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VIVE LA RÉPUBLIQUE SOCIALE!

 

Un entretien au vent des îles de Georges Marbeck avec Louise Michel*

 

VIVE LA RÉPUBLIQUE

SOCIALE!

 

Un entretien au vent des îles de Georges Marbeck avec Louise Michel*

 

Nicolas Ritter, Umdrehfrau.

Pas de liberté dans une société où le capital est monopolisé entre les mains

d’une minorité qui va se réduisant.

Pas de liberté dans une société où le capital est monopolisé entre les mains d’une minorité qui va se réduisant.

Séjournant en Nouvelle-Calédonie pour le tournage d’un documentaire, je décide, un beau dimanche, d’aller me balader sur l’île de Nou, aujourd’hui presqu’île reliée à la ville de Nouméa. Je longe un moment les vestiges de ce qui fut le premier des camps de rétention du bagne calédonien, lesquels hébergèrent, si l’on peut dire, de 1864 à 1931, quelques 21700 forçats dont 80% moururent sur place, tandis que d’autres s’intégrèrent à la population coloniale. Je passe devant les restes de la maison dite du bourreau… Il fait un temps radieux. Je prends la route de la pointe en direction de la plage de Kuendu et vais m’asseoir sous un niaouli, l’arbre calédonien par excellence. À ma gauche, la mer de corail, à ma droite, la baie des Dames au bout de la presqu’île de Ducos, où se trouvait un autre camp de bagnards. C’est alors que j’aperçois une femme très âgée caressant un chaton. Sa silhouette étroite, son profil anguleux, ridé, me rappellent quelqu’un. Elle porte un châle rouge sur lequel est brodé en gros chiffres le nombre 2182. Pas d’hésitation, c’est elle, Louise Michel, la “Vierge rouge”, condamnée le 16 décembre 1871 à la déportation perpétuelle pour sa participation en première ligne aux mouvements insurrectionnels de la Commune de Paris. Je m’approche d’elle pour la saluer. Et notre conversation s’engage.

_________________

 

Georges Marbeck: Si mes souvenirs sont exacts, c’est en décembre 1873 que vous avez mis pour la première fois le pied sur la terre calédonienne, après quatre mois en mer, encagée à bord de La Virginie, une vieille frégate affrétée pour le transport des déportés au bagne. Mais paradoxalement, malgré les épreuves que vous avez endurées, votre venue aux antipodes a été pour vous une source de découvertes passionnées, vous qui n’aviez jamais vu la mer avant votre déportation.

Louise Michel: Durant quatre mois, nous ne vîmes rien que le ciel et l’eau, avec parfois, à l’horizon, la voile blanche d’un navire pareille à une aile d’oiseau. Cette impression de l’étendue était saisissante. Là nous avions tout le temps de penser. Eh bien, à force de comparer les choses, les événements, les hommes, ayant vu à l’œuvre nos amis de la Commune, j’en vins rapidement à être convaincue que les honnêtes gens au pouvoir y seront aussi incapables que les malhonnêtes seront nuisibles, et qu’il est impossible que jamais la liberté s’allie avec un pouvoir quelconque. Je sentis qu’une révolution prenant un gouvernement quelconque n’était qu’un trompe-l’œil ne pouvant que marquer le pas, et non ouvrir toutes les portes du progrès; que les institutions du passé, qui semblaient disparaître, restaient en changeant de nom; que tout est rivé à des chaînes dans le vieux monde.

 

Georges Marbeck: Ainsi, bercée par la houle, vous êtes devenue anarchiste.

Louise Michel: L’anarchie seule peut rendre l’homme conscient, puisqu’elle seule le fera libre; elle sera donc la séparation complète entre les troupeaux d’esclaves et l’humanité. Pour tout homme arrivant au pouvoir, l’État c’est lui, il le considère comme le chien regarde l’os qu’il ronge, et c’est pour lui qu’il le défend. Si le pouvoir rend féroce, égoïste et cruel, l’anarchie sera donc la fin des horribles misères dans lesquelles a toujours gémi la race humaine. Pas de liberté sans égalité! Pas de liberté dans une société où le capital est monopolisé entre les mains d’une minorité qui va se réduisant tous les jours et où rien n’est également réparti, pas même l’éducation publique, payée cependant des deniers de tous. Si l’on était libre dans un pays, libre d’arborer sa bannière où et comment on le voudrait, on verrait, mieux qu’à un vote quelconque, de quel côté se rangerait la foule; il n’y aurait pas moyen de mettre quelques hommes dans sa poche comme on y met des poignées de bulletins.

 

Georges Marbeck: Et dix ans plus tard, de retour en métropole, alors que cinquante-deux militants viennent de publier un manifeste anarchiste et qu’à Lyon et Paris des masses de travailleurs descendent dans la rue, vous prenez la tête d’une manifestation en brandissant un drapeau noir fabriqué avec un bout de jupon.

Louise Michel: Nous avons pris le drapeau noir parce que la manifestation devait être essentiellement pacifique, parce que c’est le drapeau noir des grèves, le drapeau de ceux qui ont faim. Peut-on voir de sang-froid le prolétaire souffrir constamment de la faim pendant que d’autres se gorgent?

 

Georges Marbeck: Et la manifestation a tourné à l’émeute. Scandant “Du pain! Du pain! Du pain!”, la foule en colère a pillé des boulangeries. Puis, passant devant les magasins de piété du quartier Saint-Sulpice, des manifestants ont saisi et brisé des statuettes de Jésus, aux cris d’ ”À bas la calotte!” et “Ni dieu, ni maître!”, le credo des anarchistes.

