LE CORONAVIRUS
PROVIENT DU TRAFIC D’ANIMAUX SAUVAGES
FONDATION POUR LA RECHERCHE DE LA BIODIVERSITÉ
LE CORONAVIRUS
PROVIENT DU TRAFIC
D’ANIMAUX SAUVAGES
FONDATION POUR LA RECHERCHE DE LA BIODIVERSITÉ
Dans le cadre des Extinction Rebellion Climate Change protests, des familles mettent en scène un moratoire en s’allongeant par terre au Natural History Museum, 22 avril 2019. © Trish Gant.
La biodiversité mondiale subit des atteintes sans précédent, sous l’effet de cinq facteurs de pression directs – changements d’usage des terres, exploitation des ressources, changements climatiques, pollutions, espèces exotiques envahissantes – eux-mêmes sous l’influence des facteurs indirects comme la démographie humaine, les cultures, les modes de production et de consommation, les institutions et les gouvernances, avec des conséquences graves pour la survie de nos sociétés. En l’état actuel des connaissances, la pandémie en cours de Covid-19 associée au coronavirus SARS-CoV apparaît liée à ces atteintes à la biodiversité. À son origine, il y a eu très vraisemblablement un contact avec des animaux sauvages porteurs du virus SARS-CoV-2 ou d’une forme très voisine. Le 12 mars 2020, la revue Nature publiait deux articles scientifiques rédigés par des équipes chinoises qui indiquaient, sur la base de la similitude des séquences génétiques, que des chauves-souris étaient des réservoirs potentiels du virus SARS-CoV-2. La séquence du virus trouvée chez l’espèce Rhinolophus affinis était identique à 96% à celle du SARS-CoV-2. D’autres animaux auraient pu aussi jouer un rôle dans l’émergence de cette zoonose – l’hypothèse du rôle qu’aurait joué la consommation de pangolin nécessite encore confirmation. Les auteurs ont alors appelé à la mise en place d’une réglementation stricte à l’encontre de la domestication et de la consommation d’animaux sauvages.
S’il est encore difficile de déterminer avec précision comment s’est fait ce contact initial entre des humains et des animaux porteurs du coronavirus SARS-CoV-2, on constate cependant, depuis le dernier quart du XXe siècle, une augmentation exponentielle et rapide de l’apparition de zoonoses. Certains de ces travaux mettent en évidence une corrélation positive forte entre ce phénomène et le nombre d’espèces d’oiseaux et de mammifères menacées selon les critères de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Ces résultats suggèrent que les pressions qu’exercent les activités anthropiques sur la biodiversité – en particulier la surexploitation des ressources vivantes (dont le braconnage), la fragmentation et la réduction rapide des habitats naturels qui génèrent un effondrement de populations animales et végétales de nombreux taxons et une perte significative de diversité génétique et phylogénétique – sont vraisemblablement à l’origine de la multiplication de ces zoonoses.
La conversion des terres au bénéfice de certains modes de production agricole, l’urbanisation ou la création d’infrastructures diverses (réseaux routiers, ferroviaires, aménagements industriels, etc.) fragmentent ou détruisent les habitats de nombreuses espèces. Elles empiètent de plus en plus sur les surfaces laissées antérieurement à la vie sauvage, augmentant ainsi les risques de contacts entre humains et pathogènes potentiellement dangereux pour les êtres humains (...)
Par ailleurs, dans de nombreuses régions du monde, les humains exploitent de manière très significative la faune sauvage pour leur alimentation ou les pharmacopées traditionnelles, au prix, cette fois encore, de contacts multiples avec celle-ci. Certaines de ces pratiques étant illégales, les conditions sanitaires qui les accompagnent sont mauvaises et dangereuses pour les animaux et, en bout de chaîne, pour les humains qui interagissent avec eux ou les consomment. Si ces usages traditionnels ont pu perdurer jusqu’à présent, probablement facilités par des processus coévolutifs locaux entre les humains et certains pathogènes et des effets limités dans l’espace et le temps, leur maintien alors que les populations humaines se sont fortement accrues, densifiées, et urbanisées, tout en développant considérablement leurs capacités de déplacement, augmente assurément ces risques (...)
