Kamil Ahsan
Kamil Ahsan
Août 2016, camp de Banki, Nigéria. Des enfants sous-alimentés, déplacés à l’intérieur de leur propre pays où ils fuient le groupe islamiste Boko Haram, attendent une distribution de nourriture de l’UNICEF. En septembre 2017, Boko Haram tuera 11 personnes dans ce camp pour voler de la nourriture. Photo : Andrew Esiebo, Unicef.
En juin 2015, une canicule meurtrière a frappé Karachi, au Pakistan, faisant près de 1.300 morts. Les corps s’entassaient devant les morgues, les cimetières manquaient d’espace pour enterrer les morts, et le chef du gouvernement provincial, l’ancien président Asif Ali Zardari, a quitté pays. Rapidement, dans une ville en proie à des pannes de courant constantes, un mouvement que personne n’attendait a émergé: les talibans pakistanais (TTP). Le TTP a clairement menacé K-Electric, la société privée d’électricité responsable des pannes de courant. Une menace à Karachi, signifie généralement une bombe. Le TTP taliban est interdit au Pakistan, vilipendé à l’international, et mène la guerre avec l’armée pakistanaise dans plusieurs régions du pays. C’est un groupe terroriste responsable de très nombreuses attaques contre des civils, dont le massacre de 145 personnes, pour la plupart des enfants, dans une école publique de Peshawar, la capitale de la province de Khyber Paktunkhwa. On voit qu’ici un groupe terroriste internationalement dénoncé a été parmi les premiers à dénoncer l’inefficacité du gouvernement et a su tirer un profit politique d’une catastrophe d’origine climatique. Dans cette région, toutes les formations d’opposition informelles, souvent meurtrières, remplissent depuis longtemps le vide créé par la grave impréparation des services publics de l’Etat face à la crise environnementale. De fait, l’interaction de la violence et du politique avec le réchauffement anthropique n’est pas une innovation des talibans...
Dans son livre Tropic of Chaos. Climate change and the new Geography of Violence (2012, Bold Type Books), le journaliste d’investigation américain Christian Parenti montre bien comment le changement climatique a amplifié les états de violence et de pauvreté dans plusieurs régions du monde. Ainsi, alors que la sécheresse et les inondations soudaines sont devenues courantes dans le nord du Kenya au cours de la dernière décennie, la violence paramilitaire et les guerres de territoire pour l’eau et le bétail se sont amplifiés dans le pays. La famine et les événements dévastateurs d’El Niño ont balayé la région de Karamoja en Ouganda, tuant des dizaines de milliers de personnes (fin février 2017, le gouvernement ougandais annonçait qu’un million et demi de personnes avaient besoin de secours d’urgence du fait de la sécheresse). Les survivants ont pris les armes en Somalie, déjà ravagée par la guerre et la faim. Pendant ce temps, alors que le nord-est du Brésil – le Nordeste – connaissait une sécheresse et des inondations extrêmes, les réfugiés sont venus grossir la population des favelas de Rio. Leur arrivée a intensifié le mélange volatile et mortel de la surpopulation, de la politique des gangs, du trafic de drogue et de la violence policière. Et il est flagrant, au cours de la dernière décennie, alors que les nations peinaient à dégager un accord international efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, que la fréquence croissante des tempêtes, des canicules, des crues soudaines, de la sécheresse et de la désertification avait déjà eu des conséquences fatales pour les populations.
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En juin 2015, une canicule meurtrière a frappé Karachi, au Pakistan, faisant près de 1.300 morts. Les corps s’entassaient devant les morgues, les cimetières manquaient d’espace pour enterrer les morts, et le chef du gouvernement provincial, l’ancien président Asif Ali Zardari, a quitté pays. Rapidement, dans une ville en proie à des pannes de courant constantes, un mouvement que personne n’attendait a émergé: les talibans pakistanais (TTP). Le TTP a clairement menacé K-Electric, la société privée d’électricité responsable des pannes de courant. Une menace à Karachi, signifie généralement une bombe. Le TTP taliban est interdit au Pakistan, vilipendé à l’international, et mène la guerre avec l’armée pakistanaise dans plusieurs régions du pays. C’est un groupe terroriste responsable de très nombreuses attaques contre des civils, dont le massacre de 145 personnes, pour la plupart des enfants, dans une école publique de Peshawar, la capitale de la province de Khyber Paktunkhwa. On voit qu’ici un groupe terroriste internationalement dénoncé a été parmi les premiers à dénoncer l’inefficacité du gouvernement et a su tirer un profit politique d’une catastrophe d’origine climatique. Dans cette région, toutes les formations d’opposition informelles, souvent meurtrières, remplissent depuis longtemps le vide créé par la grave impréparation des services publics de l’Etat face à la crise environnementale. De fait, l’interaction de la violence et du politique avec le réchauffement anthropique n’est pas une innovation des talibans...
