COLÈRE

Des scientifiques disent leur colère face à l’inaction et la collusion.

Depuis plusieurs années Joe Duggan, australien, étudiant en zoologie devenue spécialiste en communication scientifique, a posé aux chercheurs en climatologie du monde entier une question simple et existentielle: “Comment vous sentez-vous face au changement climatique?” Il a reçu des dizaines et des dizaines de réponses manuscrites qu’il a regroupées sur un site dédié Isthishowyoufeel. Plusieurs lettres parlent d’espoir et appellent au sursaut, d’autres expriment beaucoup de désarroi face à l’aggravation de la situation, plusieurs d’entre elles, souvent venues des pays du Sud, directement éprouvés, témoignent de la colère des scientifiques devant la légéreté des intellectuels, l’inaction des gouvernements et la collusion de certains politiques avec les industriels responsables des émissions toxiques et des dégradations terrestres. Nous avons choisi de publier ces dernières. 

“Parfois, je fais ce rêve. Je pars en randonnée et découvre une ferme en feu isolée. Des enfants appellent à l’aide depuis les fenêtres supérieures. Alors j’appelle les pompiers. Mais ils ne viennent pas, car un fou ne cesse de leur dire que c’est une fausse alerte. La situation devient de plus en plus désespérée, mais je n’arrive pas à convaincre les pompiers de venir. Je ne peux pas me réveiller de ce cauchemar”.

Professeur Stefan Rahmstorf, Responsable de l’analyse du système terrestre. Institut de Potsdam (Allemagne) pour la recherche sur les impacts climatiques.

“Comment le changement climatique me fait sentir.

Je ressens un tourbillon d’émotions

Je suis exaspéré. Exaspéré, personne n’écoute.

Je suis frustré. Frustré, nous ne résolvons pas le problème.

Je suis inquiet. Désireux de commencer à agir maintenant.

Je suis perplexe. Perplexe que l’urgence ne soit pas appréciée.

Je suis abasourdi. Abasourdi par notre inaction.

Je suis en détresse. En détresse, nous changeons notre planète.

Je suis bouleversé. Bouleversé par ce que notre inaction signifiera pour toute la vie.

Je suis contrarié. Agacé par la représentation médiatique de la science.

Je suis fâché. En colère, les intérêts acquis biaisent le débat.

Je suis furieux. Furieux, nous détruisons notre planète.

Mais je suis surtout inquiet. Inquiet pour l’avenir de nos enfants”.

Anthony Richardson. Pr. agrégé Écologie des changements climatiques. Université du Queensland (Australie).

“Comment je me sens face au changement climatique?

Peur: pour mes petits-enfants, pour ma famille, pour les gens. Cela me tient éveillé la nuit.

En colère: les combustibles fossiles provoquent une terrible pollution et un réchauffement climatique qui font chaque année des millions de morts et des millions de malades. Nous avons de meilleures options.

Frustré : avec complaisance. Les parents qui sautent pour protèger leurs enfant vivent dans l’ignorance, la confusion ou au mieux, la peur. Sautez plutôt dans le débat sur le climat, maman et papa.

Tristesse: beaucoup ont été blessés, beaucoup d’autres le seront. Une action rapide sur le changement climatique sauvera de nombreuses vies et empêchera d’énormes pertes de biens à l’échelle mondiale et dans votre ville.  

Déconcerté: presque tous les extrêmes météorologiques deviennent plus extrêmes en raison d’une atmosphère plus chaude. Pourquoi est-ce difficile à comprendre?

Anticipation nerveuse: écoutez la science ou la nature. Ces derniers parleront plus fort, avec une méchanceté aléatoire et terrible – tempêtes, vagues de chaleur, sécheresse, inondations, pollution –tous provoquant douleur et souffrance.

Excitation: nous pouvons résoudre ce problème ! Nous avons les plans, les politiques et la technologie pour résoudre ce problème. Nous pouvons avoir de belles vies grâce à une énergie renouvelable propre et sûre. Aidez-moi! Être impliqué. Exigez une action sur le climat à tous les niveaux politiques.