L’érosion la biodiversité peut ainsi paradoxalement s’accompagner d’un accroissement des contacts entre les humains et la faune sauvage qui subsiste et d’une augmentation des risques d’émergence de zoonoses. Cela résulte notamment des manipulations et contacts avec les fluides corporels lors de la capture des animaux sauvages, de leur éventuel maintien en captivité avec un fort stress associé affectant leur système immunitaire, de leur transport, de leur commercialisation, des conditions de leur abattage ou de leur consommation. Même si certaines espèces animales sont des hôtes de virus susceptibles d’affecter les humains, un tel phénomène ne se produira qu’en cas d’interférence directe avec ces animaux ou si les pressions sur leurs habitats les amènent à se rapprocher des populations humaines.
De plus, il est maintenant bien établi que la domestication animale a, depuis le néolithique, joué un rôle majeur dans l’émergence des pandémies via des transmissions multidirectionnelles entre espèces sauvages, espèces domestiques phylogénétiquement proches et les humains, physiquement proches de leurs animaux domestiques. Il est important de garder aussi à l’esprit le fait que l’abondance et la densité des populations humaines et leurs animaux d’élevage ont considérablement augmenté durant le dernier siècle. Aujourd’hui, la biomasse totale des mammifères et des oiseaux sauvages ne constitue plus que 5,6% de la biomasse cumulée des humains et de leurs animaux d’élevage, qui elle-même ne constitue que 80% de la biomasse totale des virus et 0,22% de l’ensemble des bactéries.
De manière un peu simplifiée, si un pathogène doit passer d’une espèce à une autre, dans, ou à proximité, d’un milieu anthropisé, il a statistiquement beaucoup plus de chance d’infecter un animal d’élevage ou un humain qu’un autre animal sauvage du fait de ce déséquilibre considérable dans les abondances et la densité de leurs populations respectives. Le fait que la diversité génétique des animaux d’élevage ait été fortement réduite au cours des dernières décennies au travers d’un processus de standardisation de productions agroalimentaires et d’uniformisation des espèces facilite aussi la diffusion de la maladie chez ces animaux d’élevage (...)
La biodiversité mondiale subit des atteintes sans précédent, sous l’effet de cinq facteurs de pression directs – changements d’usage des terres, exploitation des ressources, changements climatiques, pollutions, espèces exotiques envahissantes – eux-mêmes sous l’influence des facteurs indirects comme la démographie humaine, les cultures, les modes de production et de consommation, les institutions et les gouvernances, avec des conséquences graves pour la survie de nos sociétés. En l’état actuel des connaissances, la pandémie en cours de Covid-19 associée au coronavirus SARS-CoV apparaît liée à ces atteintes à la biodiversité. À son origine, il y a eu très vraisemblablement un contact avec des animaux sauvages porteurs du virus SARS-CoV-2 ou d’une forme très voisine. Le 12 mars 2020, la revue Nature publiait deux articles scientifiques rédigés par des équipes chinoises qui indiquaient, sur la base de la similitude des séquences génétiques, que des chauves-souris étaient des réservoirs potentiels du virus SARS-CoV-2. La séquence du virus trouvée chez l’espèce Rhinolophus affinis était identique à 96% à celle du SARS-CoV-2. D’autres animaux auraient pu aussi jouer un rôle dans l’émergence de cette zoonose – l’hypothèse du rôle qu’aurait joué la consommation de pangolin nécessite encore confirmation. Les auteurs ont alors appelé à la mise en place d’une réglementation stricte à l’encontre de la domestication et de la consommation d’animaux sauvages.
