morceaux de fusée, fragments de lanceur de satellite, bouts de sangle en métal n’ont encore tué personne, mais il s’en est fallu de peu. Le 22 janvier 1997, alors qu’elle se promenait dans un parc à Tulsa aux États-Unis, Lottie Williams a reçu sur l’épaule un débris métallique provenant vraisemblablement d’une fusée Delta II, un modèle de lanceur développé par la NASA dans les années 1990. Plus de peur que de mal, le poids était comparable à une canette de soda vide. Depuis, d’autres débris du ciel nous sont tombés sur la tête, faisant des dégâts importants: un morceau de SpaceX a détruit une maison au Mexique, un autre a dévasté une cabane en Indonésie, tandis qu’un morceau de Delta de 250 kg est tombé en Mongolie.
Ce phénomène préoccupe au plus haut point Christophe Bonnal, spécialiste des “Débris spatiaux” au Centre national d’études spatiales (CNES). Devant son bureau dans le XIIe à Paris trône une sphère en titane, lourde d’environ 50 kg. L’objet est tombé dans le jardin d’une fermière en Ouganda. Désarçonnée par cette découverte, la dame est allée le porter au shérif du village, qui l’a confiée à la police nationale. Passant de main en main, la sphère est enfin entrée en possession de la NASA qui a immédiatement reconnu son propriétaire. “C’était facile, il y avait écrit Ariane dessus”, glisse Christophe Bonnal.
Quelque 25.000 débris spatiaux de plus de 10 cm sont déjà retombés sur terre depuis la mise en orbite du premier satellite, le Spoutnik, en 1957. Par la suite, près de 4500 satellites ont été envoyés dans l’espace pour accomplir des missions essentielles pour nos modes de vie ici-bas: fournir des images pour la météorologie; aider les marins, les pilotes d’avions mais aussi les automobilistes dans leurs déplacements; transmettre les communications téléphoniques, des données ou des programmes télévisés...
“S’envoyer en l’air”, au propre comme au figuré, a toujours été un profond désir humain. Depuis l’Antiquité, à l’image d’Icare, nous cherchons à nous arracher à l’attraction terrestre, conquérir le ciel. Nous en rêvons la nuit, des écrivains imaginent des voyages dans la Lune, en 1487 Léonard de Vinci dessine des appareils volants. En 1783, le rêve devient réalité avec la première montgolfière. En 1890, un engin plus lourd que l’air décolle appelé “avion”, du latin avis, oiseau. En 1957, l’URSS met en orbite le satellite Spoutnik. Le 21 juillet 1969 l’astronaute Neil Amstrong foule le sol lunaire…Aujourd’hui, ce vieux rêve de l’humanité a engendré une puissante industrie spatiale militaire et civile…
Les “débris spatiaux”, morceaux de fusée, fragments de lanceur de satellite, bouts de sangle en métal n’ont encore tué personne, mais il s’en est fallu de peu. Le 22 janvier 1997, alors qu’elle se promenait dans un parc à Tulsa aux États-Unis, Lottie Williams a reçu sur l’épaule un débris métallique provenant vraisemblablement d’une fusée Delta II, un modèle de lanceur développé par la NASA dans les années 1990. Plus de peur que de mal, le poids était comparable à une canette de soda vide. Depuis, d’autres débris du ciel nous sont tombés sur la tête, faisant des dégâts importants: un morceau de SpaceX a détruit une maison au Mexique, un autre a dévasté une cabane en Indonésie, tandis qu’un morceau de Delta de 250 kg est tombé en Mongolie.
Ce phénomène préoccupe au plus haut point Christophe Bonnal, spécialiste des “Débris spatiaux” au Centre national d’études spatiales (CNES). Devant son bureau dans le XIIe à Paris trône une sphère en titane, lourde d’environ 50 kg. L’objet est tombé dans le jardin d’une fermière en Ouganda. Désarçonnée par cette découverte, la dame est allée le porter au shérif du village, qui l’a confiée à la police nationale. Passant de main en main, la sphère est enfin entrée en possession de la NASA qui a immédiatement reconnu son propriétaire. “C’était facile, il y avait écrit Ariane dessus”, glisse Christophe Bonnal.
Quelque 25.000 débris spatiaux de plus de 10 cm sont déjà retombés sur terre depuis la mise en orbite du premier satellite, le Spoutnik, en 1957. Par la suite, près de 4500 satellites ont été envoyés dans l’espace pour accomplir des missions essentielles pour nos modes de vie ici-bas: fournir des images pour la météorologie; aider les marins, les pilotes d’avions mais aussi les automobilistes dans leurs déplacements; transmettre les communications téléphoniques, des données ou des programmes télévisés...
