LOUP POUR LOUP
LOUP POUR LOUP
Frans de Waal
© Pawel Bogumil via LensCulture.
Un macaque refuse d’en électrocuter un autre, quitte à mourir de faim. Après les recherches de Konrad Lorenz sur l’agressivité, Frans de Waal, primatologue, a mis à jour dans ses expériences les comportements de réconciliation, d’empathie, de politique et de morale chez les primates.
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Un macaque refuse d’en électrocuter un autre, quitte à mourir de faim. Après les recherches de Konrad Lorenz sur l’agressivité, Frans de Waal, primatologue, a mis à jour dans ses expériences les comportements de réconciliation, d’empathie, de politique et de morale chez les primates.
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“Homo homini lupus” est une vieille expression latine qui est une insulte pour le loup, animal sociable, et pour nous aussi, car bien sûr nous sommes beaucoup plus sociables que le dit le proverbe. Voyez cette photo d’un homme commandant à son chien, qui montre l’homme comme l’animal le plus puissant du monde. Mais j’ai pris cette photo, non pour l’homme, mais pour le chien. Car les animaux ne font pas toujours ce que l’homme leur dit de faire, et ce qu’on fait souvent, nous les hommes, c’est projeter nos idéologies et notre connaissance de nous-mêmes sur la nature. Après ça, nous sommes surpris que les animaux ne fassent pas exactement ce qu’on avait pensé. Les animaux ne sont pas toujours des brutes, ils ne sont pas toujours agressifs, et bien sûr, j’ai vu beaucoup d’agressions entre les animaux, mais je ne vais pas parler de ça aujourd’hui puisque je vais parler de la moralité chez les animaux.
La théorie du vernis moral. Les animaux ne font pas toujours ce qu’il faut, même ce que le président des États-Unis dit ce qu’il faut qu’ils fassent, pourquoi? Chez les biologistes, beaucoup pensent que tout vient d’un processus qui est la sélection naturelle, un processus impitoyable d’élimination, dont on peut dire deux choses… c’est qu’il existe deux écoles sur la sélection naturelle. Pour l’une, la sélection peut seulement produire une nature méchante, brutale, cruelle, même chez l’homme où la moralité n’est qu’un vernis. C’est l’école dominante de ces trois dernières décennies. Beaucoup de livres sont parus pour affirmer que nous les humains sommes des monstres égoïstes, et que la moralité, on ne sait pas trop d’où elle vient, mais certainement pas de nous et de notre nature animale. Elle vient de l’extérieur, de l’homme en nous. Pourtant, la sélection peut produire une variété énorme de comportements, et aussi, voyez-vous, des espèces coopératives qui présentent des tendances morales (…) La théorie que j’appelle irrévérencieusement “la théorie du vernis moral”, nous vient de Thomas Henry Huxley, un contemporain de Charles Darwin qui défendait le darwinisme, mais en avait des idées très différentes de son concepteur. Il voyait la morale comme un éloignement de la nature, une activité uniquement humaine, affirmant qu’aucun autre animal ne fait ça, et qu’elle a été inventée par les hommes pour impressionner autrui. C’était son idée de la moralité. Dans les trente dernières années, beaucoup de biologistes ont adopté cette position. Ainsi Richard Dawkins, écrit dans Le Gène égoïste, c’est la dernière phrase de son livre: “We alone on Earth can rebel against the tyrannie of the selfish replicate”. Nous serions, selon lui, la seule espèce capable de nous battre contre notre propre nature. Comme Huxley, il pense que la moralité est un combat entre nous-mêmes et notre nature humaine méchante, animale, qui ne saurait déboucher sur la moralité. J’appelle ce courant de pensée “la sociobiologie calviniste”. D’après cette vision, un certain vernis de moralité a été inventé par nous-mêmes, elle est culturelle, ou religieuse, ou je ne sais quoi, mais en tout cas pas naturelle. Le résumé de cette théorie donne une expression de Ghiselin très connue en biologie: “Scratch an altruist and watch a hypocrite bleed” (Grattez un altruiste, et vous verrez saigner un hypocrite). C’est une expression qui définit la thèse du vernis moral.