S’il est encore difficile de déterminer avec précision comment s’est fait ce contact initial entre des humains et des animaux porteurs du coronavirus SARS-CoV-2, on constate cependant, depuis le dernier quart du XXe siècle, une augmentation exponentielle et rapide de l’apparition de zoonoses. Certains de ces travaux mettent en évidence une corrélation positive forte entre ce phénomène et le nombre d’espèces d’oiseaux et de mammifères menacées selon les critères de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Ces résultats suggèrent que les pressions qu’exercent les activités anthropiques sur la biodiversité – en particulier la surexploitation des ressources vivantes (dont le braconnage), la fragmentation et la réduction rapide des habitats naturels qui génèrent un effondrement de populations animales et végétales de nombreux taxons et une perte significative de diversité génétique et phylogénétique – sont vraisemblablement à l’origine de la multiplication de ces zoonoses.
La conversion des terres au bénéfice de certains modes de production agricole, l’urbanisation ou la création d’infrastructures diverses (réseaux routiers, ferroviaires, aménagements industriels, etc.) fragmentent ou détruisent les habitats de nombreuses espèces. Elles empiètent de plus en plus sur les surfaces laissées antérieurement à la vie sauvage, augmentant ainsi les risques de contacts entre humains et pathogènes potentiellement dangereux pour les êtres humains (...)
Par ailleurs, dans de nombreuses régions du monde, les humains exploitent de manière très significative la faune sauvage pour leur alimentation ou les pharmacopées traditionnelles, au prix, cette fois encore, de contacts multiples avec celle-ci. Certaines de ces pratiques étant illégales, les conditions sanitaires qui les accompagnent sont mauvaises et dangereuses pour les animaux et, en bout de chaîne, pour les humains qui interagissent avec eux ou les consomment. Si ces usages traditionnels ont pu perdurer jusqu’à présent, probablement facilités par des processus coévolutifs locaux entre les humains et certains pathogènes et des effets limités dans l’espace et le temps, leur maintien alors que les populations humaines se sont fortement accrues, densifiées, et urbanisées, tout en développant considérablement leurs capacités de déplacement, augmente assurément ces risques (...)
L’érosion la biodiversité peut ainsi paradoxalement s’accompagner d’un accroissement des contacts entre les humains et la faune sauvage qui subsiste et d’une augmentation des risques d’émergence de zoonoses. Cela résulte notamment des manipulations et contacts avec les fluides corporels lors de la capture des animaux sauvages, de leur éventuel maintien en captivité avec un fort stress associé affectant leur système immunitaire, de leur transport, de leur commercialisation, des conditions de leur abattage ou de leur consommation. Même si certaines espèces animales sont des hôtes de virus susceptibles d’affecter les humains, un tel phénomène ne se produira qu’en cas d’interférence directe avec ces animaux ou si les pressions sur leurs habitats les amènent à se rapprocher des populations humaines.
De plus, il est maintenant bien établi que la domestication animale a, depuis le néolithique, joué un rôle majeur dans l’émergence des pandémies via des transmissions multidirectionnelles entre espèces sauvages, espèces domestiques phylogénétiquement proches et les humains, physiquement proches de leurs animaux domestiques. Il est important de garder aussi à l’esprit le fait que l’abondance et la densité des populations humaines et leurs animaux d’élevage ont considérablement augmenté durant le dernier siècle. Aujourd’hui, la biomasse totale des mammifères et des oiseaux sauvages ne constitue plus que 5,6% de la biomasse cumulée des humains et de leurs animaux d’élevage, qui elle-même ne constitue que 80% de la biomasse totale des virus et 0,22% de l’ensemble des bactéries.
De manière un peu simplifiée, si un pathogène doit passer d’une espèce à une autre, dans, ou à proximité, d’un milieu anthropisé, il a statistiquement beaucoup plus de chance d’infecter un animal d’élevage ou un humain qu’un autre animal sauvage du fait de ce déséquilibre considérable dans les abondances et la densité de leurs populations respectives. Le fait que la diversité génétique des animaux d’élevage ait été fortement réduite au cours des dernières décennies au travers d’un processus de standardisation de productions agroalimentaires et d’uniformisation des espèces facilite aussi la diffusion de la maladie chez ces animaux d’élevage (...)
