MOINS D’ESPÈCES,
PLUS DE VIRUS
Frédéric Joignot, Patrick Deval
MOINS D’ESPÈCES,
PLUS DE VIRUS
Frédéric Joignot, Patrick Deval
© Sandy Millar.
“Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle”, disait Amadou Hampâté Bâ, le sage venu d’Afrique. Sommes-nous tous en passe d’être atteints de la maladie d’Alzheimer, amnésiques, notre mémoire perdue, oublieux, stupéfaits, échoués au bord de la vie? Le pin Wollemi est une espèce de conifère de la famille des Araucaria datant d’au moins 110 millions d’années. Connu uniquement par ses fossiles, on le croyait disparu depuis la fin du Crétacé il y a 65 millions d’années, jusqu’à ce qu’une espèce australienne vivace, le Wollemia nobilis ait été découverte dans une gorge perdue du Nord des Montagnes Bleues de l’Est australien par un botaniste aventureux, David Noble en 1994.
On ne trouve le pin Wollemi que dans quatre petites vallées encaissées au nombre de 250 individus poussant dans un rayon de trois kilomètres. C’est dire sa rareté. Cet arbre, vestige du Crétacé, qui a survécu des millions d’années bien caché, vient d’être frôlé par les récents incendies géants qui ont touché l’Australie et l’ont menacé d’extinction. L’existence de ces arbres prouve qu’ils ont pu survivre à des feux et des sécheresses au cours de leur histoire beaucoup plus longue que la nôtre. Les pins Wollemi qui poussent là ont peut-être mille ans d’âge, leur tronc noirci et carbonisé en atteste. Les bushfires sont surtout un problème pour les jeunes pousses qui n’ont pas encore l’écorce épaisse qui pourrait les protéger. Cet arbre nous envoie un autre message de l’impact humain durablement destructeur sur notre planète.
La communauté scientifique estime que la Terre connaît une nouvelle extinction de masse marquée par la disparition d’espèces de la faune et la flore à un rythme accéléré, principalement due à l’activité humaine. C’est la sixième. Depuis 500 millions d’années, la planète a vécu cinq précédents épisodes au cours desquels au moins la moitié des créatures vivantes ont été éradiquées en un clin d’œil au regard de l’histoire géologique. Au total, plus de 90% des organismes qui ont un jour poussé, marché, nagé, volé ou rampé ont aujourd’hui disparu.
La première est celle du Dévonien il y a environ 360 à 375 millions d’années qui fit disparaitre jusqu’à 75% des espèces. En cause probablement l’épuisement de l’oxygène dans les océans. Les organismes marins ont été les plus touchés. La fluctuation du niveau des océans, le changement du climat ou l’impact d’un astéroïde sont suspectés d’en être responsables. Quelques rares poches de vie, fossiles vivants, incarnent et attestent de ces mondes disparus. Présent dans les fossiles du Dévonien au Crétacé (395 millions à 66 millions d’années auparavant), le coelacanthe, poisson pourvu d’os à nageoires charnues et d’un vestige de poumon ancestral a trouvé refuge dans les fosses marines du canal de Mozambique avant d’être découvert et pêché pour la première fois en 1938 au large de Madagascar. Menacé d’extinction, on estime leur nombre à 300 individus.
Notre planète a connu un deuxième événement d’extinction de masse à la fin du Guadalupien, ou Permien moyen, commencé il y a environ 272 millions d’années pour s’achever il y a quelque 260 millions d’années. La crise biologique advenue sur terre identifiée par les chercheurs coïncide avec l’éruption basaltique massive qui s’est alors produite dans la province d’Emeishan au Sud-Est de la Chine. Ces éruptions colossales libèrent de grandes quantités de gaz à effet de serre, en particulier du dioxyde de carbone et du méthane, qui provoquent un réchauffement climatique grave, avec des océans chauds et pauvres en oxygène qui inhibent la vie marine.
La troisième extinction s’est produite à la fin du Permien, il y a environ
252 millions d’années. 95% des espèces vivantes disparurent alors.
En cause probablement les impacts d’astéroïdes et l’activité volcanique.
Parfois qualifiée de “mère de toutes les extinctions”, cette crise biologique de grande ampleur a dévasté les océans et les terres. Elle est la seule à avoir également pratiquement vu la disparition des insectes. Certains scientifiques estiment qu’elle s’est produite sur une période de millions d’années, d’autres seulement sur 200.000 ans.
____
“Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle”, disait Amadou Hampâté Bâ, le sage venu d’Afrique. Sommes-nous tous en passe d’être atteints de la maladie d’Alzheimer, amnésiques, notre mémoire perdue, oublieux, stupéfaits, échoués au bord de la vie? Le pin Wollemi est une espèce de conifère de la famille des Araucaria datant d’au moins 110 millions d’années. Connu uniquement par ses fossiles, on le croyait disparu depuis la fin du Crétacé il y a 65 millions d’années, jusqu’à ce qu’une espèce australienne vivace, le Wollemia nobilis ait été découverte dans une gorge perdue du Nord des Montagnes Bleues de l’Est australien par un botaniste aventureux, David Noble en 1994.