Louise Michel: Nous sommes athées, parce que l’homme ne sera jamais libre, tant qu’il n’aura pas chassé Dieu de son intelligence et de sa raison. C’est en vertu de cette idée d’un être en dehors du monde et le gouvernant, que se sont produites toutes les formes de servitude morale et sociale: religions, despotismes, propriété, classes, sous lesquelles gémit et saigne l’humanité. Expulser Dieu du domaine de la connaissance, l’expulser de la société, est la loi pour l’homme s’il veut arriver à la science, s’il veut réaliser le but de la Révolution. Il faut nier cette erreur génératrice de toutes les autres, car c’est par elle que depuis des siècles l’homme est courbé, enchaîné, spolié, martyrisé.

 

Georges Marbeck: Vous êtes condamnée à 6 ans de réclusion et enfermée à la prison Saint-Lazare, une prison de femmes. Et vous voilà partageant le quotidien carcéral de délinquantes de tous ordres: voleuses, criminelles, prostituées, issues des bas-fonds de la société…

Louise Michel: La vieille gueuse de société capitaliste les a prises à la gorge, elle les a terrassées, dépouillées, elle leur a arraché de la gorge leur génie pour en faire les brutes qu’elle torture quand elles sont en bas. On sent alors combien de cœurs généreux battent sous la honte qui les étouffe.

 

Georges Marbeck: Trois mois et demi plus tard, vous êtes transférée à la prison de Clermont-de-l’Oise. Vous y passez trente mois. Et vous apprenez que, sans l’avoir sollicité, vous êtes amnistiée.

Louise Michel: Je me tins ce raisonnement qui fit évanouir mes derniers scrupules. En prison… je suis inutile. Je ne puis rendre service à mes idées. Libre, je pourrai recommencer mes tournées de propagande et ruiner un peu plus l’édifice vermoulu de nos gouvernants. S’ils s’étaient imaginés me museler avec une grâce, ils s’étaient singulièrement trompés.

 

Georges Marbeck: Et vous reprenez de plus belle vos actions de militante de la révolution sociale. Lors d’une conférence au Havre où vous faites salle comble, vous êtes agressée par un homme armé d’un revolver “voyant en vous une envoyée de Satan prêchant la haine et le pillage”. Il vous tire dessus et vous blesse gravement à la tête. 

Louise Michel: Ferré me disait que j’étais une dévote de la Révolution. C’était vrai… Toutes les avant-gardes sont ainsi.

Séjournant en Nouvelle-Calédonie pour le tournage d’un documentaire, je décide, un beau dimanche, d’aller me balader sur l’île de Nou, aujourd’hui presqu’île reliée à la ville de Nouméa. Je longe un moment les vestiges de ce qui fut le premier des camps de rétention du bagne calédonien, lesquels hébergèrent, si l’on peut dire, de 1864 à 1931, quelques 21700 forçats dont 80% moururent sur place, tandis que d’autres s’intégrèrent à la population coloniale. Je passe devant les restes de la maison dite du bourreau… Il fait un temps radieux. Je prends la route de la pointe en direction de la plage de Kuendu et vais m’asseoir sous un niaouli, l’arbre calédonien par excellence. À ma gauche, la mer de corail, à ma droite, la baie des Dames au bout de la presqu’île de Ducos, où se trouvait un autre camp de bagnards. C’est alors que j’aperçois une femme très âgée caressant un chaton. Sa silhouette étroite, son profil anguleux, ridé, me rappellent quelqu’un. Elle porte un châle rouge sur lequel est brodé en gros chiffres le nombre 2182. Pas d’hésitation, c’est elle, Louise Michel, la “Vierge rouge”, condamnée le 16 décembre 1871 à la déportation perpétuelle pour sa participation en première ligne aux mouvements insurrectionnels de la Commune de Paris. Je m’approche d’elle pour la saluer. Et notre conversation s’engage.

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Georges Marbeck: Si mes souvenirs sont exacts, c’est en décembre 1873 que vous avez mis pour la première fois le pied sur la terre calédonienne, après quatre mois en mer, encagée à bord de La Virginie, une vieille frégate affrétée pour le transport des déportés au bagne. Mais paradoxalement, malgré les épreuves que vous avez endurées, votre venue aux antipodes a été pour vous une source de découvertes passionnées, vous qui n’aviez jamais vu la mer avant votre déportation.

Louise Michel: Durant quatre mois, nous ne vîmes rien que le ciel et l’eau, avec parfois, à l’horizon, la voile blanche d’un navire pareille à une aile d’oiseau. Cette impression de l’étendue était saisissante. Là nous avions tout le temps de penser. Eh bien, à force de comparer les choses, les événements, les hommes, ayant vu à l’œuvre nos amis de la Commune, j’en vins rapidement à être convaincue que les honnêtes gens au pouvoir y seront aussi incapables que les malhonnêtes seront nuisibles, et qu’il est impossible que jamais la liberté s’allie avec un pouvoir quelconque. Je sentis qu’une révolution prenant un gouvernement quelconque n’était qu’un trompe-l’œil ne pouvant que marquer le pas, et non ouvrir toutes les portes du progrès; que les institutions du passé, qui semblaient disparaître, restaient en changeant de nom; que tout est rivé à des chaînes dans le vieux monde.