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En 1986, l’étage abandonné d’Ariane encore plein de carburant explose en 750 morceaux.
En 1986, l’étage abandonné d’Ariane encore plein de carburant explose en 750 morceaux.
Comment ces débris retombent-ils sur terre? Le Spoutnik est un cas d’école: après avoir été mis en orbite, le satellite, petite boule de 84 kg, a fonctionné pendant 21 jours, avant de rentrer au bout de 92 jours dans l’atmosphère où il s’est engagé dans une spirale descendante. “Pourquoi? Parce que quelque soit l’altitude où on se trouve jusqu’à au moins 2000 km, il y a toujours un peu d’atmosphère”, explique Christophe Bonnal. “Or cette atmosphère freine les objets.”
Dans le cas de Spoutnik, aussi bien l’étage de la fusée de lancement, que le satellite et sa coiffe, sont progressivement descendus, et ce, de plus en plus vite. “A 100 km d’altitude, l’atmosphère devient tellement dense, que les objets brûlent pour se fragmenter en des centaines de morceaux. C’est ainsi que les débris de Spoutnik sont revenus sur la Terre”, détaille l’expert. Les problèmes ne s’arrêtent toutefois pas là. Certains satellites lancés vers des orbites moins basses peuvent mettre plus longtemps à redescendre. C’est le cas d’Explorer 1, premier satellite américain lancé en 1958, qui est toujours en orbite.
Un débris d’acier d’1 cm peut détruire un satellite.
C’est ainsi qu’au cours des soixante dernières années d’innombrables débris sont venus polluer l’espace. Aux vieux satellites usagés, étages ayant servi à les lancer et objets relatifs à la mission (coiffe protectrice ou sangle pour attacher un étage à un satellite), sont venus s’ajouter deux nouvelles sources de débris. La première, ce sont les fragments provoqués par les explosions spontanées. Exemple célèbre en février 1986 : après avoir lancé avec succès le satellite Spot, l’étage supérieur de la fusée Ariane 1 flotte ensuite, loin au-dessus de nos têtes, sans que plus personne ne pense à lui. Mais en novembre 1986, cet étage abandonné, dans lequel il restait du carburant, se retrouve exposé au soleil et explose en 750 morceaux.
La seconde nouvelle source de débris, ce sont les collisions. Si l’espace est infini, il arrive que les débris se percutent. Le choc est d’autant plus violent que ces objets circulent à une vitesse orbitale de 30000 km/h. “Une bille d’un millimètre lancée à cette vitesse a la même énergie qu’une boule de bowling à 100 km/h. Autrement dit, il suffit d’un débris d’1 cm pour détruire un satellite”, précise Christophe Bonnal.
Selon le catalogue des débris spatiaux (www.Space-Track.org), on compte désormais près de 10 000 très gros débris spatiaux, satellite entier ou étage de fusée. Dans la catégorie des objets de plus de 10 cm, on passe à 34000. Enfin, il existe plus de 900000 débris de plus d’1 cm et 130 millions de plus d’1 mm. Aujourd’hui, on aurait à peu près 8500 tonnes d’objets artificiels au-dessus de nos têtes. C’est un peu plus que le poids de la Tour Eiffel.
Collisions en série: le syndrome de Kessler.
Ce n’est que dans les années 1970 que les agences spatiales ont pris conscience du grave danger que représentaient les débris spatiaux. Après avoir relevé des traces de morceaux métalliques, provenant certainement d’une collision, sur les hublots d’un vaisseau spatial Gemini, la Nasa prend le problème à bras le corps. Créé en 1976, le “Nasa Orbital Debris Program Office” est confié à l’astrophysicien Donald Kessler. Auteur de plusieurs études de référence sur le sujet, il théorise dans un article paru en 1991, intitulé le “syndrome de Kessler.” Sa démonstration est imparable, et inquiétante: même en arrêtant toute activité spatiale demain, le nombre de débris continuera à augmenter de façon exponentielle, se multipliant par collisions en chaîne, jusqu’à’ a devenir si important que la probabilité de perte d’un satellite deviendrait si probable que son lancement deviendrait économiquement rédhibitoire. Un phénomène popularisé par le film Gravity d’Alfonso Cuaron (2013), dans lequel un nuage de débris se dirige droit vers les astronautes.