“Homo homini lupus” est une vieille expression latine qui est une insulte pour le loup, animal sociable, et pour nous aussi, car bien sûr nous sommes beaucoup plus sociables que le dit le proverbe. Voyez cette photo d’un homme commandant à son chien, qui montre l’homme comme l’animal le plus puissant du monde. Mais j’ai pris cette photo, non pour l’homme, mais pour le chien. Car les animaux ne font pas toujours ce que l’homme leur dit de faire, et ce qu’on fait souvent, nous les hommes, c’est projeter nos idéologies et notre connaissance de nous-mêmes sur la nature. Après ça, nous sommes surpris que les animaux ne fassent pas exactement ce qu’on avait pensé. Les animaux ne sont pas toujours des brutes, ils ne sont pas toujours agressifs, et bien sûr, j’ai vu beaucoup d’agressions entre les animaux, mais je ne vais pas parler de ça aujourd’hui puisque je vais parler de la moralité chez les animaux.
La théorie du vernis moral. Les animaux ne font pas toujours ce qu’il faut, même ce que le président des États-Unis dit ce qu’il faut qu’ils fassent, pourquoi? Chez les biologistes, beaucoup pensent que tout vient d’un processus qui est la sélection naturelle, un processus impitoyable d’élimination, dont on peut dire deux choses… c’est qu’il existe deux écoles sur la sélection naturelle. Pour l’une, la sélection peut seulement produire une nature méchante, brutale, cruelle, même chez l’homme où la moralité n’est qu’un vernis. C’est l’école dominante de ces trois dernières décennies. Beaucoup de livres sont parus pour affirmer que nous les humains sommes des monstres égoïstes, et que la moralité, on ne sait pas trop d’où elle vient, mais certainement pas de nous et de notre nature animale. Elle vient de l’extérieur, de l’homme en nous. Pourtant, la sélection peut produire une variété énorme de comportements, et aussi, voyez-vous, des espèces coopératives qui présentent des tendances morales (…) La théorie que j’appelle irrévérencieusement “la théorie du vernis moral”, nous vient de Thomas Henry Huxley, un contemporain de Charles Darwin qui défendait le darwinisme, mais en avait des idées très différentes de son concepteur. Il voyait la morale comme un éloignement de la nature, une activité uniquement humaine, affirmant qu’aucun autre animal ne fait ça, et qu’elle a été inventée par les hommes pour impressionner autrui. C’était son idée de la moralité. Dans les trente dernières années, beaucoup de biologistes ont adopté cette position. Ainsi Richard Dawkins, écrit dans Le Gène égoïste, c’est la dernière phrase de son livre: “We alone on Earth can rebel against the tyrannie of the selfish replicate”. Nous serions, selon lui, la seule espèce capable de nous battre contre notre propre nature. Comme Huxley, il pense que la moralité est un combat entre nous-mêmes et notre nature humaine méchante, animale, qui ne saurait déboucher sur la moralité. J’appelle ce courant de pensée “la sociobiologie calviniste”. D’après cette vision, un certain vernis de moralité a été inventé par nous-mêmes, elle est culturelle, ou religieuse, ou je ne sais quoi, mais en tout cas pas naturelle. Le résumé de cette théorie donne une expression de Ghiselin très connue en biologie: “Scratch an altruist and watch a hypocrite bleed” (Grattez un altruiste, et vous verrez saigner un hypocrite). C’est une expression qui définit la thèse du vernis moral.
Cai Guo-Qiang. Head On. 2006. Installation views at the Power Station of Art, Shanghai, 2014. Photo by Wen-You Cai, courtesy Cai Studio.
Cai Guo-Qiang. Head On. 2006. Installation views at the Power Station of Art, Shanghai, 2014.
Photo by Wen-You Cai, courtesy Cai Studio.
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La moralité apparaît comme un comportement produit par
la sélection naturelle.
La moralité apparaît comme un comportement produit par
la sélection naturelle.
Émotions animales, émotions humaines. Nous avons vécu avec cette théorie pendant trente ans, et pour moi ce fut très dur, car je travaille avec des animaux qui montrent exactement le contraire. Darwin lui-même, toujours plus sage que Huxley, ne défendait pas du tout cette idée. Il avait lu Adam Smith et David Hume, il était très influencé par eux, et surtout, il a mené toute une enquête sur l’expression des émotions chez les animaux et les humains. Il croyait que la moralité était basée sur les émotions. Les émotions, la peur, la douleur, c’est quelque chose que l’homme partage avec les animaux. Nous éprouvons presque le même genre d’émotions que les animaux sociaux. Il existe, montre Darwin, une continuité émotionnelle avec le comportement animal, et la moralité apparaît avec, comme un aspect naturel produit par la sélection naturelle. Autrement dit, Darwin avait une vue contraire de ce que disent les biologistes ces dernières trente années.