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“Des pandémies se reproduiront si la logique des interactions actuelles entre les populations humaines et la biodiversité n’est pas fondamentalement remise en cause.”
“Des pandémies se reproduiront si la logique des interactions actuelles entre les populations humaines
et la biodiversité n’est pas fondamentalement remise en cause.”
Sachant les éléments précédents, peut-on défendre l’idée que la pandémie actuelle aurait pu être mieux anticipée? La réponse est probablement positive. En effet, des travaux scientifiques montrent une relation directe entre les menaces qui pèsent sur la biodiversité et la multiplication des zoonoses. Les épidémies associées aux virus Marburg, Ebola, ou Hendra, le SRAS ou encore la pandémie dite “grippe A” (H1N1) ont constitué des alertes majeures. Plus spécifiquement, dans un article de synthèse paru en 2007, soit treize ans avant la pandémie actuelle, une équipe chinoise indiquait que la présence chez les microchiroptères locaux du genre Rhinolophus d’un vaste réservoir de virus potentiellement responsables chez les humains d’affections respiratoires aiguës, constituait un danger majeur compte tenu de la consommation de viande de mammifères sauvages exotiques en Chine du Sud.
Dans le même temps, comme on l’a vu, la communauté scientifique a souligné, et cela depuis plusieurs dizaines d’années, l’importance de l’érosion de la biodiversité et alerté sur l’accélération récente de ce phénomène, concomitant avec l’augmentation des zoonoses. Une plus grande attention aux faits scientifiques, notamment ceux établis aux interfaces entre sciences de la santé et sciences de la biodiversité, ainsi que des mesures effectives de réduction de la dégradation de la biodiversité, y compris l’arrêt effectif du commerce et de la consommation d’animaux sauvages – protégés ou non – auraient probablement pu réduire les risques d’apparition d’une pandémie telle que celle à laquelle l’humanité est aujourd’hui confrontée.
Des pandémies analogues se reproduiront si la logique des interactions actuelles entre les populations humaines et la biodiversité n’est pas fondamentalement remise en cause. Comme l’a souligné l’Ipbes en 2019, ces interactions dépendent de manière ultime de nos valeurs, lesquelles, en ce qui concerne la biodiversité, sont multiples et font l’objet de nombreux débat en éthique environnementale. Mais, même du point de vue le plus pragmatique et anthropocentré, si on veut que l’humanité continue à tirer avantage des services écosystémiques qu’elle retire de la biodiversité notamment pour couvrir ses besoins alimentaires, comme le montrent les travaux des modélisateurs, et ralentir l’apparition des zoonoses, il est essentiel de protéger activement ce qui reste de biodiversité sauvage.
Cela exige l’augmentation de la surface d’espaces protégés et, dans le même temps, la réduction rapide et drastique des pressions sur la biodiversité hors de ces espaces, y compris dans les milieux agricoles et urbains. Ceci revient à combiner land sparing (mise en protection de certains espaces) et land sharing (coexistence avec la biodiversité présente en dehors des espaces protégés). Plus spécifiquement, la destruction des écosystèmes et donc des habitats de la vie sauvage résiduelle doit être impérativement stoppée. Les politiques de préservation de la biodiversité et des services qu’on en tire pour notre alimentation et notre santé doivent intégrer sa dimension intrinsèquement évolutive, au sens darwinien du terme.