 

Georges Marbeck: Ainsi, bercée par la houle, vous êtes devenue anarchiste.

Louise Michel: L’anarchie seule peut rendre l’homme conscient, puisqu’elle seule le fera libre; elle sera donc la séparation complète entre les troupeaux d’esclaves et l’humanité. Pour tout homme arrivant au pouvoir, l’État c’est lui, il le considère comme le chien regarde l’os qu’il ronge, et c’est pour lui qu’il le défend. Si le pouvoir rend féroce, égoïste et cruel, l’anarchie sera donc la fin des horribles misères dans lesquelles a toujours gémi la race humaine. Pas de liberté sans égalité! Pas de liberté dans une société où le capital est monopolisé entre les mains d’une minorité qui va se réduisant tous les jours et où rien n’est également réparti, pas même l’éducation publique, payée cependant des deniers de tous. Si l’on était libre dans un pays, libre d’arborer sa bannière où et comment on le voudrait, on verrait, mieux qu’à un vote quelconque, de quel côté se rangerait la foule; il n’y aurait pas moyen de mettre quelques hommes dans sa poche comme on y met des poignées de bulletins.

 

Georges Marbeck: Et dix ans plus tard, de retour en métropole, alors que cinquante-deux militants viennent de publier un manifeste anarchiste et qu’à Lyon et Paris des masses de travailleurs descendent dans la rue, vous prenez la tête d’une manifestation en brandissant un drapeau noir fabriqué avec un bout de jupon.

Louise Michel: Nous avons pris le drapeau noir parce que la manifestation devait être essentiellement pacifique, parce que c’est le drapeau noir des grèves, le drapeau de ceux qui ont faim. Peut-on voir de sang-froid le prolétaire souffrir constamment de la faim pendant que d’autres se gorgent?

 

Georges Marbeck: Et la manifestation a tourné à l’émeute. Scandant “Du pain! Du pain! Du pain!”, la foule en colère a pillé des boulangeries. Puis, passant devant les magasins de piété du quartier Saint-Sulpice, des manifestants ont saisi et brisé des statuettes de Jésus, aux cris d’ ”À bas la calotte!” et “Ni dieu, ni maître!”, le credo des anarchistes.

Louise Michel: Nous sommes athées, parce que l’homme ne sera jamais libre, tant qu’il n’aura pas chassé Dieu de son intelligence et de sa raison. C’est en vertu de cette idée d’un être en dehors du monde et le gouvernant, que se sont produites toutes les formes de servitude morale et sociale: religions, despotismes, propriété, classes, sous lesquelles gémit et saigne l’humanité. Expulser Dieu du domaine de la connaissance, l’expulser de la société, est la loi pour l’homme s’il veut arriver à la science, s’il veut réaliser le but de la Révolution. Il faut nier cette erreur génératrice de toutes les autres, car c’est par elle que depuis des siècles l’homme est courbé, enchaîné, spolié, martyrisé.

 

Georges Marbeck: Vous êtes condamnée à 6 ans de réclusion et enfermée à la prison Saint-Lazare, une prison de femmes. Et vous voilà partageant le quotidien carcéral de délinquantes de tous ordres: voleuses, criminelles, prostituées, issues des bas-fonds de la société…

Louise Michel: La vieille gueuse de société capitaliste les a prises à la gorge, elle les a terrassées, dépouillées, elle leur a arraché de la gorge leur génie pour en faire les brutes qu’elle torture quand elles sont en bas. On sent alors combien de cœurs généreux battent sous la honte qui les étouffe.

 

Georges Marbeck: Trois mois et demi plus tard, vous êtes transférée à la prison de Clermont-de-l’Oise. Vous y passez trente mois. Et vous apprenez que, sans l’avoir sollicité, vous êtes amnistiée.

Louise Michel: Je me tins ce raisonnement qui fit évanouir mes derniers scrupules. En prison… je suis inutile. Je ne puis rendre service à mes idées. Libre, je pourrai recommencer mes tournées de propagande et ruiner un peu plus l’édifice vermoulu de nos gouvernants. S’ils s’étaient imaginés me museler avec une grâce, ils s’étaient singulièrement trompés.

 

Georges Marbeck: Et vous reprenez de plus belle vos actions de militante de la révolution sociale. Lors d’une conférence au Havre où vous faites salle comble, vous êtes agressée par un homme armé d’un revolver “voyant en vous une envoyée de Satan prêchant la haine et le pillage”. Il vous tire dessus et vous blesse gravement à la tête. 

Louise Michel: Ferré me disait que j’étais une dévote de la Révolution. C’était vrai… Toutes les avant-gardes sont ainsi.

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L’homme ne sera jamais libre, tant qu’il n’aura pas chassé Dieu de son intelligence et de sa raison.

L’homme ne sera jamais libre, tant qu’il n’aura pas chassé Dieu de son intelligence et de sa raison.

L’homme ne sera jamais libre, tant qu’il n’aura pas chassé Dieu de son intelligence et de sa raison.

Georges Marbeck: Cette dévotion a ses racines dans votre enfance. Fille naturelle d’une femme de chambre au service d’une famille de châtelains des Vosges convertis à la philosophie des Lumières et à la République, qui vous ont élevée comme leur propre fille, vous avez grandi dans une atmosphère de libre pensée, de soif de savoir, de bonheur de lire et d’écrire.