Si je regarde les animaux que j’étudie, je vois une intense activité sociale. Je travaille avec des singes, les grands singes et les petits singes (en anglais on dit “apes” et “monkeys”). Juste après eux, c’est nous. Nous faisons partie de l’espèce des grands singes hominidés comme les chimpanzés (il n’y a que quatre espèces de grand singe), et il y a beaucoup d’espèces de “monkeys”, comme les babouins, les macaques, les capucins, etc. De très nombreuses espèces. Si les grands singes ont beaucoup plus en commun avec nous que les autres, tous les primates sont extrêmement sociaux et nous sommes des primates. Le sujet dont je vais parler est la résolution des conflits chez les singes, de l’empathie et la sympathie chez eux, la réciprocité, l’aversion de l’inéquité, d’un certain sens de justice en fait. L’empathie et la réciprocité sont la base de la moralité humaine. Sans réciprocité, et sans empathie et sympathie, il ne peut exister de moralité humaine. On peut essayer de l’imaginer, mais cela n’existerait pas. Cela ne veut pas dire qu’elles sont suffisantes, je ne veux pas dire que les chimpanzés sont des êtres moraux. Je veux seulement dire qu’il existe chez eux des éléments de base absolument nécessaires pour développer une moralité, et que ces éléments de base sont présents dans notre espèce.
Émotions animales, émotions humaines. Nous avons vécu avec cette théorie pendant trente ans, et pour moi ce fut très dur, car je travaille avec des animaux qui montrent exactement le contraire. Darwin lui-même, toujours plus sage que Huxley, ne défendait pas du tout cette idée. Il avait lu Adam Smith et David Hume, il était très influencé par eux, et surtout, il a mené toute une enquête sur l’expression des émotions chez les animaux et les humains. Il croyait que la moralité était basée sur les émotions. Les émotions, la peur, la douleur, c’est quelque chose que l’homme partage avec les animaux. Nous éprouvons presque le même genre d’émotions que les animaux sociaux. Il existe, montre Darwin, une continuité émotionnelle avec le comportement animal, et la moralité apparaît avec, comme un aspect naturel produit par la sélection naturelle. Autrement dit, Darwin avait une vue contraire de ce que disent les biologistes ces dernières trente années.
Si je regarde les animaux que j’étudie, je vois une intense activité sociale. Je travaille avec des singes, les grands singes et les petits singes (en anglais on dit “apes” et “monkeys”). Juste après eux, c’est nous. Nous faisons partie de l’espèce des grands singes hominidés comme les chimpanzés (il n’y a que quatre espèces de grand singe), et il y a beaucoup d’espèces de “monkeys”, comme les babouins, les macaques, les capucins, etc. De très nombreuses espèces. Si les grands singes ont beaucoup plus en commun avec nous que les autres, tous les primates sont extrêmement sociaux et nous sommes des primates. Le sujet dont je vais parler est la résolution des conflits chez les singes, de l’empathie et la sympathie chez eux, la réciprocité, l’aversion de l’inéquité, d’un certain sens de justice en fait. L’empathie et la réciprocité sont la base de la moralité humaine. Sans réciprocité, et sans empathie et sympathie, il ne peut exister de moralité humaine. On peut essayer de l’imaginer, mais cela n’existerait pas. Cela ne veut pas dire qu’elles sont suffisantes, je ne veux pas dire que les chimpanzés sont des êtres moraux. Je veux seulement dire qu’il existe chez eux des éléments de base absolument nécessaires pour développer une moralité, et que ces éléments de base sont présents dans notre espèce.
© Garry Winogrand.