Dans son livre Tropic of Chaos. Climate change and the new Geography of Violence (2012, Bold Type Books), le journaliste d’investigation américain Christian Parenti montre bien comment le changement climatique a amplifié les états de violence et de pauvreté dans plusieurs régions du monde. Ainsi, alors que la sécheresse et les inondations soudaines sont devenues courantes dans le nord du Kenya au cours de la dernière décennie, la violence paramilitaire et les guerres de territoire pour l’eau et le bétail se sont amplifiés dans le pays. La famine et les événements dévastateurs d’El Niño ont balayé la région de Karamoja en Ouganda, tuant des dizaines de milliers de personnes (fin février 2017, le gouvernement ougandais annonçait qu’un million et demi de personnes avaient besoin de secours d’urgence du fait de la sécheresse). Les survivants ont pris les armes en Somalie, déjà ravagée par la guerre et la faim. Pendant ce temps, alors que le nord-est du Brésil – le Nordeste – connaissait une sécheresse et des inondations extrêmes, les réfugiés sont venus grossir la population des favelas de Rio. Leur arrivée a intensifié le mélange volatile et mortel de la surpopulation, de la politique des gangs, du trafic de drogue et de la violence policière. Et il est flagrant, au cours de la dernière décennie, alors que les nations peinaient à dégager un accord international efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, que la fréquence croissante des tempêtes, des canicules, des crues soudaines, de la sécheresse et de la désertification avait déjà eu des conséquences fatales pour les populations.
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“La guerre civile syrienne et le conflit meurtrier qui a suivi a été amorcé par le réchauffement climatique anthropique.”
“La guerre civile syrienne et le conflit meurtrier qui a suivi a été amorcé par le réchauffement climatique anthropique.”
L’effroyable guerre civile syrienne, qui a jusqu’à présent déplacé plus de 10 millions de personnes et provoqué une crise humanitaire de réfugiés d’une ampleur historique, est une autre manifestation de la convergence de la guerre et du changement climatique. Une étude publiée en mars 2015 dans les Actes de l’Académie Nationale des Sciences des Etats-Unis (PNAS) a documenté comment la grave sécheresse du “Croissant Fertile” de 2007 à 2010 (Liban, Chypre, Koweït, Israël, Palestine, et plusieurs régions de Syrie, de l’Irak, de la Jordanie, de l’Iran et du sud-est de la Turquie) a poussé beaucoup d’agriculteurs à abandonner leurs maisons et à affluer vers les villes syriennes et irakiennes. Le régime brutal d’Assad et le million de réfugiés déplacés d’Irak ont alimenté le soulèvement syrien de 2011 et la guerre civile qui a suivi, emportant avec elle les divers autres acteurs de la région, dont l’Etat islamique. Mais à l’origine, comme le montrent plusieurs études, le conflit a été amorcé par le réchauffement climatique anthropique.
Les gangs violents, les groupes informels agissants, les formations terroristes sont devenus des acteurs incontournables sur une planète où l’effet de serre s’aggrave. Ils sont bien sûr très éloignés des groupes d’activistes de la société civile traditionnelle qui ont pris les devants face à a situation environnementale. Ainsi les ONG, les militants écologistes et les communautés scientifiques engagées – que ce soit les militants de Greenpeace occupant les plates-formes pétrolières Shell dans le port de Seattle, ou les climatologues du GIEC pétitionnant pour une action climatique – constituent depuis longtemps des forces singulières contrebalançant un leadership politique intransigeant. Ils ont construit la force vitale d’activisme et de plaidoyer en faveur de changements politiques majeurs tels que la législation de la Clean Air Act aux États-Unis ou la Forest Rights Act en Inde.
Cependant, alors qu’un mouvement populaire de masse, international, a émergé – que ce soit les citoyens ordinaires de Halkidiki en Grèce protestant contre les activités minières destrcutrices, les indigènes Iñupiat en Alaska devant émigrer en raison de la fonte des glaces ou les éleveurs et les tribus indigènes utilisant la désobéissance civile pour protester contre l’oléoduc Keystone XL de TransCanada, etc – celui-ci a été largement ignoré par la communauté politique internationale, qui continue de gaspiller de nombreuses occasions d’instituer des programmes de grande envergure pour réduire les émissions de carbone. Et pendant que la communauté internationale tergiverse, le réchauffement s’aggrave, la sécheresse s’étend, et les Talibans comme d’autres groupes terroristes et bandes informelles prospèrent.
Ainsi au Nigéria, les batailles pour les ressources foncières entre agriculteurs, en grande partie chrétiens, et éleveurs de bétail, en grande partie musulmans, se sont intensifiées au cours des dernières années à la suite d’une série de sécheresses paralysantes. En raison de l’assèchement des lacs, l’industrie de la pêche du Nigeria s’est effondrée et des dizaines de milliers de personnes ont vu leurs moyens de subsistance détruits. Pendant ce temps, le groupe terroriste Boko Haram se nourrissait du chaos et du désespoir.
