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UN GRAND BESOIN D’IMAGINAIRE

Entretien avec Pablo Servigne par Julien Millanvoye

UN GRAND BESOIN D’IMAGINAIRE

Entretien avec Pablo Servigne par Julien Millanvoye

Manifestation pendant la fashion week visant à dénoncer les effets de l’industrie de la mode sur la planète, les gens et les animaux. 15/02/2020. © Talia Woodin.

Manifestation pendant la fashion week visant à dénoncer les effets de l’industrie de la mode sur la planète, les gens et les animaux. 15/02/2020. © Talia Woodin.

Mais, pour l’instant, il s’agit vraiment de creuser la psychologie de l’effondrement, d’apprendre à vivre avec. C’est une grande étape du “Que faire?”

Mais, pour l’instant, il s’agit vraiment de creuser la psychologie de l’effondrement, d’apprendre à vivre avec. C’est une grande étape du “Que faire?”

ÉTÉ 2020

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ÉTÉ 2020

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Effondrement, collapsus, sommes-nous prêts à accepter ce constat, même si la réalité semble l’avoir confirmé?

Pablo Servigne: Je pense que tout le monde n’en est pas encore là, c’est pour ça que l’on voit aujourd’hui des gens qui pensent encore que tout peut continuer comme avant, et d’autres qui pensent que tout ne peut pas continuer comme avant. Voilà les frictions, et les frictions elles seront là, encore présentes pendant des décennies.

 

Des frictions… Comme avec Extinction Rebellion? Comme à Notre-Dame-des-Landes?

P.S.: Oui, ça a été un point chaud de notre époque. Et passionnant, car la question oppose des gens qui luttent pour plus d’emploi, pour plus de croissance, plus de prospérité, à d’autres qui disent: “Mais ça ne sert à rien votre truc contre l’aéroport, puisqu’il n’y aura plus d’avion dans dix ans.”

 

Qui a raison?

P.S.: Les deux ont raison, mais ils ne sont pas sur le même imaginaire, pas sur la même manière d’être au monde, n’ont pas la même manière de voir l’avenir ou de se le représenter. Ils ne peuvent donc pas se comprendre, et là est vraiment un point de friction, de tension, de cisaillement de notre époque. C’est assez beau, au fond. Pour cette raison, je suis persuadé que le terrain de lutte est en grande partie dans l’imaginaire, dans notre manière de se représenter le monde et le futur, et pas seulement du côté de la raison. Il y a un grand effort à faire du côté des récits et des histoires que l’on se raconte, des fictions.

Il faut donc subir un grand déclic psychologique, c’est-à-dire accepter de tout faire pour bien vivre l’effondrement. C’est ça la clé, il ne faut pas chercher à l’éviter.

 

Vous dites que les deux ont raison mais qu’ils n’ont pas le même imaginaire. Comment peuvent-ils avoir tous raison sans partager un même imaginaire? Comment peuvent-ils se comprendre et parler de façon raisonnée?

P.S.: Ils ont raison dans le sens où leur réponse propre répond à leurs attentes, les arguments sont rationnels des deux côtés. Il y en a qui veulent simplement un job, sortir de la mouise, et ils croient vraiment que l’aéroport va leur apporter du boulot, donc un salaire, et donc à manger pour les enfants. Je caricature un peu, mais si tu ne vois que cela, tu as forcément raison, tout est logique. Après, si tu commences à t’intéresser à d’autres choses, je ne sais pas moi, les batraciens par exemple, la biodiversité, le CO2 dans l’atmosphère, les grandes crises climatiques… tu as alors raison de penser que ce n’est pas logique de développer un aéroport. Si tu es riverain, le bruit et le trafic, ça va te gêner, tu as également raison de t’opposer… En fait, il y a plein de raisons de s’opposer, et il y a plein de raisons d’être d’accord.

 

Tout le monde a raison, mais chacun doit étendre sa vision?

P.S.: Chacun peut être dans son petit monde, mais si l’on élargit et que l’on voit le tableau global, il y a un pas en plus à faire. Qui est de montrer que non, ce n’est pas qu’une question de volonté: il n’y aura vraiment plus d’avion, cela ne peut plus durer, ce n’est pas logique d’investir dans cette industrie. L’effondrement n’est pas un choix politique, ça va arriver, il faut juste s’y préparer. Donc, ceux qui pensent ça ont aussi raison. Cela fait des visions totalement contradictoires. Peut-être me posez-vous la question car, pour vous, avoir raison serait synonyme de dire la vérité, au sens d’une vérité absolue, scientifique. Mais il ne s’agit pas de cela. Chacun a ses raisons, c’est dans ce sens-là que j’emploie le mot “raison”. La vraie question est politique: quel monde cherche-t-on à construire ensemble? A-t-on vraiment envie de construire quelque chose ensemble? Si oui, allons-y, discutons. Si non, alors on ne s’entendra jamais.