Les rituels de réconciliation chez les macaques. J’ai fait des recherches pendant vingt-cinq ans sur la résolution des conflits chez les singes. Maintenant, on trouve peut-être cent scientifiques ou plus qui font des recherches sur la résolution des conflits entre animaux, et aussi chez les enfants, avec les mêmes méthodes d’investigation. Le principe est très simple. Ce sont deux mâles chimpanzés qui se bagarrent dans un zoo; peu après, l’un des deux tient la main de l’autre, il l’invite pour un contact, et aussitôt après ils s’embrassent. C’est ça la réconciliation. Quand j’ai commencé mes études, j’ai été très frappé par ces comportements. C’est l’époque où Konrad Lorenz étudiait l’agression, et je me suis intéressé à ce qui se passe après l’agression. Sur cette photo, un mâle chimpanzé attaque une femelle. Elle retourne au mâle dix minutes plus tard, elle offre sa main pour un “hand kiss”, c’est une façon de tester l’agressivité du mâle, et après ils s’embrassent. C’est la réconciliation. C’est quelque chose qu’on peut mesurer. La définition qu’on utilise est “une réunion amicale entre anciens adversaires peu de temps après un conflit”. Dite ainsi, la réconciliation devient mesurable. Je ne veux pas dire qu’on peut mesurer les sentiments, comme “est-ce qu’ils se pardonnent entre eux?” Ça, je ne le sais pas, mais je peux mesurer le comportement.
Ce graphique concerne les macaques, et montre combien d’adversaires se sont retrouvés ensemble dans les dix minutes suivantes. Environ 60% des adversaires se retrouvent ensemble en situation d’“interaction post-conflit”, et on voit ce qu’ils font quand il n’y a pas d’agression. Il y a beaucoup moins d’interactions. C’est exactement le contraire de ce qu’on attendrait. Mes étudiants imaginent d’abord que l’agression a un effet inverse. En fait, on trouve chez les animaux sociaux des agressions toujours suivies par une “interaction post-conflit”, et cela a à faire avec la nécessité de réconciliation entre les deux. Les espèces montrent un certain rituel. Ce macaque fait une présentation, cet autre une inspection, et c’est leur manière de se réconcilier.
La cours de récréation et celle des primates. Les bonobos, eux, font du sexe pour se réconcilier, comme toujours. On a parlé d’“ocytocine”, l’hormone sexuelle produite par leur frottage mutuel. C’est exact sans doute. C’est leur voie de réconciliation. Les chimpanzés s’embrassent, et les bonobos, qui sont très liés aux chimpanzés, développent un comportement sexuel. La réconciliation se retrouve chez toutes sortes d’animaux, chez la hyène, le dauphin, etc. On pense que c’est un principe commun aux mammifères sociaux, elle sert à préserver la relation coopérative dans une société où il existe des conflits. Chez les abeilles ou les fourmis, il n’y a pas de conflit interne, car les ouvrières sont génétiquement identiques. Il n’y a donc pas besoin de résolution des conflits, ou de moralité, et de choses comme ça, mais les mammifères sociaux, les primates sociaux, en ont besoin pour préserver la coopération dont leur survie dépend. On a fait des études aussi chez les enfants. C’est très intéressant de comparer les cultures des espèces. Certaines cultures sont beaucoup plus conciliatoires que d’autres, mais on retrouve en général le même genre de graphique chez les enfants dans les cours de récréation que chez les primates. Si on les suit comme des primates, on trouve le même genre de graphique.
Les rituels de réconciliation chez les macaques. J’ai fait des recherches pendant vingt-cinq ans sur la résolution des conflits chez les singes. Maintenant, on trouve peut-être cent scientifiques ou plus qui font des recherches sur la résolution des conflits entre animaux, et aussi chez les enfants, avec les mêmes méthodes d’investigation. Le principe est très simple. Ce sont deux mâles chimpanzés qui se bagarrent dans un zoo; peu après, l’un des deux tient la main de l’autre, il l’invite pour un contact, et aussitôt après ils s’embrassent. C’est ça la réconciliation. Quand j’ai commencé mes études, j’ai été très frappé par ces comportements. C’est l’époque où Konrad Lorenz étudiait l’agression, et je me suis intéressé à ce qui se passe après l’agression. Sur cette photo, un mâle chimpanzé attaque une femelle. Elle retourne au mâle dix minutes plus tard, elle offre sa main pour un “hand kiss”, c’est une façon de tester l’agressivité du mâle, et après ils s’embrassent. C’est la réconciliation. C’est quelque chose qu’on peut mesurer. La définition qu’on utilise est “une réunion amicale entre anciens adversaires peu de temps après un conflit”. Dite ainsi, la réconciliation devient mesurable. Je ne veux pas dire qu’on peut mesurer les sentiments, comme “est-ce qu’ils se pardonnent entre eux?” Ça, je ne le sais pas, mais je peux mesurer le comportement.