On ne trouve le pin Wollemi que dans quatre petites vallées encaissées au nombre de 250 individus poussant dans un rayon de trois kilomètres. C’est dire sa rareté. Cet arbre, vestige du Crétacé, qui a survécu des millions d’années bien caché, vient d’être frôlé par les récents incendies géants qui ont touché l’Australie et l’ont menacé d’extinction. L’existence de ces arbres prouve qu’ils ont pu survivre à des feux et des sécheresses au cours de leur histoire beaucoup plus longue que la nôtre. Les pins Wollemi qui poussent là ont peut-être mille ans d’âge, leur tronc noirci et carbonisé en atteste. Les bushfires sont surtout un problème pour les jeunes pousses qui n’ont pas encore l’écorce épaisse qui pourrait les protéger. Cet arbre nous envoie un autre message de l’impact humain durablement destructeur sur notre planète.
La communauté scientifique estime que la Terre connaît une nouvelle extinction de masse marquée par la disparition d’espèces de la faune et la flore à un rythme accéléré, principalement due à l’activité humaine. C’est la sixième. Depuis 500 millions d’années, la planète a vécu cinq précédents épisodes au cours desquels au moins la moitié des créatures vivantes ont été éradiquées en un clin d’œil au regard de l’histoire géologique. Au total, plus de 90% des organismes qui ont un jour poussé, marché, nagé, volé ou rampé ont aujourd’hui disparu.
La première est celle du Dévonien il y a environ 360 à 375 millions d’années qui fit disparaitre jusqu’à 75% des espèces. En cause probablement l’épuisement de l’oxygène dans les océans. Les organismes marins ont été les plus touchés. La fluctuation du niveau des océans, le changement du climat ou l’impact d’un astéroïde sont suspectés d’en être responsables. Quelques rares poches de vie, fossiles vivants, incarnent et attestent de ces mondes disparus. Présent dans les fossiles du Dévonien au Crétacé (395 millions à 66 millions d’années auparavant), le coelacanthe, poisson pourvu d’os à nageoires charnues et d’un vestige de poumon ancestral a trouvé refuge dans les fosses marines du canal de Mozambique avant d’être découvert et pêché pour la première fois en 1938 au large de Madagascar. Menacé d’extinction, on estime leur nombre à 300 individus.
Notre planète a connu un deuxième événement d’extinction de masse à la fin du Guadalupien, ou Permien moyen, commencé il y a environ 272 millions d’années pour s’achever il y a quelque 260 millions d’années. La crise biologique advenue sur terre identifiée par les chercheurs coïncide avec l’éruption basaltique massive qui s’est alors produite dans la province d’Emeishan au Sud-Est de la Chine. Ces éruptions colossales libèrent de grandes quantités de gaz à effet de serre, en particulier du dioxyde de carbone et du méthane, qui provoquent un réchauffement climatique grave, avec des océans chauds et pauvres en oxygène qui inhibent la vie marine.
La troisième extinction s’est produite à la fin du Permien, il y a environ 252 millions d’années. 95% des espèces vivantes disparurent alors. En cause probablement les impacts d’astéroïdes et l’activité volcanique. Parfois qualifiée de “mère de toutes les extinctions”, cette crise biologique de grande ampleur a dévasté les océans et les terres. Elle est la seule à avoir également pratiquement vu la disparition des insectes. Certains scientifiques estiment qu’elle s’est produite sur une période de millions d’années, d’autres seulement sur 200.000 ans.
“Des pandémies se reproduiront si la logique des interactions actuelles entre les populations humaines et la biodiversité n’est pas fondamenta-lement remise en cause.”
Sachant les éléments précédents, peut-on défendre l’idée que la pandémie actuelle aurait pu être mieux anticipée? La réponse est probablement positive. En effet, des travaux scientifiques montrent une relation directe entre les menaces qui pèsent sur la biodiversité et la multiplication des zoonoses. Les épidémies associées aux virus Marburg, Ebola, ou Hendra, le SRAS ou encore la pandémie dite “grippe A” (H1N1) ont constitué des alertes majeures. Plus spécifiquement, dans un article de synthèse paru en 2007, soit treize ans avant la pandémie actuelle, une équipe chinoise indiquait que la présence chez les microchiroptères locaux du genre Rhinolophus d’un vaste réservoir de virus potentiellement responsables chez les humains d’affections respiratoires aiguës, constituait un danger majeur compte tenu de la consommation de viande de mammifères sauvages exotiques en Chine du Sud.
