David Wallace-Wells
Thermographie montrant les fortes chaleur (en rouge) et les pics de chaleur (en blanc) à Atlanta. © NASA.
“Aucune vie intelligente n’a jamais évolué en dehors de l’étroite fourchette de températures ayant permis l’évolution humaine, températures que nous avons maintenant laissées derrière nous.”
Les humains, comme tous les mammifères, sont des moteurs thermiques; pour survivre, il leur faut continuellement se rafraîchir. Il suffit aux chiens de tirer la langue, mais pour les humains, la température doit être assez basse afin que l’air fasse en quelque sorte office de réfrigérant, qui écarte la chaleur de la peau et permet ainsi au moteur de continuer à pomper (...) Le GIEC nous fournit une projection médiane au-dessus de 4 °C d’ici 2100, si nous devions continuer sur notre lancée actuelle. L’impact, déjà, nous paraît impensable aujourd’hui... Des feux de forêt détruisant seize fois plus de terres qu’actuellement dans l’Ouest américain, des centaines de villes englouties... Il ferait si chaud dans certaines métropoles comptant aujourd’hui des millions d’habitants, un peu partout en Inde, au Moyen-Orient, que le simple fait de sortir de chez soi en été engendrerait un risque mortel – d’ailleurs, cela pourrait advenir beaucoup plus vite, puisqu’un réchauffement de 2 °C suffirait pour beaucoup de gens. Il n’est même pas besoin de considérer le pire des scénarios pour s’alarmer (…)
De nos jours, la plupart des régions atteignent un maximum de
26 °C ou 27 °C; la véritable ligne rouge pour l’habitabilité est à 35 °C, au-delà de laquelle les humains commencent tout simplement à mourir de chaleur. Soit un écart de 8 °C. En revanche, ce que l’on appelle le “stress thermique” intervient bien avant. À tel point que nous y sommes déjà. Depuis 1980, la planète a connu une multiplication par cinquante du nombre de canicules graves, une hausse plus importante est à venir.
Les cinq étés les plus chauds en Europe depuis l’an 1500 se sont tous produits depuis 2002 et à terme, avertit le GIEC, il deviendra dangereux pour la santé de travailler en extérieur à cette période de l’année dans certaines parties du globe. Même si nous atteignons les objectifs de l’accord de Paris (+2°), des villes comme Karachi et Calcutta subiront annuellement des vagues de chaleur comme celle qui les a paralysées en 2015, causant des milliers de morts en Inde et au Pakistan. À + 4 °C, la terrible canicule européenne de 2003, responsable d’environ deux mille décès par jour au pire moment, sera un été normal.
Il s’agissait pourtant, à l’époque, de l’un des plus graves événements climatiques de l’histoire du continent, 35000 Européens y laissèrent la vie, dont 14.000 en France. De façon assez perverse, les infirmes ont plutôt mieux résisté, a écrit William Langewiesche de Vanity Fair, car, dans ces pays riches, la plupart d’entre eux se trouvaient à l’abri, dans des hôpitaux ou des maisons de retraite; les victimes les plus nombreuses étaient les personnes âgées aisées et comparativement en bonne santé, abandonnées chez elles par leurs enfants partis en vacances, certains cadavres pourrissant des semaines durant avant le retour des familles (...)
____
“Il existe une incertitude scientifique, la possibilité que nous sous-estimions les effets des ‘boucles de rétroactions’ sur les systèmes naturels, que nous ne comprenons pas très bien.”