Ce graphique concerne les macaques, et montre combien d’adversaires se sont retrouvés ensemble dans les dix minutes suivantes. Environ 60% des adversaires se retrouvent ensemble en situation d’“interaction post-conflit”, et on voit ce qu’ils font quand il n’y a pas d’agression. Il y a beaucoup moins d’interactions. C’est exactement le contraire de ce qu’on attendrait. Mes étudiants imaginent d’abord que l’agression a un effet inverse. En fait, on trouve chez les animaux sociaux des agressions toujours suivies par une “interaction post-conflit”, et cela a à faire avec la nécessité de réconciliation entre les deux. Les espèces montrent un certain rituel. Ce macaque fait une présentation, cet autre une inspection, et c’est leur manière de se réconcilier.
La cours de récréation et celle des primates. Les bonobos, eux, font du sexe pour se réconcilier, comme toujours. On a parlé d’“ocytocine”, l’hormone sexuelle produite par leur frottage mutuel. C’est exact sans doute. C’est leur voie de réconciliation. Les chimpanzés s’embrassent, et les bonobos, qui sont très liés aux chimpanzés, développent un comportement sexuel. La réconciliation se retrouve chez toutes sortes d’animaux, chez la hyène, le dauphin, etc. On pense que c’est un principe commun aux mammifères sociaux, elle sert à préserver la relation coopérative dans une société où il existe des conflits. Chez les abeilles ou les fourmis, il n’y a pas de conflit interne, car les ouvrières sont génétiquement identiques. Il n’y a donc pas besoin de résolution des conflits, ou de moralité, et de choses comme ça, mais les mammifères sociaux, les primates sociaux, en ont besoin pour préserver la coopération dont leur survie dépend. On a fait des études aussi chez les enfants. C’est très intéressant de comparer les cultures des espèces. Certaines cultures sont beaucoup plus conciliatoires que d’autres, mais on retrouve en général le même genre de graphique chez les enfants dans les cours de récréation que chez les primates. Si on les suit comme des primates, on trouve le même genre de graphique.
Empathie et compassion animale. J’ai peu de temps pour parler de l’empathie, de la consolation, mais je vous indiquerai une expérience qui date des années 60 sur la compassion. C’est une expérience avec des macaques où on entraîne un singe à recevoir de la nourriture s’il tire sur quelque chose. Il tire, il reçoit de la nourriture. Et après ça, on a fait en sorte que s’il tire, il donne aussi un choc électrique à un voisin. Certains singes ont arrêté de tirer pendant cinq jours, un autre pendant douze jours. Il n’a pas mangé pendant douze jours, parce qu’il ne voulait pas donner un choc à son voisin. C’est un comportement très développé, moins chez un singe comme le macaque, ou chez un chien, mais chez les grands singes, il est extrêmement développé. Darwin disait déjà: “Many animals sympathise with each other, distressed or endangered…” Il avait observé des instances d’empathie et de sympathie, mais ça a été oublié pendant cent ans. Nous faisons des recherches, car les chimpanzés pratiquent la consolation constamment. Sur cette photo un mâle adulte s’est battu avec un autre mâle, il crie. Un jeune arrive et pose doucement le bras sur lui. C’est ce qu’on appelle “la consolation”, un contact de consolation, qui rassure l’autre. Les grands singes font ça constamment. On a essayé d’en trouver des traces chez d’autres singes, mais on n’en a pas trouvé. Mais c’est très commun entre les grands singes. C’est aussi très commun chez l’homme, et si on la mesure chez les enfants, la dynamique est exactement la même que chez les grands singes. Je crois que c’est une expression d’empathie. Si on mesure chez les chimpanzés, sur une période de trente minutes, combien de témoins de conflits ont de contact avec les individus engagés dans le conflit, après une agression sérieuse ou une agression pas si sérieuse, on voit beaucoup plus de contact avec les victimes d’agressions, et surtout d’agressions sérieuses. Une grande quantité de contacts sont faits. Quand on montre des vidéos aux chimpanzés sur un ordinateur, en mesurant les mouvements de leur cœur (et d’autres données comme la skin conductance), ils montrent des réactions très similaires aux enfants qu’on mesure en même temps.