Louise Michel: Bâtarde élevée à la campagne, je comprenais les révoltes agraires de la vieille Rome. Le rude travail de la terre m’apparaissait tel qu’il est, courbant l’homme comme le bœuf sur le sillon, gardant l’abattoir pour la bête quand elle est usée, le sac du mendiant pour l’homme quand il ne peut plus travailler. J’aurais voulu que l’animal se vengeât, que le chien mordît celui qui l’assommait de coups, que le cheval saignant sous le fouet renversât son bourreau.

 

Georges Marbeck: Lors de la révolution de 1848, vous avez dix-huit ans. Trois ans plus tard, c’est le coup d’état de “Napoléon le petit”. L’empire deuxième version est proclamé, la Marseillaise interdite, les mots liberté, égalité, fraternité effacés des bâtiments publics. C’est l’époque où vous devenez institutrice dans un village de la Haute-Marne. 

Louise Michel: À ma classe d’Audeloncourt on chantait La Marseillaise avant l’étude du matin et après l’étude du soir. La strophe “Nous entrerons dans la carrière, Quand nos aînés n’y seront plus” était dite à genoux; une des plus jeunes la chantait seule (c’était une petite brune qui s’appelait Rose et que nous appelions Taupette à cause du noir lustré de ses cheveux). En reprenant le chœur nous avions souvent, les enfants et moi, des pluies de larmes tombant des yeux.

 

Georges Marbeck: Et le dimanche à l’église, lorsque le prêtre entonnait le Domine, salvum fac Napoleonum, tous vos élèves sortaient en frappant le sol de leurs petits sabots.

Louise Michel: J’avais dit aux enfants que c’était un sacrilège que d’assister à une prière pour cet homme.

 

Georges Marbeck: Vous avez même été convoquée par le préfet qui vous a vivement reproché d’avoir comparé, dans un feuilleton, Napoléon III à l’empereur Domitien qui avait banni de Rome philosophes et savants.

Louise Michel: Il me dit: “Vous avez insulté Sa Majesté l’Empereur en le comparant à Domitien et si vous n’étiez si jeune on serait en droit de vous envoyer à Cayenne”. Je répondis que ceux qui reconnaissaient M. Bonaparte au portrait de Domitien l’insultaient tout autant, mais qu’en effet c’était lui que j’avais en vue. Ajoutant que, quant à Cayenne, il m’eût été agréable d’y établir une maison d’éducation, et ne pouvant faire moi-même les frais du voyage, que ce serait au contraire me faire grand plaisir. La chose en resta là!

 

Georges Marbeck: Et vous n’êtes pas mécontente, deux ans plus tard, de quitter vos tracas villageois pour vous installer à Paris. Vous devenez sociétaire de la “Société démocratique de la moralisation, ayant pour but d’aider les ouvrières à vivre par leur travail”. Puis en janvier 70 vous prenez une part active à la manifestation monstre accompagnant l’enterrement de Victor Noir, journaliste à La Marseillaise, assassiné d’un coup de revolver par Pierre Bonaparte, le cousin de l’empereur. Deux cent mille personnes dans la rue au cri de “Bonaparte assassin!”

Louise Michel: On s’était armé de tout ce qui pouvait servir pour une lutte à mort, depuis le revolver jusqu’au compas. Il semblait qu’on allait enfin se jeter à la gorge du monstre impérial. J’avais pour ma part un poignard volé chez mon oncle et j’étais en homme pour ne pas gêner ni être gênée. Bon nombre de révolutionnaires, tous ceux de Montmartre, étaient armés; la mort passait dans l’air, on voyait la délivrance prochaine. Du côté de l’Empire, toutes les forces avaient été appelées.

 

Georges Marbeck: Et six mois plus tard, suite à une guerre calamiteuse contre la Prusse, au désastre de Sedan et au siège de Paris, l’Empire s’effondre. La République est proclamée le 4 septembre 1870. Un immense espoir renaît. Mais dès février 71, le nouveau pouvoir, conduit par Adolphe Thiers, dit “Foutriquet”, à la tête d’une assemblée ultra conservatrice, installée à Versailles, provoque déception et colère du peuple de Paris. La Commune est bientôt proclamée. Paris devient le théâtre d’un mouvement insurrectionnel violemment réprimé par l’armée aux ordres du pouvoir versaillais. Vous êtes en première ligne.

Louise Michel: Assurément oui, puisque la Commune voulait avant tout la révolution sociale, le plus cher de mes vœux. Si un pouvoir quelconque pouvait faire quelque chose, ç’eût été la Commune composée d’hommes d’intelligence, de courage, d’une incroyable honnêteté qui, tous, de la veille ou de longtemps, avaient donné d’incontestables preuves de dévouement et d’énergie. Le pouvoir les annihila, ne leur laissant plus d’implacable volonté que pour le sacrifice, ils surent mourir héroïquement. C’est que le pouvoir est maudit, et c’est pour cela que je suis anarchiste.

 

Georges Marbeck: Armée d’un pistolet, vous étiez prête, dit-on, à aller tuer Adolphe Thiers, ce dont vous dissuadèrent deux de vos proches. Jusqu’au jour où vous apprenez que votre mère a été saisie à son domicile pour être fusillée à votre place. Folle de douleur, vous vous constituez prisonnière, exigeant qu’on la libère, prête à être fusillée vous-même. Vous serez alors condamnée à la déportation, comme quelques 4 580 communards. C’est ainsi que vous vous retrouvez en Nouvelle-Calédonie.