Au-delà de ces enjeux immédiats pour la sécurité et le bien-être humains, notre capacité à respecter la biodiversité non humaine et la poursuite de son évolution contribue à définir notre humanité. La préservation des espaces où la biodiversité non humaine pourra évoluer est la condition première à sa protection. Ceci nécessite de développer une politique ambitieuse de création et de renforcement des aires protégées tant terrestres que marines, en prenant en compte l’incidence attendue du changement climatique sur la distribution des espèces et des biomes. Une partie significative de ces aires doit être dotée de statuts de protection forte, qui les soustraient aux pressions anthropiques, où les humains sont des visiteurs discrets, et leurs activités fortement régulées, de manière à en maximiser l’efficacité en matière de protection et aussi à limiterles interactions entre les humains et la faune sauvage. Cette politique n’aura cependant de sens que si elle prend en compte les droits et le bien-être des populations locales concernées et est assortie de mesures d’accompagnement innovantes au bénéfice de ces populations.
Protéger la biodiversité sauvage permet aussi un bon fonctionnement des processus de régulation naturelle. Par exemple, les prédateurs contribuent à réguler les populations de rongeurs qui sont souvent des hôtes de virus ou bactéries pathogènes pour l’homme, transmissibles notamment via les tiques et peuvent par conséquent limiter la diffusion de maladies. La préservation des oiseaux charognards permet aussi d’assurer l’élimination des carcasses d’animaux morts et d’éviter ainsi l’émergence de maladies. Comme l’a souligné la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, réduire les pressions anthropiques sur l’environnement est un objectif qui peut être décliné à court terme sans attendre nécessairement que les impacts précis de ces facteurs sur différents composants de la biodiversité ne soient complètement élucidés. Le concept d’empreinte écologique constitue un levier décisif pour mettre en place une politique ambitieuse de réduction des pressions que l’homme exerce sur la biodiversité. Plus largement, ce sont donc nos options de développement et les politiques socio-économiques et environnementales afférentes qu’il faut reconcevoir. Les transitions écologiques doivent concerner tous les secteurs économiques et industriels, mais également les valeurs à l’origine de nos modes de gouvernance et de consommation (...)
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Nous empiétons sur les surfaces laissées à la vie sauvage, augmentant ainsi les risques de contacts entre humains et pathogènes.
Sachant les éléments précédents, peut-on défendre l’idée que la pandémie actuelle aurait pu être mieux anticipée? La réponse est probablement positive. En effet, des travaux scientifiques montrent une relation directe entre les menaces qui pèsent sur la biodiversité et la multiplication des zoonoses. Les épidémies associées aux virus Marburg, Ebola, ou Hendra, le SRAS ou encore la pandémie dite “grippe A” (H1N1) ont constitué des alertes majeures. Plus spécifiquement, dans un article de synthèse paru en 2007, soit treize ans avant la pandémie actuelle, une équipe chinoise indiquait que la présence chez les microchiroptères locaux du genre Rhinolophus d’un vaste réservoir de virus potentiellement responsables chez les humains d’affections respiratoires aiguës, constituait un danger majeur compte tenu de la consommation de viande de mammifères sauvages exotiques en Chine du Sud.
Dans le même temps, comme on l’a vu, la communauté scientifique a souligné, et cela depuis plusieurs dizaines d’années, l’importance de l’érosion de la biodiversité et alerté sur l’accélération récente de ce phénomène, concomitant avec l’augmentation des zoonoses. Une plus grande attention aux faits scientifiques, notamment ceux établis aux interfaces entre sciences de la santé et sciences de la biodiversité, ainsi que des mesures effectives de réduction de la dégradation de la biodiversité, y compris l’arrêt effectif du commerce et de la consommation d’animaux sauvages – protégés ou non – auraient probablement pu réduire les risques d’apparition d’une pandémie telle que celle à laquelle l’humanité est aujourd’hui confrontée.