Dans le même temps, comme on l’a vu, la communauté scientifique a souligné, et cela depuis plusieurs dizaines d’années, l’importance de l’érosion de la biodiversité et alerté sur l’accélération récente de ce phénomène, concomitant avec l’augmentation des zoonoses. Une plus grande attention aux faits scientifiques, notamment ceux établis aux interfaces entre sciences de la santé et sciences de la biodiversité, ainsi que des mesures effectives de réduction de la dégradation de la biodiversité, y compris l’arrêt effectif du commerce et de la consommation d’animaux sauvages – protégés ou non – auraient probablement pu réduire les risques d’apparition d’une pandémie telle que celle à laquelle l’humanité est aujourd’hui confrontée.
Des pandémies analogues se reproduiront si la logique des interactions actuelles entre les populations humaines et la biodiversité n’est pas fondamentalement remise en cause. Comme l’a souligné l’Ipbes en 2019, ces interactions dépendent de manière ultime de nos valeurs, lesquelles, en ce qui concerne la biodiversité, sont multiples et font l’objet de nombreux débat en éthique environnementale. Mais, même du point de vue le plus pragmatique et anthropocentré, si on veut que l’humanité continue à tirer avantage des services écosystémiques qu’elle retire de la biodiversité notamment pour couvrir ses besoins alimentaires, comme le montrent les travaux des modélisateurs, et ralentir l’apparition des zoonoses, il est essentiel de protéger activement ce qui reste de biodiversité sauvage.
Cela exige l’augmentation de la surface d’espaces protégés et, dans le même temps, la réduction rapide et drastique des pressions sur la biodiversité hors de ces espaces, y compris dans les milieux agricoles et urbains. Ceci revient à combiner land sparing (mise en protection de certains espaces) et land sharing (coexistence avec la biodiversité présente en dehors des espaces protégés). Plus spécifiquement, la destruction des écosystèmes et donc des habitats de la vie sauvage résiduelle doit être impérativement stoppée. Les politiques de préservation de la biodiversité et des services qu’on en tire pour notre alimentation et notre santé doivent intégrer sa dimension intrinsèquement évolutive, au sens darwinien du terme.
Au-delà de ces enjeux immédiats pour la sécurité et le bien-être humains, notre capacité à respecter la biodiversité non humaine et la poursuite de son évolution contribue à définir notre humanité. La préservation des espaces où la biodiversité non humaine pourra évoluer est la condition première à sa protection. Ceci nécessite de développer une politique ambitieuse de création et de renforcement des aires protégées tant terrestres que marines, en prenant en compte l’incidence attendue du changement climatique sur la distribution des espèces et des biomes. Une partie significative de ces aires doit être dotée de statuts de protection forte, qui les soustraient aux pressions anthropiques, où les humains sont des visiteurs discrets, et leurs activités fortement régulées, de manière à en maximiser l’efficacité en matière de protection et aussi à limiterles interactions entre les humains et la faune sauvage. Cette politique n’aura cependant de sens que si elle prend en compte les droits et le bien-être des populations locales concernées et est assortie de mesures d’accompagnement innovantes au bénéfice de ces populations.
Protéger la biodiversité sauvage permet aussi un bon fonctionnement des processus de régulation naturelle. Par exemple, les prédateurs contribuent à réguler les populations de rongeurs qui sont souvent des hôtes de virus ou bactéries pathogènes pour l’homme, transmissibles notamment via les tiques et peuvent par conséquent limiter la diffusion de maladies. La préservation des oiseaux charognards permet aussi d’assurer l’élimination des carcasses d’animaux morts et d’éviter ainsi l’émergence de maladies. Comme l’a souligné la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, réduire les pressions anthropiques sur l’environnement est un objectif qui peut être décliné à court terme sans attendre nécessairement que les impacts précis de ces facteurs sur différents composants de la biodiversité ne soient complètement élucidés. Le concept d’empreinte écologique constitue un levier décisif pour mettre en place une politique ambitieuse de réduction des pressions que l’homme exerce sur la biodiversité. Plus largement, ce sont donc nos options de développement et les politiques socio-économiques et environnementales afférentes qu’il faut reconcevoir. Les transitions écologiques doivent concerner tous les secteurs économiques et industriels, mais également les valeurs à l’origine de nos modes de gouvernance et de consommation (...)
____
“Des pandémies se reproduiront si la logique des interactions actuelles entre les populations humaines et la biodiversité n’est pas fondamentale-ment remise en cause.”