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Effondrement, collapsus, sommes-nous prêts à accepter ce constat, même si la réalité semble l’avoir confirmé?

Pablo Servigne: Je pense que tout le monde n’en est pas encore là, c’est pour ça que l’on voit aujourd’hui des gens qui pensent encore que tout peut continuer comme avant, et d’autres qui pensent que tout ne peut pas continuer comme avant. Voilà les frictions, et les frictions elles seront là, encore présentes pendant des décennies.

 

Des frictions… Comme avec Rebellion Extinction? Comme à Notre-Dame-des-Landes?

P.S. Oui, ça a été un point chaud de notre époque. Et passionnant, car la question oppose des gens qui luttent pour plus d’emploi, pour plus de croissance, plus de prospérité, à d’autres qui disent: “Mais ça ne sert à rien votre truc contre l’aéroport, puisqu’il n’y aura plus d’avion dans dix ans.”

 

Qui a raison?

P.S. Les deux ont raison, mais ils ne sont pas sur le même imaginaire, pas sur la même manière d’être au monde, n’ont pas la même manière de voir l’avenir ou de se le représenter. Ils ne peuvent donc pas se comprendre, et là est vraiment un point de friction, de tension, de cisaillement de notre époque. C’est assez beau, au fond. Pour cette raison, je suis persuadé que le terrain de lutte est en grande partie dans l’imaginaire, dans notre manière de se représenter le monde et le futur, et pas seulement du côté de la raison. Il y a un grand effort à faire du côté des récits et des histoires que l’on se raconte, des fictions.

Il faut donc subir un grand déclic psychologique, c’est-à-dire accepter de tout faire pour bien vivre l’effondrement. C’est ça la clé, il ne faut pas chercher à l’éviter.

 

Vous dites que les deux ont raison mais qu’ils n’ont pas le même imaginaire. Comment peuvent-ils avoir tous raison sans partager un même imaginaire? Comment peuvent-ils se comprendre et parler de façon raisonnée?

P.S. Ils ont raison dans le sens où leur réponse propre répond à leurs attentes, les arguments sont rationnels des deux côtés. Il y en a qui veulent simplement un job, sortir de la mouise, et ils croient vraiment que l’aéroport va leur apporter du boulot, donc un salaire, et donc à manger pour les enfants. Je caricature un peu, mais si tu ne vois que cela, tu as forcément raison, tout est logique. Après, si tu commences à t’intéresser à d’autres choses, je ne sais pas moi, les batraciens par exemple, la biodiversité, le CO2 dans l’atmosphère, les grandes crises climatiques… tu as alors raison de penser que ce n’est pas logique de développer un aéroport. Si tu es riverain, le bruit et le trafic, ça va te gêner, tu as également raison de t’opposer… En fait, il y a plein de raisons de s’opposer, et il y a plein de raisons d’être d’accord.

 

Tout le monde a raison, mais chacun doit étendre sa vision?

P.S. Chacun peut être dans son petit monde, mais si l’on élargit et que l’on voit le tableau global, il y a un pas en plus à faire. Qui est de montrer que non, ce n’est pas qu’une question de volonté: il n’y aura vraiment plus d’avion, cela ne peut plus durer, ce n’est pas logique d’investir dans cette industrie. L’effondrement n’est pas un choix politique, ça va arriver, il faut juste s’y préparer. Donc, ceux qui pensent ça ont aussi raison. Cela fait des visions totalement contradictoires. Peut-être me posez-vous la question car, pour vous, avoir raison serait synonyme de dire la vérité, au sens d’une vérité absolue, scientifique. Mais il ne s’agit pas de cela. Chacun a ses raisons, c’est dans ce sens-là que j’emploie le mot “raison”. La vraie question est politique: quel monde cherche-t-on à construire ensemble? A-t-on vraiment envie de construire quelque chose ensemble? Si oui, allons-y, discutons. Si non, alors on ne s’entendra jamais.