Des pandémies analogues se reproduiront si la logique des interactions actuelles entre les populations humaines et la biodiversité n’est pas fondamentalement remise en cause. Comme l’a souligné l’Ipbes en 2019, ces interactions dépendent de manière ultime de nos valeurs, lesquelles, en ce qui concerne la biodiversité, sont multiples et font l’objet de nombreux débat en éthique environnementale. Mais, même du point de vue le plus pragmatique et anthropocentré, si on veut que l’humanité continue à tirer avantage des services écosystémiques qu’elle retire de la biodiversité notamment pour couvrir ses besoins alimentaires, comme le montrent les travaux des modélisateurs, et ralentir l’apparition des zoonoses, il est essentiel de protéger activement ce qui reste de biodiversité sauvage.
Cela exige l’augmentation de la surface d’espaces protégés et, dans le même temps, la réduction rapide et drastique des pressions sur la biodiversité hors de ces espaces, y compris dans les milieux agricoles et urbains. Ceci revient à combiner land sparing (mise en protection de certains espaces) et land sharing (coexistence avec la biodiversité présente en dehors des espaces protégés). Plus spécifiquement, la destruction des écosystèmes et donc des habitats de la vie sauvage résiduelle doit être impérativement stoppée. Les politiques de préservation de la biodiversité et des services qu’on en tire pour notre alimentation et notre santé doivent intégrer sa dimension intrinsèquement évolutive, au sens darwinien du terme.
Au-delà de ces enjeux immédiats pour la sécurité et le bien-être humains, notre capacité à respecter la biodiversité non humaine et la poursuite de son évolution contribue à définir notre humanité. La préservation des espaces où la biodiversité non humaine pourra évoluer est la condition première à sa protection. Ceci nécessite de développer une politique ambitieuse de création et de renforcement des aires protégées tant terrestres que marines, en prenant en compte l’incidence attendue du changement climatique sur la distribution des espèces et des biomes. Une partie significative de ces aires doit être dotée de statuts de protection forte, qui les soustraient aux pressions anthropiques, où les humains sont des visiteurs discrets, et leurs activités fortement régulées, de manière à en maximiser l’efficacité en matière de protection et aussi à limiterles interactions entre les humains et la faune sauvage. Cette politique n’aura cependant de sens que si elle prend en compte les droits et le bien-être des populations locales concernées et est assortie de mesures d’accompagnement innovantes au bénéfice de ces populations.
Protéger la biodiversité sauvage permet aussi un bon fonctionnement des processus de régulation naturelle. Par exemple, les prédateurs contribuent à réguler les populations de rongeurs qui sont souvent des hôtes de virus ou bactéries pathogènes pour l’homme, transmissibles notamment via les tiques et peuvent par conséquent limiter la diffusion de maladies. La préservation des oiseaux charognards permet aussi d’assurer l’élimination des carcasses d’animaux morts et d’éviter ainsi l’émergence de maladies. Comme l’a souligné la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, réduire les pressions anthropiques sur l’environnement est un objectif qui peut être décliné à court terme sans attendre nécessairement que les impacts précis de ces facteurs sur différents composants de la biodiversité ne soient complètement élucidés. Le concept d’empreinte écologique constitue un levier décisif pour mettre en place une politique ambitieuse de réduction des pressions que l’homme exerce sur la biodiversité. Plus largement, ce sont donc nos options de développement et les politiques socio-économiques et environnementales afférentes qu’il faut reconcevoir. Les transitions écologiques doivent concerner tous les secteurs économiques et industriels, mais également les valeurs à l’origine de nos modes de gouvernance et de consommation (...)
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Nous empiétons sur les surfaces laissées à la vie sauvage, augmentant ainsi les risques de contacts entre humains et pathogènes.
Nous sommes donc, individuellement et collectivement, à une croisée des chemins. Nous espérons que la pandémie actuelle amènera les gouvernements, les décideurs en général, à ouvrir les yeux sur la réalité de l’état de notre Planète et à accorder aux enjeux de biodiversité une priorité équivalente à celle donnée aux enjeux du changement climatique afin de progresser vers une approche systémique où l’ensemble des enjeux environnementaux seront abordés en même temps et au même niveau. La préservation de la biodiversité, et l’approche systémique des défis environnementaux, doivent être placées au plus haut niveau dans les stratégies post-crise. Non pas pour entrer en compétition avec le règlement des urgences sanitaires et sociales, mais pour assurer la pertinence et la pérennité de leur traitement à court, moyen et long termes.