Sachant les éléments précédents, peut-on défendre l’idée que la pandémie actuelle aurait pu être mieux anticipée? La réponse est probablement positive. En effet, des travaux scientifiques montrent une relation directe entre les menaces qui pèsent sur la biodiversité et la multiplication des zoonoses. Les épidémies associées aux virus Marburg, Ebola, ou Hendra, le SRAS ou encore la pandémie dite “grippe A” (H1N1) ont constitué des alertes majeures. Plus spécifiquement, dans un article de synthèse paru en 2007, soit treize ans avant la pandémie actuelle, une équipe chinoise indiquait que la présence chez les microchiroptères locaux du genre Rhinolophus d’un vaste réservoir de virus potentiellement responsables chez les humains d’affections respiratoires aiguës, constituait un danger majeur compte tenu de la consommation de viande de mammifères sauvages exotiques en Chine du Sud.
Dans le même temps, comme on l’a vu, la communauté scientifique a souligné, et cela depuis plusieurs dizaines d’années, l’importance de l’érosion de la biodiversité et alerté sur l’accélération récente de ce phénomène, concomitant avec l’augmentation des zoonoses. Une plus grande attention aux faits scientifiques, notamment ceux établis aux interfaces entre sciences de la santé et sciences de la biodiversité, ainsi que des mesures effectives de réduction de la dégradation de la biodiversité, y compris l’arrêt effectif du commerce et de la consommation d’animaux sauvages – protégés ou non – auraient probablement pu réduire les risques d’apparition d’une pandémie telle que celle à laquelle l’humanité est aujourd’hui confrontée.
Des pandémies analogues se reproduiront si la logique des interactions actuelles entre les populations humaines et la biodiversité n’est pas fondamentalement remise en cause. Comme l’a souligné l’Ipbes en 2019, ces interactions dépendent de manière ultime de nos valeurs, lesquelles, en ce qui concerne la biodiversité, sont multiples et font l’objet de nombreux débat en éthique environnementale. Mais, même du point de vue le plus pragmatique et anthropocentré, si on veut que l’humanité continue à tirer avantage des services écosystémiques qu’elle retire de la biodiversité notamment pour couvrir ses besoins alimentaires, comme le montrent les travaux des modélisateurs, et ralentir l’apparition des zoonoses, il est essentiel de protéger activement ce qui reste de biodiversité sauvage.
Cela exige l’augmentation de la surface d’espaces protégés et, dans le même temps, la réduction rapide et drastique des pressions sur la biodiversité hors de ces espaces, y compris dans les milieux agricoles et urbains. Ceci revient à combiner land sparing (mise en protection de certains espaces) et land sharing (coexistence avec la biodiversité présente en dehors des espaces protégés). Plus spécifiquement, la destruction des écosystèmes et donc des habitats de la vie sauvage résiduelle doit être impérativement stoppée. Les politiques de préservation de la biodiversité et des services qu’on en tire pour notre alimentation et notre santé doivent intégrer sa dimension intrinsèquement évolutive, au sens darwinien du terme.
Au-delà de ces enjeux immédiats pour la sécurité et le bien-être humains, notre capacité à respecter la biodiversité non humaine et la poursuite de son évolution contribue à définir notre humanité. La préservation des espaces où la biodiversité non humaine pourra évoluer est la condition première à sa protection. Ceci nécessite de développer une politique ambitieuse de création et de renforcement des aires protégées tant terrestres que marines, en prenant en compte l’incidence attendue du changement climatique sur la distribution des espèces et des biomes. Une partie significative de ces aires doit être dotée de statuts de protection forte, qui les soustraient aux pressions anthropiques, où les humains sont des visiteurs discrets, et leurs activités fortement régulées, de manière à en maximiser l’efficacité en matière de protection et aussi à limiterles interactions entre les humains et la faune sauvage. Cette politique n’aura cependant de sens que si elle prend en compte les droits et le bien-être des populations locales concernées et est assortie de mesures d’accompagnement innovantes au bénéfice de ces populations.
Protéger la biodiversité sauvage permet aussi un bon fonctionnement des processus de régulation naturelle. Par exemple, les prédateurs contribuent à réguler les populations de rongeurs qui sont souvent des hôtes de virus ou bactéries pathogènes pour l’homme, transmissibles notamment via les tiques et peuvent par conséquent limiter la diffusion de maladies. La préservation des oiseaux charognards permet aussi d’assurer l’élimination des carcasses d’animaux morts et d’éviter ainsi l’émergence de maladies. Comme l’a souligné la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, réduire les pressions anthropiques sur l’environnement est un objectif qui peut être décliné à court terme sans attendre nécessairement que les impacts précis de ces facteurs sur différents composants de la biodiversité ne soient complètement élucidés. Le concept d’empreinte écologique constitue un levier décisif pour mettre en place une politique ambitieuse de réduction des pressions que l’homme exerce sur la biodiversité. Plus largement, ce sont donc nos options de développement et les politiques socio-économiques et environnementales afférentes qu’il faut reconcevoir. Les transitions écologiques doivent concerner tous les secteurs économiques et industriels, mais également les valeurs à l’origine de nos modes de gouvernance et de consommation (...)