Les humains, comme tous les mammifères, sont des moteurs thermiques; pour survivre, il leur faut continuellement se rafraîchir. Il suffit aux chiens de tirer la langue, mais pour les humains, la température doit être assez basse afin que l’air fasse en quelque sorte office de réfrigérant, qui écarte la chaleur de la peau et permet ainsi au moteur de continuer à pomper (...) Le GIEC nous fournit une projection médiane au-dessus de 4 °C d’ici 2100, si nous devions continuer sur notre lancée actuelle. L’impact, déjà, nous paraît impensable aujourd’hui... Des feux de forêt détruisant seize fois plus de terres qu’actuellement dans l’Ouest américain, des centaines de villes englouties... Il ferait si chaud dans certaines métropoles comptant aujourd’hui des millions d’habitants, un peu partout en Inde, au Moyen-Orient, que le simple fait de sortir de chez soi en été engendrerait un risque mortel – d’ailleurs, cela pourrait advenir beaucoup plus vite, puisqu’un réchauffement de 2 °C suffirait pour beaucoup de gens. Il n’est même pas besoin de considérer le pire des scénarios pour s’alarmer (…)
De nos jours, la plupart des régions atteignent un maximum de 26 °C ou 27 °C; la véritable ligne rouge pour l’habitabilité est à 35 °C, au-delà de laquelle les humains commencent tout simplement à mourir de chaleur. Soit un écart de 8 °C. En revanche, ce que l’on appelle le “stress thermique” intervient bien avant. À tel point que nous y sommes déjà. Depuis 1980, la planète a connu une multiplication par cinquante du nombre de canicules graves, une hausse plus importante est à venir.
Les cinq étés les plus chauds en Europe depuis l’an 1500 se sont tous produits depuis 2002 et à terme, avertit le GIEC, il deviendra dangereux pour la santé de travailler en extérieur à cette période de l’année dans certaines parties du globe. Même si nous atteignons les objectifs de l’accord de Paris (+2°), des villes comme Karachi et Calcutta subiront annuellement des vagues de chaleur comme celle qui les a paralysées en 2015, causant des milliers de morts en Inde et au Pakistan. À +4 °C, la terrible canicule européenne de 2003, responsable d’environ deux mille décès par jour au pire moment, sera un été normal.
Il s’agissait pourtant, à l’époque, de l’un des plus graves événements climatiques de l’histoire du continent, 35.000 Européens y laissèrent la vie, dont 14.000 en France. De façon assez perverse, les infirmes ont plutôt mieux résisté, a écrit William Langewiesche de Vanity Fair, car, dans ces pays riches, la plupart d’entre eux se trouvaient à l’abri, dans des hôpitaux ou des maisons de retraite; les victimes les plus nombreuses étaient les personnes âgées aisées et comparativement en bonne santé, abandonnées chez elles par leurs enfants partis en vacances, certains cadavres pourrissant des semaines durant avant le retour des familles (...)
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“Il existe une incertitude scientifique, la possibilité que nous sous-estimions les effets des ‘boucles de rétroactions’ sur les systèmes naturels, que nous ne comprenons pas très bien.”
À notre époque, nous avons déjà connu quelques canicules, bien sûr, et meurtrières; en 1998, l’été indien a tué 2500 personnes. Plus récemment, les pics de températures sont devenus plus chauds. En 2010, 55.000 décès ont été causés par une vague de chaleur en Russie – à Moscou, on comptait 700 victimes par jour. En 2016, au beau milieu de la canicule qui écrasait le Moyen-Orient depuis plusieurs mois, les températures en Irak dépassait 37 °C en mai, 43 °C en juin et frôlaient les 49 °C en juillet – la plupart du temps, il fallait attendre la nuit pour voir les températures descendre en dessous de 37 °C. (À en croire le Wall Street Journal, un religieux chiite avait proclamé que cette chaleur résultait d’une attaque électromagnétique sur le pays par les forces américaines…). En 2018, dans le sud-est du Pakistan, la planète a connu la température la plus chaude jamais enregistrée en avril. En Inde, une seule journée au-dessus de 35 °C augmente la mortalité annuelle de 0,75%; en 2016, on y a atteint les 49 °C plusieurs jours de suite – au mois de mai. En Arabie saoudite, où les températures estivales atteignent souvent cette valeur, 700.000 barils de pétrole ont brûlés chaque jour pendant l’été, principalement afin de faire fonctionner les appareils de climatisation de la nation.