____

“C’est justement parce qu’il y a un effondrement que l’on doit se bouger. Il est là, le grand déclic psychologique à avoir.”

“C’est justement parce qu’il y a un effondrement que l’on doit se bouger. Il est là, le grand déclic psychologique à avoir.”

Il est donc déjà trop tard? Pour vous, quelque chose va arriver: on ne sait pas exactement quand, ni quoi, mais il serait de toute façon déjà trop tard pour l’éviter?

P.S.: Oui, et il faut l’accepter… Mais c’est trop tard pour quoi? Il faut toujours préciser de quoi on parle, au juste. Il est trop tard pour continuer la trajectoire, et c’est aussi trop tard pour le développement durable, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire et que tout est foutu. Selon moi, tout ce que l’on fait et tout ce que l’on fera servira à ralentir et atténuer les effets d’un effondrement. Ce qu’il faut maintenant accepter, c’est que l’on va vivre cet effondrement. Il faut donc subir un grand déclic psychologique, c’est-à-dire accepter de tout faire pour bien vivre l’effondrement. C’est ça la clé, il ne faut pas chercher à l’éviter.

 

Souvent les déclics psychologiques ne se produisent pas du fait d’un livre ou d’une pensée rationnelle, mais d’un événement, d’une image, d’un choc…

P.S.: Je prends toujours la métaphore de l’arbre dans la forêt: il y a un grand chêne qui est en train de s’effondrer. Il ne faut pas passer de l’énergie et du temps à essayer d’éviter sa chute, il faut plutôt se consacrer à nourrir les jeunes pousses qui vont émerger du fait même que le grand arbre s’effondre. Je ne vais pas employer le mot “positif”, mais il y a quelque chose de l’ordre de l’action et de l’enthousiasme là-dedans. On n’est pas du tout à se morfondre et à dire que tout est foutu et qu’il ne faut rien faire, au contraire. C’est justement parce qu’il y a un effondrement que l’on doit se bouger. Il est là, le grand déclic psychologique à avoir. Par psychologique, j’entends surtout une rupture imaginaire, dans notre représentation du monde, et donc de l’avenir.

 

Bon, alors, désolé pour la question bête, mais allons-y: Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait, Pablo?

P.S.: Avant de répondre, je voudrais préciser qu’il y a trois manières d’aborder l’effondrement. La première, c’est le constat. Les faits. C’est ce qui est en train d’arriver, c’est au centre. C’est ce que l’on a essayé de faire dans notre livre, être le plus clair possible, avoir le raisonnement le plus lucide possible, pour essayer de s’entendre là-dessus, avec le plus grand nombre possible de personnes. Là-dessus, se greffent deux postures conflictuelles. 

La première, en amont, ce sont les causes: “Pourquoi en est-on arrivé là?”. Et là, tout le monde se chamaille. Certains vont dire: “C’est le capitalisme”, d’autres: “Non, c’est le pouvoir”. “Mais non, c’est le manque de pouvoir”, “Ah non! C’est la croissance”, “Mais non, c’est le néocolonialisme”; “Moi, je dirais que ce sont les gauchistes”, “Et les fascistes, alors?” Tout le monde met les “ismes” qu’il veut, mais l’on se chamaille et ça fait des articles et des bouquins à n’en plus finir. Chacun a sa petite raison, et c’est une question collapsologique importante, mais ce n’étais pas ça qui nous intéressait pour ce premier tome.

La seconde manière de se chamailler, en aval, une fois que l’on a le constat, c’est: “Qu’est-ce qu’on fait?” Là, certains vont dire: “Il faut s’organiser”, et d’autres: “Mais non, il faut voter”, et d’autres “Surtout pas, il faut arrêter de voter”, et d’autres, “Mais non, il faut construire une Europe meilleure”, “Mais non, il faut abandonner l’Europe”, “Mais non il faut construire une cabane, y mettre des vivres et s’acheter une arme”, “Mais non il ne faut pas faire ça”… Encore une fois tout le monde se bat, chacun a sa posture et c’est vite fatigant.

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Il est donc déjà trop tard? Pour vous, quelque chose va arriver: on ne sait pas exactement quand, ni quoi, mais il serait de toute façon déjà trop tard pour l’éviter?