____
“L’homme de Néandertal, qui vivait sur Terre depuis 200.000 ans, disparaît vers -30.000 au contact d’Homo sapiens. Jared Diamond pense à un génocide.”
“L’homme de Néandertal, qui vivait sur Terre depuis 200.000 ans, disparaît vers -30.000 au contact d’Homo sapiens. Jared Diamond pense à un génocide.”
La quatrième extinction est celle du Trias il y a environ 200 millions d’années où disparurent 70 à 80% des espèces Les causes multiples sont toujours en débat. Une théorie évoque des éruptions massives de laves lors du morcèlement de la Pangée, dernier supercontinent, éruptions accompagnées de volumes énormes de dioxyde de carbone ayant provoqué un réchauffement climatique galopant. D’autres scientifiques suspectent des astéroïdes, mais aucun cratère n’a pour l’instant été identifié.
La cinquième extinction, celle du Crétacé il y a environ 66 millions d’années donna lieu à la disparition de 75% des espèces. La découverte d’un immense cratère dans ce qui est aujourd’hui la mer Caraïbe au large de la péninsule mexicaine du Yucatan corrobore l’hypothèse que l’impact d’un astéroïde est responsable de cette crise ayant vu la disparition des dinosaures non aviaires comme les T-Rex et les tricératops. Mais la plupart des mammifères, des tortues, des crocodiles, des grenouilles et des oiseaux ont survécu, tout comme la vie marine, dont les requins, les étoiles de mer et les oursins. En l’absence des dinosaures, les mammifères ont proliféré, conduisant à la naissance du redoutable Homo sapiens...
... L’espèce responsable de la sixième extinction en cours. Un rapport de l’ONU de 2019 sur lequel travaillent 150 experts de 50 pays depuis 3 ans alerte sur les diverses “preuves indépendantes qui signalent une accélération rapide imminente du taux d’extinction des espèces”. Sur les 8 millions d’espèces estimées (dont 5,5 millions d’espèces d’insectes), “un demi-million à un million d’espèces seraient menacées d’extinction, dont beaucoup dans les prochaines décennies.” Des projections correspondant aux mises en garde des scientifiques estiment que la Terre endure la première extinction attribuée à l’Homme, causant la disparition d’au moins 680 espèces de vertébrés depuis 500 ans.
D’après le géographe et historien de l’environnement Jared Diamond, Homo sapiens a exterminé 80% des grandes espèces qui cohabitaient avec lui quand il a conquis la Terre. Cela a commencé dés l’âge de pierre, écrit-il dans Le Troisième chimpanzé (Gallimard, Folio 2011): “Quand, les hommes franchissent le détroit de Béring, 12.000 ans avant J.C., et gagnent l’Amérique du Nord, ils se livrent à un carnage inouï. En quelques siècles, ils exterminent les tigres à dents de sabre, les lions, les élans-stags, les ours géants, les bœufs musqués, les mammouths, les mastodontes, les paresseux géants, les glyptodontes (des tatous d’une tonne), les castors colossaux, les chameaux, les grands chevaux, d’immenses troupeaux de bisons.” 73% des grands mammifères d’Amérique du Nord, 85% d’Amérique du Sud disparaissent. Et à l’échelle du monde entier, 80% des espèces de plus d’une tonne périssent.
Tuer en série, de façon concertée, les loups et les grands singes le font aussi. Mais l’homme massacre dans des proportions inégalées. Pourquoi? Homo sapiens a-t-il développé l’agressivité naturelle des primates, doublé d’un “comportement de chasseur” comme pense l’éthologue Konrad Lorenz? Jared Diamond ne tranche pas (philosophiquement, politiquement), il constate: selon lui, de ‒100.000 à ‒50.000 ans, nos ancêtres furent autant des prédateurs que des proies. Mais ensuite, il observe avec beaucoup de paléoanthropologues “un grand bond en avant de l’humanité”, sans doute à l’apparition d’un langage articulé. Un homme pleinement moderne apparaît, l’homme de Cro-Magnon en Europe, qui construit son habitat, maîtrise le feu, perfectionne ses outils, s’équipe d’armes mortelles (propulseurs, lances aiguisées, pièges, poison, etc.) et conquiert la Terre entière.
À son contact, l’homme de Néandertal, la seconde humanité évoluée, disparaît dans le Nord européen vers moins 30.000 ans, lui qui vivait sur Terre depuis 200.000 ans, enterrait ses morts et taillait la pierre. Les spécialistes polémiquent sur cette disparition. Mais beaucoup, comme Jared Diamond, pensent à une compétition violente s’achevant par un génocide. Il la déduit, comme à son habitude, par comparaison, montrant qu’à toutes les époques, souvent pour des questions de territoire, mais aussi ethniques (racistes) et psychologiques (désignation d’un bouc émissaire, infériorisation de l’autre), l’homme a cherché à anéantir ses rivaux et les minorités. De fait, des dizaines de génocides, combinant traques, massacres, épidémies, à plus ou moins grande échelle, ont eu lieu de tout temps, partout.