 

À ce moment, le chat que Louise Michel caresse se met à miauler très fort. Louise sort de sa poche une boulette de viande.

 

Georges Marbeck: Vous avez toujours adoré les chats.

Louise Michel: Chacun de nous a son animal familier, les chats dominent; on les emmène avec soi quand on va dîner chez un camarade.

 

Georges Marbeck: Là-bas, à Ducos, dans votre étroite baraque de déportée, vous en aviez toute une troupe. Vous aviez aussi des chiens et des chevreaux. Vous avez même abrité un serpent dans une vieille case que vous aviez transformée en serre. Vous avez toujours eu un attachement passionné aux animaux. Et une sainte horreur des souffrances que les humains leur font subir. Comme à ces albatros chers à Baudelaire, martyrisés par les hommes d’équipage à bord de La Virginie en route pour la Calédonie.

Louise Michel: Après les avoir pêchés à l’hameçon, on les suspendait par les pieds pour qu’ils meurent sans tacher la blancheur de leurs plumes… Tristement, longtemps, ils soulevaient la tête, arrondissant le plus qu’ils pouvaient leur cou de cygne afin de prolonger la misérable agonie qu’on lisait dans l’épouvante de leurs yeux aux cils noirs… On m’a souvent accusée de plus de sollicitude pour les bêtes que pour les gens. C’est que tout va ensemble, depuis l’oiseau dont on écrase la couvée jusqu’aux nids humains décimés par la guerre… Le cœur de la bête est comme le cœur humain, son cerveau est comme le cerveau humain, susceptible de sentir et de comprendre… Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu’il me souvienne l’horreur des tortures infligées aux bêtes. C’est ainsi que ceux qui tiennent les peuples agissent envers eux.

 

Georges Marbeck: Ici, votre découverte et votre observation de toutes les formes du vivant propres à cette terre des antipodes ont été, des années durant, une source d’émerveillements… Jusqu’aux punaises et araignées.

Louise Michel: Sur chaque arbre vit une punaise qui n’appartient qu’à cet arbre-là. Toutes sont de véritables pierres précieuses, des rubis, des émeraudes, quelques-unes sont transparentes comme du cristal, décorées d’ornements finement dessinés. La Nouvelle-Calédonie est aussi le paradis des araignées; on les respecte parce qu’elles détruisent, dit-on, les cancrelats. Celles qu’on laisse à cet effet dans les cases appartiennent à une énorme espèce noire, aux pattes énormes et poilues; on dirait des mygales… Une autre, petite et transparente, a l’air d’une goutte de rosée rouge; une grosse blanche, pareille à une énorme noisette, est aussi estimée pour son goût fin, par les Canaques, que les sauterelles dont ils se font des crevettes.

 

Georges Marbeck: Oui, parlons de vos amis les Canaques. Dès le début de votre installation au camp, vous nouez à leur contact des rapports chaleureux, découvrant leur univers coutumier, leurs croyances, leurs chants, leurs danses, les soutenant dans leur lutte contre l’oppression coloniale sous toutes ses formes. Je pense au chant de cette femme dont vous avez recueilli les paroles.

Louise Michel: Idara!… Assise sous les hauts cocotiers, où les jeunes gens mènent lentement, en agitant les bras comme des ailes, la danse des roussettes, elle chante La chanson des blancs. “Quand les Blancs sont venus dans leurs grandes pirogues, nous les avons reçus en frères. Ils ont coupé les grands arbres pour attacher les ailes de leurs pirogues, cela ne nous faisait rien. Ils ont mangé l’igname dans la keulé, marmite de la tribu, nous en étions contents. Mais les Blancs se sont mis à prendre la terre qui produit sans la remuer, ils ont emmené les jeunes gens et les popinées pour les servir, ils ont pris tout ce que nous avions. Les Blancs nous promettaient le ciel et la terre, mais ils n’ont rien donné, rien que de la tristesse. Ils ont pris les échancrures du rivage où nous mettions nos pirogues, ils ont mis leurs villages près des cours d’eau, sous les cocotiers où nous mettions les nôtres. Ils marchent dans nos cultures avec mépris parce que nous n’avons que des bâtons pour retourner la terre, et pourtant ils avaient besoin de ce que nous avons. Ils devaient être malheureux chez eux, pour venir d’aussi loin, de l’autre côté de l’eau, dans le pays des tribus.”

 

Georges Marbeck: Vous créez dans une vieille hutte une école, où se retrouvent tous les dimanches une vingtaine de jeunes des tribus voisines.

Louise Michel: Jamais je n’ai eu d’élèves plus disciplinés, plus attentifs. Le Canaque est curieux et intelligent. Sa persévérance est grande. Mes écoliers ne tardèrent pas à faire de rapides progrès. Mais il faut croire que l’administration ne trouvait pas cette éducation à son goût. Un jour, un administrateur me fit appeler et me dit: “Il faudra fermer votre école. – Et pourquoi cela? – Parce que vous bourrez la tête des Canaques de doctrines pernicieuses. Vous avez parlé d’humanité, de justice, d’émancipation… Ce sont là des choses inutiles. Il ne faut pas parler d’émancipation à ces gens-là. Un jour ou l’autre cela pourrait être dangereux.” Je compris: Les Canaques devaient rester des brutes. Il était défendu d’ouvrir leur intelligence…

 

Georges Marbeck: Cette dévotion a ses racines dans votre enfance. Fille naturelle d’une femme de chambre au service d’une famille de châtelains des Vosges convertis à la philosophie des Lumières et à la République, qui vous ont élevée comme leur propre fille, vous avez grandi dans une atmosphère de libre pensée, de soif de savoir, de bonheur de lire et d’écrire.