Il est vrai qu’ils sont utiles pour lutter contre la chaleur, bien sûr, mais l’air conditionné et les ventilateurs composent 10% de l’ensemble de la consommation d’électricité globale (ndlr, en grande partie produite par des sources d’énergie émettrices de CO2). On s’attend à voir la demande tripler ou quadrupler 20 peut-être d’ici à 2050; à en croire une estimation, le monde comptera 700 millions de climatiseurs supplémentaires d’ici à 2030. Selon une autre étude, d’ici à 2050, il y aura plus de 9 milliards d’appareils de refroidissement de toutes sortes sur la planète. Sans même parler des centres commerciaux climatisés des Émirats arabes unis, il n’y a rien d’un tant soit peu économique, encore moins “vert”, dans la vente en gros de la climatisation en direction de toutes les régions les plus chaudes, qui sont également la plupart du temps les plus pauvres. D’ailleurs la crise sera particulièrement dramatique partout au Moyen-Orient et dans le golfe Persique, où en 2015 l’indice de chaleur enregistrait des températures autour de 72 °C. D’ici quelques décennies, il sera physiquement impossible d’accomplir le hadj pour bon nombre des 2 millions de musulmans qui effectuent ce pèlerinage chaque année.
Ce n’est pas seulement le hadj, ce n’est pas uniquement La Mecque. Au Salvador, dans la région où se cultive la canne à sucre, près d’un cinquième de la population – plus d’un quart de la population masculine – souffre de maladie chronique des reins, séquelle probable de la déshydratation provoquée par les travaux dans les champs; il y a une vingtaine d’années, la récolte se faisait dans des conditions confortables. Avec la dialyse, coûteuse, ceux qui souffrent d’insuffisance rénale peuvent vivre jusqu’à cinq ans de plus; sans, l’espérance de vie se mesure en semaines. Bien sûr, le stress thermique ne s’en prendra pas seulement à nos reins. Alors même que j’écris cette phrase, dans le désert californien, à la mi-juin, il fait 49,5 °C à l’extérieur de ma maison. Et ce n’est pas un record.
Si les cosmologistes jugent absolument improbable qu’une intelligence aussi avancée que celle des humains ait pu évoluer ailleurs, c’est parce qu’on y trouve précisément ce genre de conditions: chacune des planètes inhabitables est là pour nous rappeler, en creux, combien un ensemble de circonstances unique est indisensable pour produire un équilibre climatique favorable à l’apparition de la vie. Pour autant que nous le sachions, aucune vie intelligente n’a jamais évolué où que ce soit dans l’univers en dehors de l’étroite fourchette de températures “juste bien”, comme dit Boucle d’Or, ayant permis l’évolution humaine – températures que nous avons maintenant laissées derrière nous, à jamais, probablement.
Jusqu’où grimperont-elles.
La question peut paraître scientifique, elle peut sembler appeler à l’expertise, mais la réponse est en réalité presque entièrement citoyenne autant dire politique. La menace du changement climatique est variable; l’incertitude lui donne une apparence changeante. Quand la planète aura-t-elle pris 2 °C? Quand passera-t-elle à 3 °C?
De combien le niveau de la mer aura-t-il augmenté en 2030, 2050, 2100, lorsque nos enfants laisseront la Terre aux bons soins de leurs enfants et petits-enfants? Quelles villes seront englouties? Quelles forêts seront dégradées? Quels greniers seront vides? De ces incertitudes naîtront les grands métarécits liés au changement climatique dans les décennies à venir – il est effrayant de ne pas savoir à quoi ressemblera le monde dans lequel nous vivrons, ne serait-ce que d’ici à dix ou vingt ans, quand, de notre côté, nous aurons toujours la même maison, le même crédit, les mêmes séries à la télévision, les mêmes juges auprès de qui faire appel à la Cour suprême des États-Unis.
Mais s’il existe bien certaines choses que la science ignore concernant la manière dont le climat réagira à la quantité considérable de CO2 que nous avons rejetée dans l’air, l’incertitude quant aux conséquences – cette obsédante incertitude – n’est pas issue de l’ignorance scientifique, mais surtout et avant tout de notre réaction, qui reste une question ouverte. C’est-à-dire, principalement, quelle quantité de dioxyde de carbone nous décidons d’émettre – ce n’est pas une question de sciences naturelles, mais humaines. Les climatologues peuvent aujourd’hui prédire avec une précision troublante quand frappera un ouragan et avec quelle intensité, parfois une bonne semaine avant qu’il survienne. Cela ne s’explique pas simplement par la performance des modèles, mais aussi par la connaissance de l’ensemble des données. En matière de réchauffement climatique, ces modèles sont tout aussi performants, mais une donnée clé reste un mystère: que ferons-nous?