____
La quatrième extinction est celle du Trias il y a environ 200 millions d’années où disparurent 70 à 80% des espèces Les causes multiples sont toujours en débat. Une théorie évoque des éruptions massives de laves lors du morcèlement de la Pangée, dernier supercontinent, éruptions accompagnées de volumes énormes de dioxyde de carbone ayant provoqué un réchauffement climatique galopant. D’autres scientifiques suspectent des astéroïdes, mais aucun cratère n’a pour l’instant été identifié.
La cinquième extinction, celle du Crétacé il y a environ 66 millions d’années donna lieu à la disparition de 75% des espèces. La découverte d’un immense cratère dans ce qui est aujourd’hui la mer Caraïbe au large de la péninsule mexicaine du Yucatan corrobore l’hypothèse que l’impact d’un astéroïde est responsable de cette crise ayant vu la disparition des dinosaures non aviaires comme les T-Rex et les tricératops. Mais la plupart des mammifères, des tortues, des crocodiles, des grenouilles et des oiseaux ont survécu, tout comme la vie marine, dont les requins, les étoiles de mer et les oursins. En l’absence des dinosaures, les mammifères ont proliféré, conduisant à la naissance du redoutable Homo sapiens...
... L’espèce responsable de la sixième extinction en cours. Un rapport de l’ONU de 2019 sur lequel travaillent 150 experts de 50 pays depuis 3 ans alerte sur les diverses “preuves indépendantes qui signalent une accélération rapide imminente du taux d’extinction des espèces”. Sur les 8 millions d’espèces estimées (dont 5,5 millions d’espèces d’insectes), “un demi-million à un million d’espèces seraient menacées d’extinction, dont beaucoup dans les prochaines décennies.” Des projections correspondant aux mises en garde des scientifiques estiment que la Terre endure la première extinction attribuée à l’Homme, causant la disparition d’au moins 680 espèces de vertébrés depuis 500 ans.
D’après le géographe et historien de l’environnement Jared Diamond, Homo sapiens a exterminé 80% des grandes espèces qui cohabitaient avec lui quand il a conquis la Terre. Cela a commencé dés l’âge de pierre, écrit-il dans Le Troisième chimpanzé (Gallimard, Folio 2011): “Quand, les hommes franchissent le détroit de Béring, 12.000 ans avant J.C., et gagnent l’Amérique du Nord, ils se livrent à un carnage inouï. En quelques siècles, ils exterminent les tigres à dents de sabre, les lions, les élans-stags, les ours géants, les bœufs musqués, les mammouths, les mastodontes, les paresseux géants, les glyptodontes (des tatous d’une tonne), les castors colossaux, les chameaux, les grands chevaux, d’immenses troupeaux de bisons.” 73% des grands mammifères d’Amérique du Nord, 85% d’Amérique du Sud disparaissent. Et à l’échelle du monde entier, 80% des espèces de plus d’une tonne périssent.
Tuer en série, de façon concertée, les loups et les grands singes le font aussi. Mais l’homme massacre dans des proportions inégalées. Pourquoi? Homo sapiens a-t-il développé l’agressivité naturelle des primates, doublé d’un “comportement de chasseur” comme pense l’éthologue Konrad Lorenz? Jared Diamond ne tranche pas (philosophiquement, politiquement), il constate: selon lui, de ‒100.000 à ‒50.000 ans, nos ancêtres furent autant des prédateurs que des proies. Mais ensuite, il observe avec beaucoup de paléoanthropologues “un grand bond en avant de l’humanité”, sans doute à l’apparition d’un langage articulé. Un homme pleinement moderne apparaît, l’homme de Cro-Magnon en Europe, qui construit son habitat, maîtrise le feu, perfectionne ses outils, s’équipe d’armes mortelles (propulseurs, lances aiguisées, pièges, poison, etc.) et conquiert la Terre entière.
À son contact, l’homme de Néandertal, la seconde humanité évoluée, disparaît dans le Nord européen vers moins 30.000 ans, lui qui vivait sur Terre depuis 200.000 ans, enterrait ses morts et taillait la pierre. Les spécialistes polémiquent sur cette disparition. Mais beaucoup, comme Jared Diamond, pensent à une compétition violente s’achevant par un génocide. Il la déduit, comme à son habitude, par comparaison, montrant qu’à toutes les époques, souvent pour des questions de territoire, mais aussi ethniques (racistes) et psychologiques (désignation d’un bouc émissaire, infériorisation de l’autre), l’homme a cherché à anéantir ses rivaux et les minorités. De fait, des dizaines de génocides, combinant traques, massacres, épidémies, à plus ou moins grande échelle, ont eu lieu de tout temps, partout.