P.S. Oui, et il faut l’accepter… Mais c’est trop tard pour quoi? Il faut toujours préciser de quoi on parle, au juste. Il est trop tard pour continuer la trajectoire, et c’est aussi trop tard pour le développement durable, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire et que tout est foutu. Selon moi, tout ce que l’on fait et tout ce que l’on fera servira à ralentir et atténuer les effets d’un effondrement. Ce qu’il faut maintenant accepter, c’est que l’on va vivre cet effondrement. Il faut donc subir un grand déclic psychologique, c’est-à-dire accepter de tout faire pour bien vivre l’effondrement. C’est ça la clé, il ne faut pas chercher à l’éviter.

 

Souvent les déclics psychologiques ne se produisent pas du fait d’un livre ou d’une pensée rationnelle, mais d’un événement, d’une image, d’un choc…

P.S. Je prends toujours la métaphore de l’arbre dans la forêt: il y a un grand chêne qui est en train de s’effondrer. Il ne faut pas passer de l’énergie et du temps à essayer d’éviter sa chute, il faut plutôt se consacrer à nourrir les jeunes pousses qui vont émerger du fait même que le grand arbre s’effondre. Je ne vais pas employer le mot “positif”, mais il y a quelque chose de l’ordre de l’action et de l’enthousiasme là-dedans. On n’est pas du tout à se morfondre et à dire que tout est foutu et qu’il ne faut rien faire, au contraire. C’est justement parce qu’il y a un effondrement que l’on doit se bouger. Il est là, le grand déclic psychologique à avoir. Par psychologique, j’entends surtout une rupture imaginaire, dans notre représentation du monde, et donc de l’avenir.

 

Bon, alors, désolé pour la question bête, mais allons-y: Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait, Pablo?

P.S. Avant de répondre, je voudrais préciser qu’il y a trois manières d’aborder l’effondrement. La première, c’est le constat. Les faits. C’est ce qui est en train d’arriver, c’est au centre. C’est ce que l’on a essayé de faire dans notre livre, être le plus clair possible, avoir le raisonnement le plus lucide possible, pour essayer de s’entendre là-dessus, avec le plus grand nombre possible de personnes. Là-dessus, se greffent deux postures conflictuelles. 

La première, en amont, ce sont les causes : “Pourquoi en est-on arrivé là?”. Et là, tout le monde se chamaille. Certains vont dire: “C’est le capitalisme”, d’autres: “Non, c’est le pouvoir”. “Mais non, c’est le manque de pouvoir”, “Ah non! C’est la croissance”, “Mais non, c’est le néocolonialisme”; “Moi, je dirais que ce sont les gauchistes”, “Et les fascistes, alors?” Tout le monde met les “ismes” qu’il veut, mais l’on se chamaille et ça fait des articles et des bouquins à n’en plus finir. Chacun a sa petite raison, et c’est une question collapsologique importante, mais ce n’étais pas ça qui nous intéressait pour ce premier tome.

La seconde manière de se chamailler, en aval, une fois que l’on a le constat, c’est: “Qu’est-ce qu’on fait?” Là, certains vont dire: “Il faut s’organiser”, et d’autres: “Mais non, il faut voter”, et d’autres “Surtout pas, il faut arrêter de voter”, et d’autres, “Mais non, il faut construire une Europe meilleure”, “Mais non, il faut abandonner l’Europe,” “Mais non il faut construire une cabane, y mettre des vivres et s’acheter une arme”, “Mais non il ne faut pas faire ça”… Encore une fois tout le monde se bat, chacun a sa posture et c’est vite fatigant.

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“Un grand chêne est en train de s’effondrer. Il n’est plus temps d’essayer d’éviter sa chute, il faut plutôt se consacrer à nourrir les jeunes pousses qui vont émerger.”

“Un grand chêne est en train de s’effondrer. Il n’est plus temps d’essayer d’éviter sa chute, il faut plutôt se consacrer à nourrir les jeunes pousses qui vont émerger.”

“Un grand chêne est en train de s’effondrer. Il n’est plus temps d’essayer d’éviter sa chute, il faut plutôt se consacrer à nourrir les jeunes pousses qui vont émerger.”

On pourrait trouver un terrain d’entente? 