À notre époque, nous avons déjà connu quelques canicules, bien sûr, et meurtrières; en 1998, l’été indien a tué 2500 personnes. Plus récemment, les pics de températures sont devenus plus chauds. En 2010, 55.000 décès ont été causés par une vague de chaleur en Russie – à Moscou, on comptait 700 victimes par jour. En 2016, au beau milieu de la canicule qui écrasait le Moyen-Orient depuis plusieurs mois, les températures en Irak dépassait 37 °C en mai, 43 °C en juin et frôlaient les 49 °C en juillet – la plupart du temps, il fallait attendre la nuit pour voir les températures descendre en dessous de 37 °C. (À en croire le Wall Street Journal, un religieux chiite avait proclamé que cette chaleur résultait d’une attaque électromagnétique sur le pays par les forces américaines…). En 2018, dans le sud-est du Pakistan, la planète a connu la température la plus chaude jamais enregistrée en avril. En Inde, une seule journée au-dessus de 35 °C augmente la mortalité annuelle de 0,75%; en 2016, on y a atteint les 49 °C plusieurs jours de suite – au mois de mai. En Arabie saoudite, où les températures estivales atteignent souvent cette valeur, 700.000 barils de pétrole ont brûlés chaque jour pendant l’été, principalement afin de faire fonctionner les appareils de climatisation de la nation.
Il est vrai qu’ils sont utiles pour lutter contre la chaleur, bien sûr, mais l’air conditionné et les ventilateurs composent 10% de l’ensemble de la consommation d’électricité globale (ndlr, en grande partie produite par des sources d’énergie émettrices de CO2). On s’attend à voir la demande tripler ou quadrupler 20 peut-être d’ici à 2050; à en croire une estimation, le monde comptera 700 millions de climatiseurs supplémentaires d’ici à 2030. Selon une autre étude, d’ici à 2050, il y aura plus de 9 milliards d’appareils de refroidissement de toutes sortes sur la planète. Sans même parler des centres commerciaux climatisés des Émirats arabes unis, il n’y a rien d’un tant soit peu économique, encore moins “vert”, dans la vente en gros de la climatisation en direction de toutes les régions les plus chaudes, qui sont également la plupart du temps les plus pauvres. D’ailleurs la crise sera particulièrement dramatique partout au Moyen-Orient et dans le golfe Persique, où en 2015 l’indice de chaleur enregistrait des températures autour de 72 °C. D’ici quelques décennies, il sera physiquement impossible d’accomplir le hadj pour bon nombre des 2 millions de musulmans qui effectuent ce pèlerinage chaque année.
Ce n’est pas seulement le hadj, ce n’est pas uniquement La Mecque. Au Salvador, dans la région où se cultive la canne à sucre, près d’un cinquième de la population – plus d’un quart de la population masculine – souffre de maladie chronique des reins, séquelle probable de la déshydratation provoquée par les travaux dans les champs; il y a une vingtaine d’années, la récolte se faisait dans des conditions confortables. Avec la dialyse, coûteuse, ceux qui souffrent d’insuffisance rénale peuvent vivre jusqu’à cinq ans de plus; sans, l’espérance de vie se mesure en semaines. Bien sûr, le stress thermique ne s’en prendra pas seulement à nos reins. Alors même que j’écris cette phrase, dans le désert californien, à la mi-juin, il fait 49,5 °C à l’extérieur de ma maison. Et ce n’est pas un record.
Si les cosmologistes jugent absolument improbable qu’une intelligence aussi avancée que celle des humains ait pu évoluer ailleurs, c’est parce qu’on y trouve précisément ce genre de conditions: chacune des planètes inhabitables est là pour nous rappeler, en creux, combien un ensemble de circonstances unique est indisensable pour produire un équilibre climatique favorable à l’apparition de la vie. Pour autant que nous le sachions, aucune vie intelligente n’a jamais évolué où que ce soit dans l’univers en dehors de l’étroite fourchette de températures “juste bien”, comme dit Boucle d’Or, ayant permis l’évolution humaine – températures que nous avons maintenant laissées derrière nous, à jamais, probablement.
