To the end of the Earth … Aialik Glacier in Alaska, covered in foil after being contaminated in the Exxon Valdez disaster, from the series Light by Michel Comte. Photograph: Copyright the artist.
CAPITALOCÈNE
CAPITALOCÈNE
“Nous avons parfois l’impression d’observer une tragédie grecque”, dans le sens où “vous savez ce qu’il va se produire, et vous voyez les choses se produire!”, confessait, le 26 septembre 2018, sur France Info, la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, inquiète que sur les 180 signataires de l’accord de Paris de 2015 (COP21), neuf pays seulement avaient soumis à l’ONU des programmes concrets pour limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES). En attendant que les 171 autres respectent leur engagement devant l’opinion mondiale, l’OCDE constatait sombrement que “les gouvernements continuent de consacrer près de 500 milliards de dollars par an [430 milliards d’euros] pour subventionner le pétrole, le charbon et le gaz, et que la plupart d’entre eux n’ont pas su mettre fin à leur dépendance à l’égard des recettes provenant des énergies fossiles”. Ils n’avaient pas non plus pris les mesures suffisantes pour placer leurs économies sur “une trajectoire “bas carbone”. Le secrétaire général de l’OCDE, José Angel Gurria, prévenait alors: “Cette inertie risque de nous faire perdre la guerre contre le réchauffement climatique”, c’est-à-dire l’objectif d’un réchauffement sous 2 degrés.
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“Nous avons parfois l’impression d’observer une tragédie grecque”, dans le sens où “vous savez ce qu’il va se produire, et vous voyez les choses se produire!”, confessait, le 26 septembre 2018, sur France Info, la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, inquiète que sur les 180 signataires de l’accord de Paris de 2015 (COP21), neuf pays seulement avaient soumis à l’ONU des programmes concrets pour limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES). En attendant que les 171 autres respectent leur engagement devant l’opinion mondiale, l’OCDE constatait sombrement que “les gouvernements continuent de consacrer près de 500 milliards de dollars par an [430 milliards d’euros] pour subventionner le pétrole, le charbon et le gaz, et que la plupart d’entre eux n’ont pas su mettre fin à leur dépendance à l’égard des recettes provenant des énergies fossiles”. Ils n’avaient pas non plus pris les mesures suffisantes pour placer leurs économies sur “une trajectoire “bas carbone”. Le secrétaire général de l’OCDE, José Angel Gurria, prévenait alors: “Cette inertie risque de nous faire perdre la guerre contre le réchauffement climatique”, c’est-à-dire l’objectif d’un réchauffement sous 2 degrés.
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C’était il y a trois ans. En 2020, cette trajectoire contraire à l’accord de Paris s'est perpétuée: les grandes banques mondiales ont augmenté les financements accordés aux producteurs d'énergies fossiles de presque 6% entre 2016 et 2020, comme nous l’apprend le rapport annuel Banking on Climate Chaos qui fait état des investissements des grandes banques internationales dans le charbon, le gaz et le pétrole. Au total, les 60 plus grandes banques du monde ont accordé $3800 milliards aux entreprises actives dans les secteurs des énergies fossiles depuis 2016. Les banques françaises, dont la BNP, ont une large part de responsabilité avec $295 milliards de financements.
Comment expliquer une aussi criminelle apathie face au drame annoncé?
Depuis quelques années, des chercheurs, historiens, économistes, et non des moindres, avancent une explication radicale. Nous ne sommes pas entrés dans l’Anthropocène avec la révolution industrielle et la mondialisation des économies, tant et si bien que l’empreinte colossale des activités humaines a précipité la terre dans une nouvelle ère géologique, où tous les écosystèmes sont affectés. Nous sommes entrés dans le “Capitalocène”: l’ère du système capitaliste triomphant, incapable de contenir sa course effrénée au profit.
Ainsi, Andreas Malm, professeur au département d’écologie humaine à l’université de Lund (Suède), explique, dans L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’heure du capital (La Fabrique, 2017), que ce n’est pas tant une “espèce humaine” abstraite qu’il faut rendre responsable du désastre écologique, mais d’abord l’Empire britannique et le capitalisme triomphant. Il retrace ainsi l’histoire de la machine, puis de la locomotive à vapeur, brevetée par l’Ecossais James Watt en 1784, et décrit la manière dont les capitalistes anglais les ont popularisées en Europe, dans leurs colonies, puis dans le monde entier, démarrant ainsi la révolution industrielle.
De leur côté, les chimistes américain et néerlandais Will Steffen et Paul J. Crutzen (Prix Nobel 1995), inventeurs du concept d’anthropocène, rappelaient en 2008, dans le Journal of Human Environment, comment la pression destructrice des activités humaines sur l’environnement a connu une “grande accélération” à partir des années 1950: pollution industrielle massive, sixième extinction animale, acidification des océans, désertification, surpêche, fonte des glaces, concentration des GES, réchauffement, tout s’est aggravé – mondialisé. Si bien que le sociologue américain John Bellamy Foster comme la journaliste d’investigation canadienne Naomi Klein parlent d’un capitalisme dévastateur.