Empathie et compassion animale. J’ai peu de temps pour parler de l’empathie, de la consolation, mais je vous indiquerai une expérience qui date des années 60 sur la compassion. C’est une expérience avec des macaques où on entraîne un singe à recevoir de la nourriture s’il tire sur quelque chose. Il tire, il reçoit de la nourriture. Et après ça, on a fait en sorte que s’il tire, il donne aussi un choc électrique à un voisin. Certains singes ont arrêté de tirer pendant cinq jours, un autre pendant douze jours. Il n’a pas mangé pendant douze jours, parce qu’il ne voulait pas donner un choc à son voisin. C’est un comportement très développé, moins chez un singe comme le macaque, ou chez un chien, mais chez les grands singes, il est extrêmement développé. Darwin disait déjà: “Many animals sympathise with each other, distressed or endangered…” Il avait observé des instances d’empathie et de sympathie, mais ça a été oublié pendant cent ans. Nous faisons des recherches, car les chimpanzés pratiquent la consolation constamment. Sur cette photo un mâle adulte s’est battu avec un autre mâle, il crie. Un jeune arrive et pose doucement le bras sur lui. C’est ce qu’on appelle “la consolation”, un contact de consolation, qui rassure l’autre. Les grands singes font ça constamment. On a essayé d’en trouver des traces chez d’autres singes, mais on n’en a pas trouvé. Mais c’est très commun entre les grands singes. C’est aussi très commun chez l’homme, et si on la mesure chez les enfants, la dynamique est exactement la même que chez les grands singes. Je crois que c’est une expression d’empathie. Si on mesure chez les chimpanzés, sur une période de trente minutes, combien de témoins de conflits ont de contact avec les individus engagés dans le conflit, après une agression sérieuse ou une agression pas si sérieuse, on voit beaucoup plus de contact avec les victimes d’agressions, et surtout d’agressions sérieuses. Une grande quantité de contacts sont faits. Quand on montre des vidéos aux chimpanzés sur un ordinateur, en mesurant les mouvements de leur cœur (et d’autres données comme la skin conductance), ils montrent des réactions très similaires aux enfants qu’on mesure en même temps.
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Nous avons découvert des comportements de coopération, d’équité et de refus de l’inéquité chez les singes capucins.
Nous avons découvert des comportements de coopération, d’équité et de refus de l’inéquité chez les singes capucins.
Altruisme réciproque. La définition de l’“altruisme réciproque”, c’est qu’il y a un délai entre donner et recevoir, et une compétence à donner et recevoir. C’est très dur à trouver dans le domaine animal, car beaucoup d’espèces ne font sans doute presque rien comme ça, mais il est très développé chez le primate social. Voyez cette vidéo. Si on donne de la nourriture, une pastèque, à un chimpanzé, le mâle Alpha dominant, on pourrait penser qu’il peut prendre ce qu’il veut. Mais c’est beaucoup plus complexe que ça, car sa domination reste liée à certaines coalitions avec d’autres individus. Il faut qu’il reste populaire dans le groupe, il peut perdre à tout moment sa domination. Il ne peut pas faire ce qu’il veut. C’est pour ça qu’il est très “poli”. Il fait de la politique en somme. Voyez, c’est une femelle à droite qui prend la nourriture, et la seule chose que fait le mâle, c’est d’en prendre un peu à elle, ensuite. C’est typique du partage de nourriture entre chimpanzés. Tout ce qu’il fait, c’est prendre un peu, même s’il domine tout le groupe, comme le jeune qui est là aussi, sans doute une femelle. C’est comme ça qu’on mesure qui partage la nourriture avec qui.
On a mené une recherche qui se passe ainsi: on mesure d’abord, le matin, le toilettage entre chimpanzés qui est un comportement très commun avec les autres primates. On le mesure en “currency”, comme si c’était de l’argent, et après ça on mesure le partage de la nourriture. Cette vidéo montre une forme de toilettage unique pour ce groupe de chimpanzés. C’est le seul groupe dans le monde, en captivité, qui montre ce comportement-là. Il y a beaucoup de comportements qu’on appelle culturels chez les animaux, c’est toute une discipline maintenant, les cultures animales: il existe certains comportements uniques dans les groupes qui sont transmis entre générations, et aussi entre les jeunes. Les deux mains que vous voyez ici viennent de deux individus différents, c’est un comportement de toilettage unique. Il a été introduit par la femelle qui s’appelle Georgia, elle a commencé ça douze ans auparavant, et depuis tous les adultes font ça. Quelquefois, on en a plusieurs qui font ces gestes en même temps, et c’est un comportement qu’on ne trouve dans aucun autre groupe de chimpanzés. C’est un sujet intéressant, le comportement culturel des chimpanzés. On mesure la durée du toilettage le matin, on leur donne de la nourriture après, on compare et on trouve que si A a soigné B, plus tard B partage la nourriture avec A. B ne partage pas plus de nourriture avec un autre, seulement avec l’individu qui lui a rendu service avant. Cela demande une mémoire, au moins de quelques heures, mais aussi un processus psychologique lié à la gratitude, car la mémoire ne suffit pas. Il faut une attitude plus positive envers l’autre qui t’a rendu un service. La réciprocité chez les chimpanzés est extrêmement développée. Il existe aussi la réciprocité négative, qui peut être dangereuse pour les gens qui ont un mauvais comportement à leur égard. Les chimpanzés ont une excellente mémoire pour ça.