Jusqu’où grimperont-elles.
La question peut paraître scientifique, elle peut sembler appeler à l’expertise, mais la réponse est en réalité presque entièrement citoyenne autant dire politique. La menace du changement climatique est variable; l’incertitude lui donne une apparence changeante. Quand la planète aura-t-elle pris 2 °C? Quand passera-t-elle à 3 °C?
De combien le niveau de la mer aura-t-il augmenté en 2030, 2050, 2100, lorsque nos enfants laisseront la Terre aux bons soins de leurs enfants et petits-enfants? Quelles villes seront englouties? Quelles forêts seront dégradées? Quels greniers seront vides? De ces incertitudes naîtront les grands métarécits liés au changement climatique dans les décennies à venir – il est effrayant de ne pas savoir à quoi ressemblera le monde dans lequel nous vivrons, ne serait-ce que d’ici à dix ou vingt ans, quand, de notre côté, nous aurons toujours la même maison, le même crédit, les mêmes séries à la télévision, les mêmes juges auprès de qui faire appel à la Cour suprême des États-Unis.
Mais s’il existe bien certaines choses que la science ignore concernant la manière dont le climat réagira à la quantité considérable de CO2 que nous avons rejetée dans l’air, l’incertitude quant aux conséquences – cette obsédante incertitude – n’est pas issue de l’ignorance scientifique, mais surtout et avant tout de notre réaction, qui reste une question ouverte. C’est-à-dire, principalement, quelle quantité de dioxyde de carbone nous décidons d’émettre – ce n’est pas une question de sciences naturelles, mais humaines. Les climatologues peuvent aujourd’hui prédire avec une précision troublante quand frappera un ouragan et avec quelle intensité, parfois une bonne semaine avant qu’il survienne. Cela ne s’explique pas simplement par la performance des modèles, mais aussi par la connaissance de l’ensemble des données. En matière de réchauffement climatique, ces modèles sont tout aussi performants, mais une donnée clé reste un mystère: que ferons-nous?
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Chacune des planètes inhabitables nous rappelle combien un ensemble de circonstances unique est indispensable pour produire un équilibre climatique favorable à l’apparition de la vie intelligente.
Chacune des planètes inhabitables nous rappelle combien un ensemble de circonstances unique est indispensable pour produire un équilibre climatique favorable à l’apparition de la vie intelligente.
Chacune des planètes inhabitables nous rappelle combien un ensemble de circonstances unique est indispensable pour produire un équilibre climatique favorable à l’apparition de la vie intelligente.
Notre bilan, malheureusement, ne laisse guère place à l’optimisme (…) En 2016, c’était hier, était adopté le fameux accord de Paris sur le climat – il définissait une cible à atteindre, 2 °C de réchauffement, et enjoignait toutes les nations à s’y atteler. Les retours sont déjà terriblement déprimants. En 2017, les émissions de dioxyde de carbone ont augmenté de 1,4% 25, à en croire l’Agence internationale de l’énergie, après deux années dont les optimistes espéraient qu’elles représentaient un tassement ou un maximum; au lieu de ça, c’est reparti. Même avant le nouveau pic, aucune des principales nations industrialisées n’était en passe de remplir les engagements pris lors du traité de Paris. Bien sûr, cet accord était censé nous maintenir à seulement 3,2 °C de hausse ; pour que la planète reste en dessous des 2 °C, toutes les nations signataires doivent faire mieux que ce qu’elles ont annoncé (...)