Louise Michel: Bâtarde élevée à la campagne, je comprenais les révoltes agraires de la vieille Rome. Le rude travail de la terre m’apparaissait tel qu’il est, courbant l’homme comme le bœuf sur le sillon, gardant l’abattoir pour la bête quand elle est usée, le sac du mendiant pour l’homme quand il ne peut plus travailler. J’aurais voulu que l’animal se vengeât, que le chien mordît celui qui l’assommait de coups, que le cheval saignant sous le fouet renversât son bourreau.

 

Georges Marbeck: Lors de la révolution de 1848, vous avez dix-huit ans. Trois ans plus tard, c’est le coup d’état de “Napoléon le petit”. L’empire deuxième version est proclamé, la Marseillaise interdite, les mots liberté, égalité, fraternité effacés des bâtiments publics. C’est l’époque où vous devenez institutrice dans un village de la Haute-Marne. 

Louise Michel: À ma classe d’Audeloncourt on chantait La Marseillaise avant l’étude du matin et après l’étude du soir. La strophe “Nous entrerons dans la carrière, Quand nos aînés n’y seront plus” était dite à genoux; une des plus jeunes la chantait seule (c’était une petite brune qui s’appelait Rose et que nous appelions Taupette à cause du noir lustré de ses cheveux). En reprenant le chœur nous avions souvent, les enfants et moi, des pluies de larmes tombant des yeux.

 

Georges Marbeck: Et le dimanche à l’église, lorsque le prêtre entonnait le Domine, salvum fac Napoleonum, tous vos élèves sortaient en frappant le sol de leurs petits sabots.

Louise Michel: J’avais dit aux enfants que c’était un sacrilège que d’assister à une prière pour cet homme.

 

Georges Marbeck: Vous avez même été convoquée par le préfet qui vous a vivement reproché d’avoir comparé, dans un feuilleton, Napoléon III à l’empereur Domitien qui avait banni de Rome philosophes et savants.

Louise Michel: Il me dit: “Vous avez insulté Sa Majesté l’Empereur en le comparant à Domitien et si vous n’étiez si jeune on serait en droit de vous envoyer à Cayenne”. Je répondis que ceux qui reconnaissaient M. Bonaparte au portrait de Domitien l’insultaient tout autant, mais qu’en effet c’était lui que j’avais en vue. Ajoutant que, quant à Cayenne, il m’eût été agréable d’y établir une maison d’éducation, et ne pouvant faire moi-même les frais du voyage, que ce serait au contraire me faire grand plaisir. La chose en resta là!

 

Georges Marbeck: Et vous n’êtes pas mécontente, deux ans plus tard, de quitter vos tracas villageois pour vous installer à Paris. Vous devenez sociétaire de la “Société démocratique de la moralisation, ayant pour but d’aider les ouvrières à vivre par leur travail”. Puis en janvier 70 vous prenez une part active à la manifestation monstre accompagnant l’enterrement de Victor Noir, journaliste à La Marseillaise, assassiné d’un coup de revolver par Pierre Bonaparte, le cousin de l’empereur. Deux cent mille personnes dans la rue au cri de “Bonaparte assassin!”

Louise Michel: On s’était armé de tout ce qui pouvait servir pour une lutte à mort, depuis le revolver jusqu’au compas. Il semblait qu’on allait enfin se jeter à la gorge du monstre impérial. J’avais pour ma part un poignard volé chez mon oncle et j’étais en homme pour ne pas gêner ni être gênée. Bon nombre de révolutionnaires, tous ceux de Montmartre, étaient armés; la mort passait dans l’air, on voyait la délivrance prochaine. Du côté de l’Empire, toutes les forces avaient été appelées.

 

Georges Marbeck: Et six mois plus tard, suite à une guerre calamiteuse contre la Prusse, au désastre de Sedan et au siège de Paris, l’Empire s’effondre. La République est proclamée le 4 septembre 1870. Un immense espoir renaît. Mais dès février 71, le nouveau pouvoir, conduit par Adolphe Thiers, dit “Foutriquet”, à la tête d’une assemblée ultra conservatrice, installée à Versailles, provoque déception et colère du peuple de Paris. La Commune est bientôt proclamée. Paris devient le théâtre d’un mouvement insurrectionnel violemment réprimé par l’armée aux ordres du pouvoir versaillais. Vous êtes en première ligne.

Louise Michel: Assurément oui, puisque la Commune voulait avant tout la révolution sociale, le plus cher de mes vœux. Si un pouvoir quelconque pouvait faire quelque chose, ç’eût été la Commune composée d’hommes d’intelligence, de courage, d’une incroyable honnêteté qui, tous, de la veille ou de longtemps, avaient donné d’incontestables preuves de dévouement et d’énergie. Le pouvoir les annihila, ne leur laissant plus d’implacable volonté que pour le sacrifice, ils surent mourir héroïquement. C’est que le pouvoir est maudit, et c’est pour cela que je suis anarchiste.