Autrement dit, à en croire Kessler, l’espace proche est en train de devenir une gigantesque poubelle pleines de déchets volants. Après avoir réchauffé l’atmosphère terrestre, pris le risque d’altérer le taux d’oxygène, voilà que nous polluons notre orbite, qui se transforme en un ballet de débris tournoyants, au risque de paralyser la recherche et la conquête spatiale – et de nous faire tomber le ciel sur la tête...
Comment ces débris retombent-ils sur terre? Le Spoutnik est un cas d’école: après avoir été mis en orbite, le satellite, petite boule de 84 kg, a fonctionné pendant 21 jours, avant de rentrer au bout de 92 jours dans l’atmosphère où il s’est engagé dans une spirale descendante. “Pourquoi? Parce que quelque soit l’altitude où on se trouve jusqu’à au moins 2000 km, il y a toujours un peu d’atmosphère”, explique Christophe Bonnal. “Or cette atmosphère freine les objets.” Dans le cas de Spoutnik, aussi bien l’étage de la fusée de lancement, que le satellite et sa coiffe, sont progressivement descendus, et ce, de plus en plus vite. “A 100 km d’altitude, l’atmosphère devient tellement dense, que les objets brûlent pour se fragmenter en des centaines de morceaux. C’est ainsi que les débris de Spoutnik sont revenus sur la Terre”, détaille l’expert. Les problèmes ne s’arrêtent toutefois pas là. Certains satellites lancés vers des orbites moins basses peuvent mettre plus longtemps à redescendre. C’est le cas d’Explorer 1, premier satellite américain lancé en 1958, qui est toujours en orbite.
Un débris d’acier d’1 cm peut détruire un satellite.
C’est ainsi qu’au cours des soixante dernières années d’innombrables débris sont venus polluer l’espace. Aux vieux satellites usagés, étages ayant servi à les lancer et objets relatifs à la mission (coiffe protectrice ou sangle pour attacher un étage à un satellite), sont venus s’ajouter deux nouvelles sources de débris. La première, ce sont les fragments provoqués par les explosions spontanées. Exemple célèbre en février 1986 : après avoir lancé avec succès le satellite Spot, l’étage supérieur de la fusée Ariane 1 flotte ensuite, loin au-dessus de nos têtes, sans que plus personne ne pense à lui. Mais en novembre 1986, cet étage abandonné, dans lequel il restait du carburant, se retrouve exposé au soleil et explose en 750 morceaux.
La seconde nouvelle source de débris, ce sont les collisions. Si l’espace est infini, il arrive que les débris se percutent. Le choc est d’autant plus violent que ces objets circulent à une vitesse orbitale de 30.000 km/h. “Une bille d’un millimètre lancée à cette vitesse a la même énergie qu’une boule de bowling à 100 km/h. Autrement dit, il suffit d’un débris d’1 cm pour détruire un satellite”, précise Christophe Bonnal.
Selon le catalogue des débris spatiaux (www.Space-Track.org), on compte désormais près de 10.000 très gros débris spatiaux, satellite entier ou étage de fusée. Dans la catégorie des objets de plus de 10 cm, on passe à 34.000. Enfin, il existe plus de 900.000 débris de plus d’1 cm et 130 millions de plus d’1 mm. Aujourd’hui, on aurait à peu près 8.500 tonnes d’objets artificiels au-dessus de nos têtes. C’est un peu plus que le poids de la Tour Eiffel.
Collisions en série: le syndrome de Kessler.
Ce n’est que dans les années 1970 que les agences spatiales ont pris conscience du grave danger que représentaient les débris spatiaux. Après avoir relevé des traces de morceaux métalliques, provenant certainement d’une collision, sur les hublots d’un vaisseau spatial Gemini, la Nasa prend le problème à bras le corps. Créé en 1976, le “Nasa Orbital Debris Program Office” est confié à l’astrophysicien Donald Kessler. Auteur de plusieurs études de référence sur le sujet, il théorise dans un article paru en 1991, intitulé le “syndrome de Kessler.” Sa démonstration est imparable, et inquiétante: même en arrêtant toute activité spatiale demain, le nombre de débris continuera à augmenter de façon exponentielle, se multipliant par collisions en chaîne, jusqu’à’ a devenir si important que la probabilité de perte d’un satellite deviendrait si probable que son lancement deviendrait économiquement rédhibitoire. Un phénomène popularisé par le film Gravity d’Alfonso Cuaron (2013), dans lequel un nuage de débris se dirige droit vers les astronautes.