____
“Déforestation, élevage industriel, réduction des habitats naturels et maladies émergentes pandémiques sont liés.”
“Déforestation, élevage industriel, réduction des habitats naturels et maladies émergentes pandémiques sont liés.”
Et puis, accompagnant les génocides, constate Jared Diamond, les écocides. Et la sixième extinction animale. Des études récentes estiment que le taux d’extinction des vertébrés aujourd’hui, même sous des conditions stables, est 100 fois supérieur à celui de leur taux d’extinction naturel. Malheureusement, la perte de biodiversité ne cesse de s’accélérer avec la déforestation, la désertification, l’urbanisation galopante, la pêche et l’élevage industriels et le réchauffement anthropique comme le montrent depuis 15 ans les rapports successifs du GIEC et de la FAO (organisation de l’ONU pour l’alimentation). Résultat: l’extinction actuelle est comparable à une crise biologique et éco-systémique majeure puisque d’ici à 2050, on considère que 25 à 50% des espèces auront disparu, y compris dans les océans des espèces sans lesquelles de vastes pans de la population humaine ne pourront plus se nourrir.
Cette dégradation des écosystèmes et des derniers habitats naturels, qui voient leurs niches écologiques s’effondrer et leurs espèces se disperser, s’accompagne d’une multiplication des virus capables d’affecter les humains comme on l’a constaté avec effroi avec la pandémie du coronavirus – très probablement initiée par des animaux de boucherie vendus à Wuhan (pangolins infestés par des chauve-souris). Ainsi, dès février 2018, un rapport de l’OMS sur “les maladies prioritaires” nous mettait en garde sur la potentielle transmission de pathogènes depuis un animal ou “zoonose”, comme on l’a vu pendant l’épidémie de VIH (transmis par des grands singes, 36 millions de morts), l’Ebola (transmis par des chauve-souris et la viande de brousse, 12/000 morts) et le coronavirus du syndrome respiratoire MERS (800 morts) – auquel l’actuel Covid 19 est apparenté... L’OMS nous alertait encore sur l’explosion mondiale d’une possible “maladie X”, une pandémie mondiale incontrôlable, dont nous ignorerons le scénario de contamination, sans précédent historique, face à laquelle il faudra réagir vite sous peine d’une catastrophe sanitaire globale...
L’angoissante expression “maladie X” avait été inventée à l’époque par un groupe d’experts de l’OMS parmi lesquels l’américain Peter Daszak, un écologiste des maladies, qui a signé le 27 février 2020 dans le New York Times, en pleine pandémie du Covid 19, une tribune intitulée dramatiquement: “Nous savions que la maladie X arrivait. C’est ici et maintenant.” Daszak retrace dans cet article la réflexion qui a mené l’OMS à imaginer en 2008 qu’une épidémie locale inconnue, transmise par des animaux, pouvait se transformer en pandémie: “La maladie X, disions-nous à l’époque, résulterait probablement d’un virus d’origine animale et émergerait quelque part sur la planète où le développement économique rapproche les humains et la faune.” Cette maladie X “est le Covid 19” conclut-il.
La moitié des pathologies émergentes qui frappent l’humanité depuis une vingtaine d’années sont des zoonoses - 60% d’après une étude récente de l’OMS. Elles se traduisent, selon une étude de 2017 du NCBI (National Center For Biology Information, USA), par 2,5 milliards cas de maladie chaque année. Elles proviennent d’une transmission animale du fait de la colonisation brutale des dernières régions sauvages, de la déforestation qui s’aggrave, du trafic d’espèces protégées destinées à la boucherie et la médecine traditionnelle, mais encore des élevages confinés – comme l’effrayant virus Nipah passé par les batteries de porcs malaises (1998).
“De nouvelles souches de grippe ont émergé de l’élevage, égraine froidement Peter Daszak dans le New York Times. Ebola, Sras, Mers et maintenant Covid 19 sont liés à la faune. Les nouvelles pandémies commencent généralement comme des virus chez les animaux qui se transmettent aux humains lorsque nous entrons en contact avec eux.” Dégradation de la biosphère, déforestation, massacres des animaux, élevage industriel, réduction des habitats naturels et maladies émergentes, épidémies, pandémies sont liés. Voilà ce que nous répètent depuis deux ans les méta-analyses du Johns Hopkins Center et de l’OMS. Il faudra bien un jour en prendre la mesure et commencer d’imaginer, si nous voulons survivre, le bouleversement sans précédent que cela signifie dans nos stratégies d’échange, d’élevage, d’alimentation et de coexistence à l’intérieur même du monde vivant... ■
“Déforestation, élevage industriel, réduction des habitats naturels et maladies émergentes pandémiques sont liés.”