 

Georges Marbeck: Armée d’un pistolet, vous étiez prête, dit-on, à aller tuer Adolphe Thiers, ce dont vous dissuadèrent deux de vos proches. Jusqu’au jour où vous apprenez que votre mère a été saisie à son domicile pour être fusillée à votre place. Folle de douleur, vous vous constituez prisonnière, exigeant qu’on la libère, prête à être fusillée vous-même. Vous serez alors condamnée à la déportation, comme quelques 4 580 communards. C’est ainsi que vous vous retrouvez en Nouvelle-Calédonie.

 

À ce moment, le chat que Louise Michel caresse se met à miauler très fort. Louise sort de sa poche une boulette de viande.

 

Georges Marbeck: Vous avez toujours adoré les chats.

Louise Michel: Chacun de nous a son animal familier, les chats dominent; on les emmène avec soi quand on va dîner chez un camarade.

 

Georges Marbeck: Là-bas, à Ducos, dans votre étroite baraque de déportée, vous en aviez toute une troupe. Vous aviez aussi des chiens et des chevreaux. Vous avez même abrité un serpent dans une vieille case que vous aviez transformée en serre. Vous avez toujours eu un attachement passionné aux animaux. Et une sainte horreur des souffrances que les humains leur font subir. Comme à ces albatros chers à Baudelaire, martyrisés par les hommes d’équipage à bord de La Virginie en route pour la Calédonie.

Louise Michel: Après les avoir pêchés à l’hameçon, on les suspendait par les pieds pour qu’ils meurent sans tacher la blancheur de leurs plumes… Tristement, longtemps, ils soulevaient la tête, arrondissant le plus qu’ils pouvaient leur cou de cygne afin de prolonger la misérable agonie qu’on lisait dans l’épouvante de leurs yeux aux cils noirs… On m’a souvent accusée de plus de sollicitude pour les bêtes que pour les gens. C’est que tout va ensemble, depuis l’oiseau dont on écrase la couvée jusqu’aux nids humains décimés par la guerre… Le cœur de la bête est comme le cœur humain, son cerveau est comme le cerveau humain, susceptible de sentir et de comprendre… Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu’il me souvienne l’horreur des tortures infligées aux bêtes. C’est ainsi que ceux qui tiennent les peuples agissent envers eux.

 

Georges Marbeck: Ici, votre découverte et votre observation de toutes les formes du vivant propres à cette terre des antipodes ont été, des années durant, une source d’émerveillements… Jusqu’aux punaises et araignées.

Louise Michel: Sur chaque arbre vit une punaise qui n’appartient qu’à cet arbre-là. Toutes sont de véritables pierres précieuses, des rubis, des émeraudes, quelques-unes sont transparentes comme du cristal, décorées d’ornements finement dessinés. La Nouvelle-Calédonie est aussi le paradis des araignées; on les respecte parce qu’elles détruisent, dit-on, les cancrelats. Celles qu’on laisse à cet effet dans les cases appartiennent à une énorme espèce noire, aux pattes énormes et poilues; on dirait des mygales… Une autre, petite et transparente, a l’air d’une goutte de rosée rouge; une grosse blanche, pareille à une énorme noisette, est aussi estimée pour son goût fin, par les Canaques, que les sauterelles dont ils se font des crevettes.

 

Georges Marbeck: Oui, parlons de vos amis les Canaques. Dès le début de votre installation au camp, vous nouez à leur contact des rapports chaleureux, découvrant leur univers coutumier, leurs croyances, leurs chants, leurs danses, les soutenant dans leur lutte contre l’oppression coloniale sous toutes ses formes. Je pense au chant de cette femme dont vous avez recueilli les paroles.

Louise Michel: Idara!… Assise sous les hauts cocotiers, où les jeunes gens mènent lentement, en agitant les bras comme des ailes, la danse des roussettes, elle chante La chanson des blancs. “Quand les Blancs sont venus dans leurs grandes pirogues, nous les avons reçus en frères. Ils ont coupé les grands arbres pour attacher les ailes de leurs pirogues, cela ne nous faisait rien. Ils ont mangé l’igname dans la keulé, marmite de la tribu, nous en étions contents. Mais les Blancs se sont mis à prendre la terre qui produit sans la remuer, ils ont emmené les jeunes gens et les popinées pour les servir, ils ont pris tout ce que nous avions. Les Blancs nous promettaient le ciel et la terre, mais ils n’ont rien donné, rien que de la tristesse. Ils ont pris les échancrures du rivage où nous mettions nos pirogues, ils ont mis leurs villages près des cours d’eau, sous les cocotiers où nous mettions les nôtres. Ils marchent dans nos cultures avec mépris parce que nous n’avons que des bâtons pour retourner la terre, et pourtant ils avaient besoin de ce que nous avons. Ils devaient être malheureux chez eux, pour venir d’aussi loin, de l’autre côté de l’eau, dans le pays des tribus.”

 

Georges Marbeck: Vous créez dans une vieille hutte une école, où se retrouvent tous les dimanches une vingtaine de jeunes des tribus voisines.

Louise Michel: Jamais je n’ai eu d’élèves plus disciplinés, plus attentifs. Le Canaque est curieux et intelligent. Sa persévérance est grande. Mes écoliers ne tardèrent pas à faire de rapides progrès. Mais il faut croire que l’administration ne trouvait pas cette éducation à son goût. Un jour, un administrateur me fit appeler et me dit: “Il faudra fermer votre école. – Et pourquoi cela? – Parce que vous bourrez la tête des Canaques de doctrines pernicieuses. Vous avez parlé d’humanité, de justice, d’émancipation… Ce sont là des choses inutiles. Il ne faut pas parler d’émancipation à ces gens-là. Un jour ou l’autre cela pourrait être dangereux.” Je compris: Les Canaques devaient rester des brutes. Il était défendu d’ouvrir leur intelligence…

____

Les Blancs nous promettaient le ciel et la terre; ils n’ont rien donné, rien que de la tristesse.