L’importance croissante de ces acteurs violents témoigne de l’échec profond des États, durant toutes ces années, à atténuer et apporter des réponses et des solutions au changement climatique. Pourtant, un schéma inquiétant est apparu et s’est répété: lorsque les crises d’origine climatique – de ressources, de survie, de territoire... – ont commencé à s’accumuler, elles ont contribué à nourrir des crises de gouvernance où les “premiers répondants”, dénonçant l’incurie des Etats ou offrant un semblant d’ordre, en profitent pour s’implanter. Ce sont sans doute, alors que les désordres s’intensifient dans de nombreuses parties du monde affectées par le changement climatique, les répliques que nous devrions craindre le plus. ■
L’effroyable guerre civile syrienne, qui a jusqu’à présent déplacé plus de 10 millions de personnes et provoqué une crise humanitaire de réfugiés d’une ampleur historique, est une autre manifestation de la convergence de la guerre et du changement climatique. Une étude publiée en mars 2015 dans les Actes de l’Académie Nationale des Sciences des Etats-Unis (PNAS) a documenté comment la grave sécheresse du “Croissant Fertile” de 2007 à 2010 (Liban, Chypre, Koweït, Israël, Palestine, et plusieurs régions de Syrie, de l’Irak, de la Jordanie, de l’Iran et du sud-est de la Turquie) a poussé beaucoup d’agriculteurs à abandonner leurs maisons et à affluer vers les villes syriennes et irakiennes. Le régime brutal d’Assad et le million de réfugiés déplacés d’Irak ont alimenté le soulèvement syrien de 2011 et la guerre civile qui a suivi, emportant avec elle les divers autres acteurs de la région, dont l’Etat islamique. Mais à l’origine, comme le montrent plusieurs études, le conflit a été amorcé par le réchauffement climatique anthropique.
Les gangs violents, les groupes informels agissants, les formations terroristes sont devenus des acteurs incontournables sur une planète où l’effet de serre s’aggrave. Ils sont bien sûr très éloignés des groupes d’activistes de la société civile traditionnelle qui ont pris les devants face à a situation environnementale. Ainsi les ONG, les militants écologistes et les communautés scientifiques engagées – que ce soit les militants de Greenpeace occupant les plates-formes pétrolières Shell dans le port de Seattle, ou les climatologues du GIEC pétitionnant pour une action climatique – constituent depuis longtemps des forces singulières contrebalançant un leadership politique intransigeant. Ils ont construit la force vitale d’activisme et de plaidoyer en faveur de changements politiques majeurs tels que la législation de la Clean Air Act aux États-Unis ou la Forest Rights Act en Inde.
Cependant, alors qu’un mouvement populaire de masse, international, a émergé – que ce soit les citoyens ordinaires de Halkidiki en Grèce protestant contre les activités minières destrcutrices, les indigènes Iñupiat en Alaska devant émigrer en raison de la fonte des glaces ou les éleveurs et les tribus indigènes utilisant la désobéissance civile pour protester contre l’oléoduc Keystone XL de TransCanada, etc – celui-ci a été largement ignoré par la communauté politique internationale, qui continue de gaspiller de nombreuses occasions d’instituer des programmes de grande envergure pour réduire les émissions de carbone. Et pendant que la communauté internationale tergiverse, le réchauffement s’aggrave, la sécheresse s’étend, et les Talibans comme d’autres groupes terroristes et bandes informelles prospèrent.
Ainsi au Nigéria, les batailles pour les ressources foncières entre agriculteurs, en grande partie chrétiens, et éleveurs de bétail, en grande partie musulmans, se sont intensifiées au cours des dernières années à la suite d’une série de sécheresses paralysantes. En raison de l’assèchement des lacs, l’industrie de la pêche du Nigeria s’est effondrée et des dizaines de milliers de personnes ont vu leurs moyens de subsistance détruits. Pendant ce temps, le groupe terroriste Boko Haram se nourrissait du chaos et du désespoir.
L’importance croissante de ces acteurs violents témoigne de l’échec profond des États, durant toutes ces années, à atténuer et apporter des réponses et des solutions au changement climatique. Pourtant, un schéma inquiétant est apparu et s’est répété: lorsque les crises d’origine climatique – de ressources, de survie, de territoire... – ont commencé à s’accumuler, elles ont contribué à nourrir des crises de gouvernance où les “premiers répondants”, dénonçant l’incurie des Etats ou offrant un semblant d’ordre, en profitent pour s’implanter. Ce sont sans doute, alors que les désordres s’intensifient dans de nombreuses parties du monde affectées par le changement climatique, les répliques que nous devrions craindre le plus. ■
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Kamil Ashan post-doctorant, biologie du développement, université de Chicago. Publié le 04/12/2018 sur le site britannique aeon.co réputé pour ses réflexions profondes et provocantes écrites par des chercheurs.