On perd à tous les coups au petit jeu des projections sur le réchauffement, étant donné le nombre d’incertitudes politiques en jeu; mais si la meilleure issue possible nous place face à un réchauffement entre 2 et 2,5 °C en 2100, la plus probable, la partie la plus épaisse de la courbe des probabilités se situe donc à environ 3 °C, ou un peu plus. Sans compter qu’il existe une incertitude scientifique, la possibilité que nous sous-estimions les effets de ces “boucles de rétroactions” sur les systèmes naturels, que nous ne comprenons pas très bien. Selon la théorie dite du “Hot Spot”, le déclenchement de certains processus pourrait nous amener à 4 °C de réchauffement en 2100, même en cas de réduction marquée des émissions dans les décennies à venir. Mais les résultats affichés depuis Kyoto indiquent que le manque de lucidité des humains rend toute affirmation sur l’avenir improductive; mieux vaut envisager l’ensemble des possibilités – et elles sont tout bonnement infinies.
Les villes, où se concentrera la majeure partie de la population mondiale dans un futur proche, ne font qu’accroître le problème des fortes températures. L’asphalte, le béton, tout ce qui densifie une ville, y compris la chair humaine, absorbent la chaleur ambiante, la stockant essentiellement pendant un temps, à la manière d’un poison lent; c’est particulièrement problématique lors d’une canicule, car le répit nocturne est vital, permettant au corps de se remettre. Lorsque ces répits deviennent plus brefs, plus superficiels, la chair continue tout simplement à chauffer. Le bitume des villes absorbe de telles quantités de chaleur pendant le jour qu’au moment où elle est libérée, la nuit, elle peut faire grimper la température locale de 5 °C, transformant ce qui pourrait être des journées de chaleur supportable en canicule mortelle. À Chicago en 1995, ces conditions avaient provoqué la mort de 739 personnes: aux effets directs de la chaleur s’ajoutaient les défaillances des infrastructures de santé publique. Ce chiffre fréquemment cité ne reflète que les victimes immédiates ; plusieurs milliers de personnes se sont rendues à l’hôpital durant cette période, parmi lesquelles près de la moitié sont décédées dans l’année. D’autres ont simplement souffert de lésions cérébrales permanentes. Les scientifiques parlent d’effet d’“îlot de chaleur urbain” – chaque ville est son propre espace fermé et, plus il est envahi de monde, plus il y fait chaud.
Bien sûr, la planète s’urbanise rapidement, les Nations unies estiment que les deux tiers de la population mondiale vivront en ville d’ici à 2050 – soit 2,5 milliards de nouveaux urbains. Pendant un siècle, ou davantage, la ville a semblé être une vision du futur – on ne cesse d’inventer de nouvelles tailles de métropoles: sont apparues celles de plus de 5 millions de personnes, puis de plus de 10, enfin de plus de 20 millions. Il est peu probable que le changement climatique freine véritablement cette tendance, mais il rendra les grandes migrations, qui en sont le pendant, plus dangereuses – les ambitieux du monde se ruant par millions dans des villes rythmées par des journées de chaleur mortelle, attirés par ces nouvelles mégalopoles comme des papillons par une flamme.
En théorie, le changement climatique pourrait même inverser ces migrations de manière plus radicale que le crime ne l’a fait dans de nombreuses villes américaines lors du siècle dernier. En effet, les villes devenues dans certaines parties du monde insupportables repousseront vers l’extérieur des populations urbaines. Sous l’effet de la chaleur, les routes commenceront à fondre, les voies ferrées à se déformer – en réalité, c’est déjà le cas, mais ces épisodes seront de plus en plus fréquents dans les décennies à venir. On compte à présent 354 villes majeures dont la température estivale maximale atteint, en moyenne, 35 °C ou plus.
D’ici à 2050, cette liste pourrait passer à 970 et le nombre d’habitants exposés à ce type de chaleur mortelle pourrait être multiplié par huit, atteignant 1,6 milliard. Rien qu’aux États-Unis, 70.000 travailleurs ont été gravement blessés à cause de la chaleur depuis 1992 et d’ici à 2050, on s’attend à 255 000 victimes de ses effets directs à l’échelle de la planète. Déjà plus d’un milliard d’entre nous risquent le stress thermique et un tiers de la population mondiale est sujette, au moins vingt jours par an, à des vagues de chaleur mortelles. D’ici à 2100, ce tiers deviendra une moitié, même si nous parvenons à limiter la hausse des températures juste en dessous des 2 °C. Dans le cas contraire, le chiffre pourrait atteindre les trois quarts.