Les Blancs nous promettaient le ciel et la terre; ils n’ont rien donné, rien que de la tristesse.

Les Blancs nous promettaient le ciel et la terre; ils n’ont rien donné, rien que de la tristesse.

Georges Marbeck: Ce qui vous valut le surnom de “Louise, la canaque”. Et quand en 1878 éclata la grande révolte contre l’emprise coloniale, vous avez pris sans hésiter le parti des insurgés.

Louise Michel: Peuple de Paris, Canaques, même combat!… Parmi les déportés les uns prenaient parti pour les Canaques, les autres contre. Pour ma part j’étais absolument pour eux. Il en résultait entre nous de telles discussions qu’un jour, à la baie de l’Ouest, tout le poste descendit pour se rendre compte de ce qui arrivait. Nous n’étions que deux criant comme trente.

 

Georges Marbeck: C’est au cours de cette révolte que le chef de tribu Ataï, l’un des plus farouchement opposés à l’installation de colons sur son territoire, est tué à coup de hache et décapité. Vendue à un officier de marine, sa tête est envoyée à Paris, où elle finira au musée de l’Homme…

Louise Michel: L’insurrection fut noyée dans le sang, les rebelles décimés. Par une nuit de tempête, j’entendis frapper à la porte. “Qui est là?” demandai-je. “Taïau”, répondit-on. Je reconnus la voix de nos Canaques apporteurs de vivres. Taïau signifie ami. Ils étaient horribles à voir. Leurs cheveux étaient brûlés, des plaies affreuses couvraient leurs membres… “Nous n’avons pas voulu partir avant de se dire adieu… Tu as toujours été très bonne pour les pauvres Canaques, et eux penseront toujours à toi…” Alors cette écharpe rouge de la Commune que j’avais conservée à travers mille difficultés, je la partageai en deux et la leur donnai en souvenir. Pauvres amis, qui sont-ils devenus?… Ils ont sans doute péri au milieu des flots.

 

Des bruits de pas dans les feuilles sèches attirent notre attention. Un Canaque s’approche, accompagné de deux enfants, nous salue et s’adresse à elle:

– Louise, le bougna* est cuit. On vient te chercher.

– Oui, mes amis, j’arrive.

Je remercie vivement Louise Michel de cette inoubliable rencontre. Notre entretien s’arrête là.

 

*Plat traditionnel canaque à base d’ignames, de tarots, de bananes vertes, de cocos etc., cuits en terre, dans un four traditionnel fait de pierres chauffées.

 Georges Marbeck: Ce qui vous valut le surnom de “Louise, la canaque”. Et quand en 1878 éclata la grande révolte contre l’emprise coloniale, vous avez pris sans hésiter le parti des insurgés.

Louise Michel: Peuple de Paris, Canaques, même combat!… Parmi les déportés les uns prenaient parti pour les Canaques, les autres contre. Pour ma part j’étais absolument pour eux. Il en résultait entre nous de telles discussions qu’un jour, à la baie de l’Ouest, tout le poste descendit pour se rendre compte de ce qui arrivait. Nous n’étions que deux criant comme trente.

 

Georges Marbeck: C’est au cours de cette révolte que le chef de tribu Ataï, l’un des plus farouchement opposés à l’installation de colons sur son territoire, est tué à coup de hache et décapité. Vendue à un officier de marine, sa tête est envoyée à Paris, où elle finira au musée de l’Homme…

Louise Michel: L’insurrection fut noyée dans le sang, les rebelles décimés. Par une nuit de tempête, j’entendis frapper à la porte. “Qui est là?” demandai-je. “Taïau”, répondit-on. Je reconnus la voix de nos Canaques apporteurs de vivres. Taïau signifie ami. Ils étaient horribles à voir. Leurs cheveux étaient brûlés, des plaies affreuses couvraient leurs membres… “Nous n’avons pas voulu partir avant de se dire adieu… Tu as toujours été très bonne pour les pauvres Canaques, et eux penseront toujours à toi…” Alors cette écharpe rouge de la Commune que j’avais conservée à travers mille difficultés, je la partageai en deux et la leur donnai en souvenir. Pauvres amis, qui sont-ils devenus?… Ils ont sans doute péri au milieu des flots.

 

Des bruits de pas dans les feuilles sèches attirent notre attention. Un Canaque s’approche, accompagné de deux enfants, nous salue et s’adresse à elle:

– Louise, le bougna* est cuit. On vient te chercher.

– Oui, mes amis, j’arrive.

Je remercie vivement Louise Michel de cette inoubliable rencontre. Notre entretien s’arrête là.

 

*Plat traditionnel canaque à base d’ignames, de tarots, de bananes vertes, de cocos etc., cuits en terre, dans un four traditionnel fait de pierres chauffées.

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*Les paroles de Louise Michel sont la reprise mot pour mot de passages extraits de ses œuvres.

 

Georges Marbeck a collaboré à la revue Recherches avec Michel Foucault et Gilles Deleuze. Il est l’auteur de Hautefaye, l’année terrible (Robert Laffont). Il a aussi publié L’Orgie, voie du sacré, fait du prince, instinct de fête, ouvrage de référence.

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