La préservation de la biodiversité devra également êtreintégrée aux stratégies de développement, y compris dans leurs dimensions économiques. Elle devra être clairement favorisée à l’avenir, notamment lorsque des compromis doivent être consentis, et des arbitrages faits entre certains aspects du développement économique et la sauvegarde de la biodiversité. Cela implique qu’une aide financière internationale puisse être mobilisée pour permettre aux pays les moins développés d’assurer ce type de service écosystémique planétaire au bénéfice d’eux-mêmes et de l’ensemble de l’humanité. Cela passe en particulier par un renforcement des capacités de ces pays dans les sciences de la biodiversité.
Par ailleurs, les leçons doivent être tirées des limites observées des mécanismes d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages issus de la Convention sur la diversité biologique, qui est pourtant la convention sur l’environnement intégrant, au plus haut niveau, les objectifs de justice et d’équité. Un objectif de solidarité doit venir s’y ajouter et des approches complémentaires explorées (recours au régime des “communs”). Dans tous ces enjeux fondamentaux pour nos sociétés et pour la biodiversité, le développement d’une véritable justice environnementale doit permettre de mieux répartir le coûts et bénéfices de la protection de la biodiversité entre humains. Il doit s’appuyer sur la poursuite des recherches en éthique environnementale et la construction des valeurs accordées aux non humains et aux processus évolutifs et fonctionnels qui les lient (...)
Il faut maintenant s’inscrire dans l’avenir et, en gardant à l’esprit les lacunes de connaissances que l’Ipbes avait pointées du doigt en 2019, ainsi que les questionnements scientifiques qui émergent à l’occasion de la crise actuelle, notamment à l’interface entre biodiversité et santé, inciter les gouvernements et les acteurs privés à soutenir activement les sciences de la biodiversité. Ces recherches devront permettre de définir comment mieux intégrer la biodiversité dans les stratégies sanitaires par exemple dans des approches One Health et EcoHealth, les stratégies économiques, et les stratégies d’aménagement du territoire, mais aussi dans les transitions démographiques et de développement qui sont attendues dans la période post-crise (...) Enfin, ces recherches devront permettre d’identifier en quoi ces risques épidémiques et pandémiques questionnent les éthiques environnementales et notamment la construction et la mobilisation des valeurs utilitaires, relationnelles et intrinsèques des non-humains dans une approche systémique des transitions écologiques toujours plus nécessaires.
C’est en investissant à ce niveau que les États, y compris le nôtre, pourront assoir des stratégies crédibles de réponse aux immenses enjeux environnementaux dont la pandémie actuelle, aux conséquences encore imprévisibles, est un des signes avant-coureurs. Au travers de ces stratégies nouvelles, c’est aussi une nouvelle forme de cohabitation plus respectueuse de l’ensemble des vivants non-humains qui devra être mise en place. Elle devra s’appuyer sur un effort permanent de compréhension de leurs dynamiques évolutives et fonctionnelles pour associer connaissance, inspiration et vigilance dans la construction d’interactions plus durables avec eux. ■
Nous sommes donc, individuellement et collectivement, à une croisée des chemins. Nous espérons que la pandémie actuelle amènera les gouvernements, les décideurs en général, à ouvrir les yeux sur la réalité de l’état de notre Planète et à accorder aux enjeux de biodiversité une priorité équivalente à celle donnée aux enjeux du changement climatique afin de progresser vers une approche systémique où l’ensemble des enjeux environnementaux seront abordés en même temps et au même niveau. La préservation de la biodiversité, et l’approche systémique des défis environnementaux, doivent être placées au plus haut niveau dans les stratégies post-crise. Non pas pour entrer en compétition avec le règlement des urgences sanitaires et sociales, mais pour assurer la pertinence et la pérennité de leur traitement à court, moyen et long termes.