P.S.: Selon moi, il faut, dans un premier temps, se concentrer sur ce qui est au milieu. C’est-à-dire les faits. Et il faut être conscient, lucide et très clair sur ce qui se passe, pour que chacun utilise ses petits outils conceptuels, sa trousse à outils, pour ensuite faire ce qu’il ou elle veut. Que chacun interprète à sa guise les causes et réagisse selon ses convictions. Ceci étant dit, il y a plein de choses à faire, à tous les niveaux. C’est la question de la politique de l’effondrement: que fait-on, collectivement? Certes, il y a beaucoup de choses à faire individuellement, et c’est toute la question du mouvement survivaliste. On a tous un survivaliste en nous, et il y a plein de manières d’être survivaliste, mais ce n’est pas mon propos ici. Ce qui m’intéresse, c’est le chantier politique. On pourrait en discuter des heures, et il y a plein de pistes, c’est un grand chantier et c’est pour ça que je ne peux pas y répondre maintenant.

 

On favoriserait trop l’action par rapport à la réflexion?

P.S.: Je trouve que les gens ont souvent tendance à passer à l’action trop vite. Mon sentiment est qu’il faudrait explorer le champ de la psychologie de l’effondrement plus en profondeur, avant de se lancer dans n’importe quoi. Je pense qu’il est sage de travailler sa posture, sa manière d’être avec les autres, avec nous-même, avec le monde, avec l’avenir, avec le passé, etc. Je pense que c’est ça, l’étape importante: après avoir compris, mais avant d’agir. C’est une sorte de “transition intérieure”, comment on se comporte, comment on retrouve du lien, comment on crée du sens à notre monde, à notre façon d’être au monde, pour pouvoir faire des choses justes. Je pense qu’il est sage de travailler sa posture, sa manière d’être avec les autres, avec nous-même, avec le monde, avec l’avenir, avec le passé… Je pense que c’est ça, l’étape importante: après avoir compris, mais avant d’agir.

J’ai l’impression que si on part trop vite dans l’action, avec notre imaginaire du XX° siècle, voire du début du XXI°, si l’on n’a pas fait un changement très profond avant, on va faire des bêtises. Je ne suis peut-être pas le seul à penser cela, peut-être qu’il y en a qui ne sont pas d’accord, mais c’est aujourd’hui l’objet de nos recherches, avec Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle. Nous en sommes convaincus. Si jamais on écrit sur la politique de l’effondrement, ça sera un tome 3, ou un tome 4 ! [Rires] Mais, pour l’instant, il s’agit vraiment de creuser la psychologie de l’effondrement, d’apprendre à vivre avec. C’est une grande étape du “Que faire?”

 

Vous avez rencontré beaucoup de monde depuis la sortie du livre, vous faites des conférences, vous travaillez avec des artistes… Qu’avez-vous constaté? Quelles sont les préoccupations?

P.S.: De manière générale, on a croisé un public très diversifié, c’est passionnant.Ces deux dernières années, nous avons été invités dans les universités, dans les partis politiques, les associations, les salons du livre, des chambres d’agriculture, des militaires, des patrons, des administrations mais aussi des artistes. Ce qui est fou, c’est qu’à chaque fois… ce sont les mêmes questions! Par exemple: “Est-ce que l’on va s’entretuer?”

 

Un peu comme une angoisse fantasmée?

P.S.: Chez tout le monde, on retrouve cette peur, cette tristesse, cette excitation et cette colère. En fait ce thème de l’effondrement est obsédant. Une fois qu’il s’accroche, il ne vous lâche plus, c’est pour la vie. Chez les artistes, c’est une sorte de résilience, ils subliment ces thèmes dans leurs œuvres, c’est magnifique. Ceux qui m’ont contacté veulent créer sur ce thème de l’effondrement, que ce soit en BD, en roman, en film, en pièce de théâtre, en spectacle de danse… Donc ça rejoint un peu ce que nous disions dans le livre, c’est-à-dire que faire un essai sur l’effondrement et comprendre ce qui se passe, ce n’est que 10% du chemin.

 

Il faut passer de la raison à l’imaginaire?

P.S.: Oui, aux émotions et à l’imaginaire. Car on a besoin de récits, d’histoires, de fiction, on a besoin de s’identifier à des personnages, de danser les choses, de pleurer, de faire la fête. Les émotions et l’imaginaire sont deux grands champs pour avancer.

En ce qui concerne les artistes, pour moi une des priorités, en parallèle des préparations individuelles, ou collectives, ou politiques, c’est d’explorer le champ des récits qui ne soit pas caricaturaux, et qui donne envie d’aborder le futur de manière lucide. En gros, qui ne soit ni dystopique, genre Mad Max ou La Route, ni utopique, genre La Belle Verte, que j’aime bien par ailleurs – et j’aime bien Mad Max aussi – mais qu’on puisse naviguer dans des imaginaires plus fins, moins archétypaux, moins caricaturaux.