Gratitude: merci d’avoir écouté –et d’avoir agi. Demandez si vous en avez besoin”. 

Pr. Stefan Rahmstorf, Responsable de l’analyse du système terrestre. Institut de Potsdam pour la recherche sur les impacts climatiques (Allemagne).

“Cher Joe,

l’Inde, mon pays d’origine, abrite près de 20 % de la population mondiale, dont 40 % des pauvres du monde. Une des principales raisons de cette pauvreté généralisée est que la plupart des régions du pays sont très sujettes aux extrêmes climatiques, qui affectent régulièrement la production agricole et les moyens de subsistance des agriculteurs. C’est douloureux de voir un si grand nombre de nos gens, en particulier des enfants, avoir faim dans leur lit pendant plusieurs jours. Ce qui est ironique, c’est que même si ces pauvres ne contribuent pas au changement climatique, ils sont les plus touchés. Le monde doit agir rapidement pour contrôler les émissions de gaz à effet de serre et réduire le rythme du changement climatique pour notre environnement commun et pour l’avenir. En tant que chercheurs, nous déployons des efforts sincères pour développer des technologies adaptées au climat afin d’assurer un approvisionnement alimentaire continu. S’attaquer simultanément aux problèmes de pauvreté, de capital humain, d’institutions et de gouvernance est tout aussi important pour garantir que la sécurité alimentaire, et par conséquent le bonheur et la qualité de vie, augmentent pour tous”.

Pr. Pramod Aggarwal, Pr. Sciences de la vie, Université Indore (Inde). Chef de programme (Asie du Sud) au centre de recherche sur le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire (CGIAR).

“Cher Joe,

Mon émotion accablante est la colère; une colère qui n’est pas tant alimentée par l’ignorance que par la cupidité et le profit au détriment des générations futures. Je ne parle pas d’un lien vague et existentiel avec la future race humaine; je parle plutôt en tant que père d’une fille de sept ans qui aime les animaux et la nature en général. En tant que biologiste, je vois tous les jours des preuves irréfutables que les perturbations climatiques d’origine humaine se révéleront être l’un des principaux moteurs de l’extinction massive de l’Anthropocène, désormais bien engagé. Indifférence du public et myopie individuelle d’une part, je suis d’autre part furieux que des politiciens comme Abbott (Premier australien) et ses sbires anti-environnement volent l’avenir de ma fille et en rient pendant qu’ils se remplissent les poches de l’or offert par l’industrie des combustibles fossiles. Qu’il s’agisse de pure stupidité, de cupidité, de malhonnêteté délibérée ou des trois, le résultat est le même: la destruction du système environnemental de survie qui nous maintient tous en vie et prospères. Les climats changent, mais la rapidité avec laquelle nous perturbons le climat actuel en plus de la santé environnementale déjà très compromise de la planète rend la situation désastreuse. Ma frustration avec ces salauds avides et menteurs est personnelle. Les perturbations climatiques causées par l’homme ne sont pas une croyance – c’est l’un des phénomènes les mieux étudiés sur Terre. Même un demi-esprit peut comprendre cela. Comme tout père le ferait, quiconque menace ma famille passera du côté de ma colère et de ma vengeance. Cette colère est la manifestation de mon amour profond pour ma fille et de la tristesse que je ressens dans mon cœur quant à la façon dont les autres traitent son avenir.

Retenez mes mots, vous, ploutocrates, négationnistes, arracheurs à combustibles fossiles et charlatans scientifiques – votre temps viendra où vous serez poussé le dos au mur par la pleine colère de milliards de personnes qui ont souffert de votre cupidité et de votre stupidité, et je serai le premier en ligne pour vous y mettre”.

Professeur Corey Bradshaw Directeur de la modélisation écologique, Université d’Adélaïde (Australie).