Aux États-Unis, le coup de chaleur a une réputation navrante – c’est un genre de plaie dont on entend parler en camp de vacances, un peu comme une crampe lorsqu’on fait de la natation. Mais les décès de ce type comptent parmi les punitions les plus cruelles infligées au corps humain, aussi douloureuses et déstabilisantes que l’hypothermie. Tout commence par “un épuisement dû à la chaleur”, qui se traduit principalement par des marques de déshydratation: suées abondantes, nausées, maux de tête. Au-delà d’un certain point, cependant, l’eau ne sert plus à rien, la température interne grimpe et le corps envoie du sang en direction de la peau pour tenter, désespérément, de la rafraîchir. La peau rougit; les organes internes lâchent progressivement. Transpirer peut même finir par devenir impossible. Le cerveau, lui aussi, cesse de fonctionner correctement et il peut arriver, après une période d’agitation et de combativité, que l’épisode s’achève par une crise cardiaque mortelle. En cas de chaleur extrême, a écrit Langewiesche, vous ne pouvez pas plus échapper aux conditions que vous ne pouvez vous débarrasser de votre peau. ■
Courtesy Robert Laffont.
Notre bilan, malheureusement, ne laisse guère place à l’optimisme (…) En 2016, c’était hier, était adopté le fameux accord de Paris sur le climat – il définissait une cible à atteindre, 2 °C de réchauffement, et enjoignait toutes les nations à s’y atteler. Les retours sont déjà terriblement déprimants. En 2017, les émissions de dioxyde de carbone ont augmenté de 1,4% 25, à en croire l’Agence internationale de l’énergie, après deux années dont les optimistes espéraient qu’elles représentaient un tassement ou un maximum; au lieu de ça, c’est reparti. Même avant le nouveau pic, aucune des principales nations industrialisées n’était en passe de remplir les engagements pris lors du traité de Paris. Bien sûr, cet accord était censé nous maintenir à seulement 3,2 °C de hausse ; pour que la planète reste en dessous des 2 °C, toutes les nations signataires doivent faire mieux que ce qu’elles ont annoncé (...)
On perd à tous les coups au petit jeu des projections sur le réchauffement, étant donné le nombre d’incertitudes politiques en jeu; mais si la meilleure issue possible nous place face à un réchauffement entre 2 et 2,5 °C en 2100, la plus probable, la partie la plus épaisse de la courbe des probabilités se situe donc à environ 3 °C, ou un peu plus. Sans compter qu’il existe une incertitude scientifique, la possibilité que nous sous-estimions les effets de ces “boucles de rétroactions” sur les systèmes naturels, que nous ne comprenons pas très bien. Selon la théorie dite du “Hot Spot”, le déclenchement de certains processus pourrait nous amener à 4 °C de réchauffement en 2100, même en cas de réduction marquée des émissions dans les décennies à venir. Mais les résultats affichés depuis Kyoto indiquent que le manque de lucidité des humains rend toute affirmation sur l’avenir improductive; mieux vaut envisager l’ensemble des possibilités – et elles sont tout bonnement infinies.
Les villes, où se concentrera la majeure partie de la population mondiale dans un futur proche, ne font qu’accroître le problème des fortes températures. L’asphalte, le béton, tout ce qui densifie une ville, y compris la chair humaine, absorbent la chaleur ambiante, la stockant essentiellement pendant un temps, à la manière d’un poison lent; c’est particulièrement problématique lors d’une canicule, car le répit nocturne est vital, permettant au corps de se remettre. Lorsque ces répits deviennent plus brefs, plus superficiels, la chair continue tout simplement à chauffer. Le bitume des villes absorbe de telles quantités de chaleur pendant le jour qu’au moment où elle est libérée, la nuit, elle peut faire grimper la température locale de 5 °C, transformant ce qui pourrait être des journées de chaleur supportable en canicule mortelle. À Chicago en 1995, ces conditions avaient provoqué la mort de 739 personnes: aux effets directs de la chaleur s’ajoutaient les défaillances des infrastructures de santé publique. Ce chiffre fréquemment cité ne reflète que les victimes immédiates ; plusieurs milliers de personnes se sont rendues à l’hôpital durant cette période, parmi lesquelles près de la moitié sont décédées dans l’année. D’autres ont simplement souffert de lésions cérébrales permanentes. Les scientifiques parlent d’effet d’“îlot de chaleur urbain” – chaque ville est son propre espace fermé et, plus il est envahi de monde, plus il y fait chaud.