Autrement dit, à en croire Kessler, l’espace proche est en train de devenir une gigantesque poubelle pleines de déchets volants. Après avoir réchauffé l’atmosphère terrestre, pris le risque d’altérer le taux d’oxygène, voilà que nous polluons notre orbite, qui se transforme en un ballet de débris tournoyants, au risque de paralyser la recherche et la conquête spatiale – et de nous faire tomber le ciel sur la tête...
La conquête de l’espace, les satellites sont en danger.
Cette perspective ne semble pas alerter les plus ambitieux de conquistadors de l’espace, tel Elon Musk, le patron de SpaceX, qui a obtenu l’autorisation, pour son projet Starlink de fourniture à Internet, de mettre en orbite près... de 12 000 petits satellites. Pour l’Agence spatiale européenne (ESA), la gestion des risques commence à ressembler à un casse-tête. Si elle n’a géré que vingt satellites, pour la seule année 2018, l’ESA a dû procéder à vingt-huit manœuvres d’évitement de débris en vol, soit plus de deux par mois en moyenne. “L’espace est vide et il y a beaucoup de place, mais on ne peut pas se permettre de continuer ains”, assure Rolf Densing, directeur du centre européen des opérations spatiales de l’ESA.
Conscientes de l’irréversibilité de ces dangers, les agences des puissances spatiales se sont pourtant toutes dotées de réglementations pour limiter la propagation des débris. En 2002, l’Inter-Agence Space Coordination Committee (IADC) a publié le document de référence en la matière. Approuvée par les Américains, les Européens, les Indiens et les Chinois, cette “bible des débris spatiaux” a servi à l’ONU à éditer ses propres guidelines en 2007. La France est le seul pays au monde à avoir adopté une loi portant sur les opérations spatiales, entrée en vigueur en 2010, les autres ont des recommandations, guidelines et codes de bonne conduite. Une réglementation internationale non contraignante qui, selon Christophe Bonnal, n’est respectée que dans 20% des cas de lancement de satellites. Parfois, elle est même foulée au pied. Après les Etats-Unis, la Chine et la Russie, l’Inde est devenue, en mars 2019, la quatrième nation à abattre un satellite en orbite basse avec un missile. Cette démonstration de force technologique et politique qui avait pour but d’impressionner les voisins pakistanais et chinois, n’a pas été du goût des différentes agences spatiales, lesquelles ont dû naviguer à l’aveugle pendant trois jours avant de pouvoir localiser chacun des quatre-cents débris provoqués par le tir indien.
L’exercice ayant été effectué à une basse altitude, la plupart des fragments sont vite rentrés sur terre, évitant à l’Inde d’aller les chercher dans l’espace. Si tel avait été le cas, les techniques de nettoyage existent. Les agences spatiales savent désormais envoyer un satellite chasseur capturer un débris avec un harpon, un filet, un grappin ou un bras robotique, se désorbiter avec lui, et se précipiter dans une rentrée atmosphérique contrôlée vers le sud du Pacifique.
La Russie décline toute responsabilité sur ses débris spatiaux.
Rolf Densing de l’ESA déplore qu’il soit difficile de trouver de l’argent pour nettoyer ces débris. Qui va payer pour remorquer les soixante étages supérieurs de lanceurs Zénith de 9 tonnes chacun, abandonnés en orbite par les Soviétiques pendant la Guerre froide? Sûrement pas la Russie qui décline toute responsabilité. “Sachant qu’une opération de nettoyage d’un seul de ces objets coûte entre 15 et 20 millions d’euros, personne n’est pas prêt à dépenser un centime pour aller chercher un objet qui ne sert à rien, qui va faire potentiellement des dégâts quand il va rentrer sur terre”, note Christophe Bonnal.
Le spécialiste des débris spatiaux affirme que des solutions sont à l’étude. Une start up suisse dénommée Clear Space, financée par l’ESA, devrait pouvoir aller récupérer des débris de plus de 100 kg en 2023. Les Américains développent, pour leur part, l’ In orbite servicing (service dans l’orbite), un véritable satellite de dépannage dimensionné pour prolonger la vie des satellites de 15 ans.
Réussira-t-on à éviter que les millions de shrapnels qui volent dans l’espace nous tombent sur la tête? “A cet instant, il n’y a pas plus de vingt objets au-dessus de la France. Ca fait un tous les cinq départements, relativise Christophe Bonnal. A ce jour, on n’a pas eu de victime. Mais c’est une épée de Damoclès: ces objets, dont certains font des tonnes, vont un jour rentrer et vont nous impacter de façon aléatoire.” Aléatoire, c’est-à-dire imprévisible.