Équité et inéquité chez les singes capucins. Le dernier sujet c’est la coopération et le sens d’équité ou d’inéquité chez le singe capucin. D’abord on a ordonné aux capucins de coopérer en mettant de la nourriture sur un plateau difficile d’accès, où il faut être deux pour l’atteindre, ici c’est une mère et sa fille. C’est très facile pour les capucins qui sont très intelligents, avec un cerveau aussi grand que celui des chimpanzés comparé à leur corps, car ils sont grands comme des chats. Ils tirent ensemble, c’est très facile pour eux, et ils obtiennent tous les deux de la nourriture. Mais on a fait une expérience plus compliquée. Voyez, il y a un grillage entre les individus, alors ils peuvent s’allier, mais un seul d’entre eux reçoit de la nourriture. L’un travaille pour l’autre, et ne reçoit rien sauf si l’autre veut partager par le grillage. C’est un petit marché du travail. Ce qu’on a trouvé c’est qu’après avoir tiré en coopérant, on trouve plus de partage qu’après un effort en solo où l’individu qui a la nourriture n’a pas besoin de l’autre. Ils partagent plus après coopération que sans, c’est une sorte de paiement, une reconnaissance de l’effort de l’autre. (…)
Cette autre vidéo montre le “equity test” chez les singes capucins. Ici, on donne le concombre à un singe. Elle donne une pierre, elle reçoit un concombre. On peut faire ça beaucoup de fois, sans aucun problème quand tous les deux reçoivent la même chose. Après, on introduit l’inéquité, on donne un raisin à celui-ci à droite, on donne le concombre à cette femelle. Regardez bien, elle le jette. On donne un raisin à l’autre, on fait ça vingt-cinq fois, elle jette le raisin… Regardez celle qui a reçu le raisin… Le concombre n’est pas si mal quand même (rires)… Elle le jette. Le concombre est une valeur relative à ce que les autres reçoivent. On appelle ça l’“aversion de l’inéquité”, dont parlent les économistes. Pour un économiste, l’aversion de l’inéquité est le commencement d’un sens de justice. Ça commence avec: “Moi pas être content si je reçois moins que quelqu’un d’autre”. ■
Merci à Canal C2 de nous avoir autorisés à publier des extraits de cette conférence donnée à l’IUT de Tours.
Altruisme réciproque. La définition de l’“altruisme réciproque”, c’est qu’il y a un délai entre donner et recevoir, et une compétence à donner et recevoir. C’est très dur à trouver dans le domaine animal, car beaucoup d’espèces ne font sans doute presque rien comme ça, mais il est très développé chez le primate social. Voyez cette vidéo. Si on donne de la nourriture, une pastèque, à un chimpanzé, le mâle Alpha dominant, on pourrait penser qu’il peut prendre ce qu’il veut. Mais c’est beaucoup plus complexe que ça, car sa domination reste liée à certaines coalitions avec d’autres individus. Il faut qu’il reste populaire dans le groupe, il peut perdre à tout moment sa domination. Il ne peut pas faire ce qu’il veut. C’est pour ça qu’il est très “poli”. Il fait de la politique en somme. Voyez, c’est une femelle à droite qui prend la nourriture, et la seule chose que fait le mâle, c’est d’en prendre un peu à elle, ensuite. C’est typique du partage de nourriture entre chimpanzés. Tout ce qu’il fait, c’est prendre un peu, même s’il domine tout le groupe, comme le jeune qui est là aussi, sans doute une femelle. C’est comme ça qu’on mesure qui partage la nourriture avec qui.