En France, en 2016, Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences et des techniques, a ajouté un chapitre intitulé “Capitalocène” à la dernière édition de L’Evénement anthropocène. La Terre, l’histoire et nous (Seuil), livre qu’il a publié avec l’historien des sciences Christophe Bonneuil – popularisé par Thomas Piketty à l’Ecole d’économie de Paris. Ils expliquent que nous vivons aujourd’hui la confrontation violente du “système terre” et du “système monde” du capitalisme mondialisé, grand consommateur de matières premières et de ressources minérales, qui s’est “construit au moyen d’un accaparement des bienfaits de la terre et d’une externalisation des dégâts environnementaux, par le biais de phénomènes de dépossession et ‘d’échange inégal’”. Pour les auteurs, parler de “capitalocène” plutôt que d’anthropocène est stratégique: c’est désormais la fin du capitalisme qu’il faut penser, et non la fin du monde.
C’était il y a trois ans. En 2020, cette trajectoire contraire à l’accord de Paris s'est perpétuée: les grandes banques mondiales ont augmenté les financements accordés aux producteurs d'énergies fossiles de presque 6% entre 2016 et 2020, comme nous l’apprend le rapport annuel Banking on Climate Chaos qui fait état des investissements des grandes banques internationales dans le charbon, le gaz et le pétrole. Au total, les 60 plus grandes banques du monde ont accordé $3800 milliards aux entreprises actives dans les secteurs des énergies fossiles depuis 2016. Les banques françaises, dont la BNP, ont une large part de responsabilité avec $295 milliards de financements.
Comment expliquer une aussi criminelle apathie face au drame annoncé?
Depuis quelques années, des chercheurs, historiens, économistes, et non des moindres, avancent une explication radicale. Nous ne sommes pas entrés dans l’Anthropocène avec la révolution industrielle et la mondialisation des économies, tant et si bien que l’empreinte colossale des activités humaines a précipité la terre dans une nouvelle ère géologique, où tous les écosystèmes sont affectés. Nous sommes entrés dans le “Capitalocène”: l’ère du système capitaliste triomphant, incapable de contenir sa course effrénée au profit.
Ainsi, Andreas Malm, professeur au département d’écologie humaine à l’université de Lund (Suède), explique, dans L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’heure du capital (La Fabrique, 2017), que ce n’est pas tant une “espèce humaine” abstraite qu’il faut rendre responsable du désastre écologique, mais d’abord l’Empire britannique et le capitalisme triomphant. Il retrace ainsi l’histoire de la machine, puis de la locomotive à vapeur, brevetée par l’Ecossais James Watt en 1784, et décrit la manière dont les capitalistes anglais les ont popularisées en Europe, dans leurs colonies, puis dans le monde entier, démarrant ainsi la révolution industrielle.
De leur côté, les chimistes américain et néerlandais Will Steffen et Paul J. Crutzen (Prix Nobel 1995), inventeurs du concept d’anthropocène, rappelaient en 2008, dans le Journal of Human Environment, comment la pression destructrice des activités humaines sur l’environnement a connu une “grande accélération” à partir des années 1950: pollution industrielle massive, sixième extinction animale, acidification des océans, désertification, surpêche, fonte des glaces, concentration des GES, réchauffement, tout s’est aggravé – mondialisé. Si bien que le sociologue américain John Bellamy Foster comme la journaliste d’investigation canadienne Naomi Klein parlent d’un capitalisme dévastateur.
En France, en 2016, Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences et des techniques, a ajouté un chapitre intitulé “Capitalocène” à la dernière édition de L’Evénement anthropocène. La Terre, l’histoire et nous (Seuil), livre qu’il a publié avec l’historien des sciences Christophe Bonneuil – popularisé par Thomas Piketty à l’Ecole d’économie de Paris. Ils expliquent que nous vivons aujourd’hui la confrontation violente du “système terre” et du “système monde” du capitalisme mondialisé, grand consommateur de matières premières et de ressources minérales, qui s’est “construit au moyen d’un accaparement des bienfaits de la terre et d’une externalisation des dégâts environnementaux, par le biais de phénomènes de dépossession et ‘d’échange inégal’”. Pour les auteurs, parler de “capitalocène” plutôt que d’anthropocène est stratégique: c’est désormais la fin du capitalisme qu’il faut penser, et non la fin du monde. ■
LES PIRES BANQUES DEPUIS L’ACCORD DE PARIS
Les 12 premières banques finançant les combustibles fossiles dans le monde, 2016-2020.