Imprévisible, irréversible, deux concept majeurs de notre temps. ■
La conquête de l’espace, les satellites sont en danger.
Cette perspective ne semble pas alerter les plus ambitieux de conquistadors de l’espace, tel Elon Musk, le patron de SpaceX, qui a obtenu l’autorisation, pour son projet Starlink de fourniture à Internet, de mettre en orbite près... de 12 000 petits satellites. Pour l’Agence spatiale européenne (ESA), la gestion des risques commence à ressembler à un casse-tête. Si elle n’a géré que vingt satellites, pour la seule année 2018, l’ESA a dû procéder à vingt-huit manœuvres d’évitement de débris en vol, soit plus de deux par mois en moyenne. “L’espace est vide et il y a beaucoup de place, mais on ne peut pas se permettre de continuer ains”, assure Rolf Densing, directeur du centre européen des opérations spatiales de l’ESA.
Conscientes de l’irréversibilité de ces dangers, les agences des puissances spatiales se sont pourtant toutes dotées de réglementations pour limiter la propagation des débris. En 2002, l’Inter-Agence Space Coordination Committee (IADC) a publié le document de référence en la matière. Approuvée par les Américains, les Européens, les Indiens et les Chinois, cette “bible des débris spatiaux” a servi à l’ONU à éditer ses propres guidelines en 2007. La France est le seul pays au monde à avoir adopté une loi portant sur les opérations spatiales, entrée en vigueur en 2010, les autres ont des recommandations, guidelines et codes de bonne conduite. Une réglementation internationale non contraignante qui, selon Christophe Bonnal, n’est respectée que dans 20% des cas de lancement de satellites. Parfois, elle est même foulée au pied. Après les Etats-Unis, la Chine et la Russie, l’Inde est devenue, en mars 2019, la quatrième nation à abattre un satellite en orbite basse avec un missile. Cette démonstration de force technologique et politique qui avait pour but d’impressionner les voisins pakistanais et chinois, n’a pas été du goût des différentes agences spatiales, lesquelles ont dû naviguer à l’aveugle pendant trois jours avant de pouvoir localiser chacun des quatre-cents débris provoqués par le tir indien.
L’exercice ayant été effectué à une basse altitude, la plupart des fragments sont vite rentrés sur terre, évitant à l’Inde d’aller les chercher dans l’espace. Si tel avait été le cas, les techniques de nettoyage existent. Les agences spatiales savent désormais envoyer un satellite chasseur capturer un débris avec un harpon, un filet, un grappin ou un bras robotique, se désorbiter avec lui, et se précipiter dans une rentrée atmosphérique contrôlée vers le sud du Pacifique.
La Russie décline toute responsabilité sur ses débris spatiaux.
Rolf Densing de l’ESA déplore qu’il soit difficile de trouver de l’argent pour nettoyer ces débris. Qui va payer pour remorquer les soixante étages supérieurs de lanceurs Zénith de 9 tonnes chacun, abandonnés en orbite par les Soviétiques pendant la Guerre froide? Sûrement pas la Russie qui décline toute responsabilité. “Sachant qu’une opération de nettoyage d’un seul de ces objets coûte entre 15 et 20 millions d’euros, personne n’est pas prêt à dépenser un centime pour aller chercher un objet qui ne sert à rien, qui va faire potentiellement des dégâts quand il va rentrer sur terre”, note Christophe Bonnal.
Le spécialiste des débris spatiaux affirme que des solutions sont à l’étude. Une start up suisse dénommée Clear Space, financée par l’ESA, devrait pouvoir aller récupérer des débris de plus de 100 kg en 2023. Les Américains développent, pour leur part, l’ In orbite servicing (service dans l’orbite), un véritable satellite de dépannage dimensionné pour prolonger la vie des satellites de 15 ans.
Réussira-t-on à éviter que les millions de shrapnels qui volent dans l’espace nous tombent sur la tête? “A cet instant, il n’y a pas plus de vingt objets au-dessus de la France. Ca fait un tous les cinq départements, relativise Christophe Bonnal. A ce jour, on n’a pas eu de victime. Mais c’est une épée de Damoclès: ces objets, dont certains font des tonnes, vont un jour rentrer et vont nous impacter de façon aléatoire.” Aléatoire, c’est-à-dire imprévisible.
Imprévisible, irréversible, deux concept majeurs de notre temps. ■
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Antoine Flandrin
Après des études à Sciences-Po Paris, il est correspondant de plusieurs journaux français à New York. Il collabore régulièrement au Monde depuis 2013, où il a couvert le centenaire de la guerre 14-18.
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