On a mené une recherche qui se passe ainsi: on mesure d’abord, le matin, le toilettage entre chimpanzés qui est un comportement très commun avec les autres primates. On le mesure en “currency”, comme si c’était de l’argent, et après ça on mesure le partage de la nourriture. Cette vidéo montre une forme de toilettage unique pour ce groupe de chimpanzés. C’est le seul groupe dans le monde, en captivité, qui montre ce comportement-là. Il y a beaucoup de comportements qu’on appelle culturels chez les animaux, c’est toute une discipline maintenant, les cultures animales: il existe certains comportements uniques dans les groupes qui sont transmis entre générations, et aussi entre les jeunes. Les deux mains que vous voyez ici viennent de deux individus différents, c’est un comportement de toilettage unique. Il a été introduit par la femelle qui s’appelle Georgia, elle a commencé ça douze ans auparavant, et depuis tous les adultes font ça. Quelquefois, on en a plusieurs qui font ces gestes en même temps, et c’est un comportement qu’on ne trouve dans aucun autre groupe de chimpanzés. C’est un sujet intéressant, le comportement culturel des chimpanzés. On mesure la durée du toilettage le matin, on leur donne de la nourriture après, on compare et on trouve que si A a soigné B, plus tard B partage la nourriture avec A. B ne partage pas plus de nourriture avec un autre, seulement avec l’individu qui lui a rendu service avant. Cela demande une mémoire, au moins de quelques heures, mais aussi un processus psychologique lié à la gratitude, car la mémoire ne suffit pas. Il faut une attitude plus positive envers l’autre qui t’a rendu un service. La réciprocité chez les chimpanzés est extrêmement développée. Il existe aussi la réciprocité négative, qui peut être dangereuse pour les gens qui ont un mauvais comportement à leur égard. Les chimpanzés ont une excellente mémoire pour ça.
Équité et inéquité chez les singes capucins. Le dernier sujet c’est la coopération et le sens d’équité ou d’inéquité chez le singe capucin. D’abord on a ordonné aux capucins de coopérer en mettant de la nourriture sur un plateau difficile d’accès, où il faut être deux pour l’atteindre, ici c’est une mère et sa fille. C’est très facile pour les capucins qui sont très intelligents, avec un cerveau aussi grand que celui des chimpanzés comparé à leur corps, car ils sont grands comme des chats. Ils tirent ensemble, c’est très facile pour eux, et ils obtiennent tous les deux de la nourriture. Mais on a fait une expérience plus compliquée. Voyez, il y a un grillage entre les individus, alors ils peuvent s’allier, mais un seul d’entre eux reçoit de la nourriture. L’un travaille pour l’autre, et ne reçoit rien sauf si l’autre veut partager par le grillage. C’est un petit marché du travail. Ce qu’on a trouvé c’est qu’après avoir tiré en coopérant, on trouve plus de partage qu’après un effort en solo où l’individu qui a la nourriture n’a pas besoin de l’autre. Ils partagent plus après coopération que sans, c’est une sorte de paiement, une reconnaissance de l’effort de l’autre. (…)
Cette autre vidéo montre le “equity test” chez les singes capucins. Ici, on donne le concombre à un singe. Elle donne une pierre, elle reçoit un concombre. On peut faire ça beaucoup de fois, sans aucun problème quand tous les deux reçoivent la même chose. Après, on introduit l’inéquité, on donne un raisin à celui-ci à droite, on donne le concombre à cette femelle. Regardez bien, elle le jette. On donne un raisin à l’autre, on fait ça vingt-cinq fois, elle jette le raisin… Regardez celle qui a reçu le raisin… Le concombre n’est pas si mal quand même (rires)… Elle le jette. Le concombre est une valeur relative à ce que les autres reçoivent. On appelle ça l’“aversion de l’inéquité”, dont parlent les économistes. Pour un économiste, l’aversion de l’inéquité est le commencement d’un sens de justice. Ça commence avec: “Moi pas être content si je reçois moins que quelqu’un d’autre”. ■
Merci à Canal C2 de nous avoir autorisés à publier des extraits de cette conférence donnée à l’IUT de Tours.
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Frans de Waal, psychologue cognitif, éthologue, primatologue, a bousculé les études sur le comportement des primates, notamment des bonobos. De la réconciliation chez les primates, (Champs – Flammarion, 2002).