La préservation de la biodiversité devra également êtreintégrée aux stratégies de développement, y compris dans leurs dimensions économiques. Elle devra être clairement favorisée à l’avenir, notamment lorsque des compromis doivent être consentis, et des arbitrages faits entre certains aspects du développement économique et la sauvegarde de la biodiversité. Cela implique qu’une aide financière internationale puisse être mobilisée pour permettre aux pays les moins développés d’assurer ce type de service écosystémique planétaire au bénéfice d’eux-mêmes et de l’ensemble de l’humanité. Cela passe en particulier par un renforcement des capacités de ces pays dans les sciences de la biodiversité.
Par ailleurs, les leçons doivent être tirées des limites observées des mécanismes d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages issus de la Convention sur la diversité biologique, qui est pourtant la convention sur l’environnement intégrant, au plus haut niveau, les objectifs de justice et d’équité. Un objectif de solidarité doit venir s’y ajouter et des approches complémentaires explorées (recours au régime des “communs”). Dans tous ces enjeux fondamentaux pour nos sociétés et pour la biodiversité, le développement d’une véritable justice environnementale doit permettre de mieux répartir le coûts et bénéfices de la protection de la biodiversité entre humains. Il doit s’appuyer sur la poursuite des recherches en éthique environnementale et la construction des valeurs accordées aux non humains et aux processus évolutifs et fonctionnels qui les lient (...)
Il faut maintenant s’inscrire dans l’avenir et, en gardant à l’esprit les lacunes de connaissances que l’Ipbes avait pointées du doigt en 2019, ainsi que les questionnements scientifiques qui émergent à l’occasion de la crise actuelle, notamment à l’interface entre biodiversité et santé, inciter les gouvernements et les acteurs privés à soutenir activement les sciences de la biodiversité. Ces recherches devront permettre de définir comment mieux intégrer la biodiversité dans les stratégies sanitaires par exemple dans des approches One Health et EcoHealth, les stratégies économiques, et les stratégies d’aménagement du territoire, mais aussi dans les transitions démographiques et de développement qui sont attendues dans la période post-crise (...) Enfin, ces recherches devront permettre d’identifier en quoi ces risques épidémiques et pandémiques questionnent les éthiques environnementales et notamment la construction et la mobilisation des valeurs utilitaires, relationnelles et intrinsèques des non-humains dans une approche systémique des transitions écologiques toujours plus nécessaires.
C’est en investissant à ce niveau que les États, y compris le nôtre, pourront assoir des stratégies crédibles de réponse aux immenses enjeux environnementaux dont la pandémie actuelle, aux conséquences encore imprévisibles, est un des signes avant-coureurs. Au travers de ces stratégies nouvelles, c’est aussi une nouvelle forme de cohabitation plus respectueuse de l’ensemble des vivants non-humains qui devra être mise en place. Elle devra s’appuyer sur un effort permanent de compréhension de leurs dynamiques évolutives et fonctionnelles pour associer connaissance, inspiration et vigilance dans la construction d’interactions plus durables avec eux. ■
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Hélène Soubelet, directrice, docteur vétérinaire, diplômée en pathologie végétale; Jean-François Silvain, ancien directeur de l’unité Diversité, écologie et évolution des insectes tropicaux, président; Aurélie Delavaud, vétérinaire, responsable du pôle Science; François Sarrazin, chercheur en biologie de la conservation, président du Conseil scientifique; Sébastien Barot, vice-président du Conseil scientifique – et l’ensemble du Conseil scientifique. La Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité a été créée en 2008, à la suite du Grenelle de l’environnement, à l’initiative des ministères chargés de la recherche et de l’écologie, par huit établissements publics de recherche.