Bien sûr, la planète s’urbanise rapidement, les Nations unies estiment que les deux tiers de la population mondiale vivront en ville d’ici à 2050 – soit 2,5 milliards de nouveaux urbains. Pendant un siècle, ou davantage, la ville a semblé être une vision du futur – on ne cesse d’inventer de nouvelles tailles de métropoles: sont apparues celles de plus de 5 millions de personnes, puis de plus de 10, enfin de plus de 20 millions. Il est peu probable que le changement climatique freine véritablement cette tendance, mais il rendra les grandes migrations, qui en sont le pendant, plus dangereuses – les ambitieux du monde se ruant par millions dans des villes rythmées par des journées de chaleur mortelle, attirés par ces nouvelles mégalopoles comme des papillons par une flamme.
En théorie, le changement climatique pourrait même inverser ces migrations de manière plus radicale que le crime ne l’a fait dans de nombreuses villes américaines lors du siècle dernier. En effet, les villes devenues dans certaines parties du monde insupportables repousseront vers l’extérieur des populations urbaines. Sous l’effet de la chaleur, les routes commenceront à fondre, les voies ferrées à se déformer – en réalité, c’est déjà le cas, mais ces épisodes seront de plus en plus fréquents dans les décennies à venir. On compte à présent 354 villes majeures dont la température estivale maximale atteint, en moyenne, 35 °C ou plus.
D’ici à 2050, cette liste pourrait passer à 970 et le nombre d’habitants exposés à ce type de chaleur mortelle pourrait être multiplié par huit, atteignant 1,6 milliard. Rien qu’aux États-Unis, 70.000 travailleurs ont été gravement blessés à cause de la chaleur depuis 1992 et d’ici à 2050, on s’attend à 255 000 victimes de ses effets directs à l’échelle de la planète. Déjà plus d’un milliard d’entre nous risquent le stress thermique et un tiers de la population mondiale est sujette, au moins vingt jours par an, à des vagues de chaleur mortelles. D’ici à 2100, ce tiers deviendra une moitié, même si nous parvenons à limiter la hausse des températures juste en dessous des 2 °C. Dans le cas contraire, le chiffre pourrait atteindre les trois quarts.
Aux États-Unis, le coup de chaleur a une réputation navrante – c’est un genre de plaie dont on entend parler en camp de vacances, un peu comme une crampe lorsqu’on fait de la natation. Mais les décès de ce type comptent parmi les punitions les plus cruelles infligées au corps humain, aussi douloureuses et déstabilisantes que l’hypothermie. Tout commence par “un épuisement dû à la chaleur”, qui se traduit principalement par des marques de déshydratation: suées abondantes, nausées, maux de tête. Au-delà d’un certain point, cependant, l’eau ne sert plus à rien, la température interne grimpe et le corps envoie du sang en direction de la peau pour tenter, désespérément, de la rafraîchir. La peau rougit; les organes internes lâchent progressivement. Transpirer peut même finir par devenir impossible. Le cerveau, lui aussi, cesse de fonctionner correctement et il peut arriver, après une période d’agitation et de combativité, que l’épisode s’achève par une crise cardiaque mortelle. En cas de chaleur extrême, a écrit Langewiesche, vous ne pouvez pas plus échapper aux conditions que vous ne pouvez vous débarrasser de votre peau. ■
Courtesy Robert Laffont.
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David Wallace-Wells, journaliste d’investigation, rédacteur-en-chef du New York Magazine, est l’auteur de l’essai La Terre inhabitable (Laffont 2019, 396 p), devenu un classique de la collapsologie, dont ce texte est extrait.