Et puis, accompagnant les génocides, constate Jared Diamond, les écocides. Et la sixième extinction animale. Des études récentes estiment que le taux d’extinction des vertébrés aujourd’hui, même sous des conditions stables, est 100 fois supérieur à celui de leur taux d’extinction naturel. Malheureusement, la perte de biodiversité ne cesse de s'accélérer avec la déforestation, la désertification, l’urbanisation galopante, la pêche et l’élevage industriels et le réchauffement anthropique comme le montrent depuis 15 ans les rapports successifs du GIEC et de la FAO (organisation de l’ONU pour l’alimentation). Résultat: l’extinction actuelle est comparable à une crise biologique et éco-systémique majeure puisque d’ici à 2050, on considère que 25 à 50% des espèces auront disparu, y compris dans les océans des espèces sans lesquelles de vastes pans de la population humaine ne pourront plus se nourrir.
Cette dégradation des écosystèmes et des derniers habitats naturels, qui voient leurs niches écologiques s’effondrer et leurs espèces se disperser, s’accompagne d’une multiplication des virus capables d’affecter les humains comme on l’a constaté avec effroi avec la pandémie du coronavirus – très probablement initiée par des animaux de boucherie vendus à Wuhan (pangolins infestés par des chauve-souris). Ainsi, dès février 2018, un rapport de l’OMS sur “les maladies prioritaires” nous mettait en garde sur la potentielle transmission de pathogènes depuis un animal ou “zoonose”, comme on l’a vu pendant l’épidémie de VIH (transmis par des grands singes, 36 millions de morts), l’Ebola (transmis par des chauve-souris et la viande de brousse, 12/000 morts) et le coronavirus du syndrome respiratoire MERS (800 morts) – auquel l’actuel Covid 19 est apparenté... L’OMS nous alertait encore sur l’explosion mondiale d’une possible “maladie X”, une pandémie mondiale incontrôlable, dont nous ignorerons le scénario de contamination, sans précédent historique, face à laquelle il faudra réagir vite sous peine d’une catastrophe sanitaire globale...
L’angoissante expression “maladie X” avait été inventée à l’époque par un groupe d’experts de l’OMS parmi lesquels l’américain Peter Daszak, un écologiste des maladies, qui a signé le 27 février 2020 dans le New York Times, en pleine pandémie du Covid 19, une tribune intitulée dramatiquement: “Nous savions que la maladie X arrivait. C’est ici et maintenant.” Daszak retrace dans cet article la réflexion qui a mené l’OMS à imaginer en 2008 qu’une épidémie locale inconnue, transmise par des animaux, pouvait se transformer en pandémie: “La maladie X, disions-nous à l’époque, résulterait probablement d’un virus d’origine animale et émergerait quelque part sur la planète où le développement économique rapproche les humains et la faune.” Cette maladie X “est le Covid 19” conclut-il.
La moitié des pathologies émergentes qui frappent l’humanité depuis une vingtaine d’années sont des zoonoses - 60% d’après une étude récente de l’OMS. Elles se traduisent, selon une étude de 2017 du NCBI (National Center For Biology Information, USA), par 2,5 milliards cas de maladie chaque année. Elles proviennent d’une transmission animale du fait de la colonisation brutale des dernières régions sauvages, de la déforestation qui s’aggrave, du trafic d’espèces protégées destinées à la boucherie et la médecine traditionnelle, mais encore des élevages confinés – comme l’effrayant virus Nipah passé par les batteries de porcs malaises (1998).
“De nouvelles souches de grippe ont émergé de l’élevage, égraine froidement Peter Daszak dans le New York Times. Ebola, Sras, Mers et maintenant Covid 19 sont liés à la faune. Les nouvelles pandémies commencent généralement comme des virus chez les animaux qui se transmettent aux humains lorsque nous entrons en contact avec eux.” Dégradation de la biosphère, déforestation, massacres des animaux, élevage industriel, réduction des habitats naturels et maladies émergentes, épidémies, pandémies sont liés. Voilà ce que nous répètent depuis deux ans les méta-analyses du Johns Hopkins Center et de l’OMS. Il faudra bien un jour en prendre la mesure et commencer d’imaginer, si nous voulons survivre, le bouleversement sans précédent que cela signifie dans nos stratégies d’échange, d’élevage, d’alimentation et de coexistence à l’intérieur même du monde vivant... ■
––––––––
Patrick Deval est cinéaste, ethnologue. Dernier ouvrage: Squaws (éditions Hoëbeke).
Frédéric Joignot, journaliste, romancier, essayiste. Dernier ouvrage: L’Art de la ruse (Tohu Bohu, 2018).