 

C’est ce que vous attendez des artistes?

P.S.: Qu’ils soient à l’avant-garde de l’imaginaire du futur, avec bienveillance et lucidité. Je trouve que les dystopies sont trop tournées vers la peur. On cherche à faire peur, je comprends, et c’est bien, mais c’est une partie du problème. Ok, tout le monde a peur, mais on n’avance pas qu’avec la peur. Il faut des récits sur la tristesse et le désespoir, sur la colère, des récits sur la joie et l’enthousiasme qu’il y a à dessiner l’avenir et, en fait, il faut même mieux que cela, il faut mélanger tout ça. Il y a plein de thèmes à trouver, à dérouler, plutôt que seulement la peur et la réponse par les armes et la loi du plus fort. ■

On pourrait trouver un terrain d’entente? 

P.S. Selon moi, il faut, dans un premier temps, se concentrer sur ce qui est au milieu. C’est-à-dire les faits. Et il faut être conscient, lucide et très clair sur ce qui se passe, pour que chacun utilise ses petits outils conceptuels, sa trousse à outils, pour ensuite faire ce qu’il ou elle veut. Que chacun interprète à sa guise les causes et réagisse selon ses convictions. Ceci étant dit, il y a plein de choses à faire, à tous les niveaux. C’est la question de la politique de l’effondrement: que fait-on, collectivement? Certes, il y a beaucoup de choses à faire individuellement, et c’est toute la question du mouvement survivaliste. On a tous un survivaliste en nous, et il y a plein de manières d’être survivaliste, mais ce n’est pas mon propos ici. Ce qui m’intéresse, c’est le chantier politique. On pourrait en discuter des heures, et il y a plein de pistes, c’est un grand chantier et c’est pour ça que je ne peux pas y répondre maintenant.

 

On favoriserait trop l’action par rapport à la réflexion?

P.S. Je trouve que les gens ont souvent tendance à passer à l’action trop vite. Mon sentiment est qu’il faudrait explorer le champ de la psychologie de l’effondrement plus en profondeur, avant de se lancer dans n’importe quoi. Je pense qu’il est sage de travailler sa posture, sa manière d’être avec les autres, avec nous-même, avec le monde, avec l’avenir, avec le passé, etc. Je pense que c’est ça, l’étape importante: après avoir compris, mais avant d’agir. C’est une sorte de “transition intérieure”, comment on se comporte, comment on retrouve du lien, comment on crée du sens à notre monde, à notre façon d’être au monde, pour pouvoir faire des choses justes. Je pense qu’il est sage de travailler sa posture, sa manière d’être avec les autres, avec nous-même, avec le monde, avec l’avenir, avec le passé… Je pense que c’est ça, l’étape importante: après avoir compris, mais avant d’agir.

J’ai l’impression que si on part trop vite dans l’action, avec notre imaginaire du XX° siècle, voire du début du XXI°, si l’on n’a pas fait un changement très profond avant, on va faire des bêtises. Je ne suis peut-être pas le seul à penser cela, peut-être qu’il y en a qui ne sont pas d’accord, mais c’est aujourd’hui l’objet de nos recherches, avec Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle. Nous en sommes convaincus. Si jamais on écrit sur la politique de l’effondrement, ça sera un tome 3, ou un tome 4! [Rires] Mais, pour l’instant, il s’agit vraiment de creuser la psychologie de l’effondrement, d’apprendre à vivre avec. C’est une grande étape du “Que faire?”

 

Vous avez rencontré beaucoup de monde depuis la sortie du livre, vous faites des conférences, vous travaillez avec des artistes… Qu’avez-vous constaté? Quelles sont les préoccupations?

P.S. De manière générale, on a croisé un public très diversifié, c’est passionnant.Ces deux dernières années, nous avons été invités dans les universités, dans les partis politiques, les associations, les salons du livre, des chambres d’agriculture, des militaires, des patrons, des administrations mais aussi des artistes. Ce qui est fou, c’est qu’à chaque fois… ce sont les mêmes questions! Par exemple: “Est-ce que l’on va s’entretuer?”

 

Un peu comme une angoisse fantasmée?

P.S. Chez tout le monde, on retrouve cette peur, cette tristesse, cette excitation et cette colère. En fait ce thème de l’effondrement est obsédant. Une fois qu’il s’accroche, il ne vous lâche plus, c’est pour la vie. Chez les artistes, c’est une sorte de résilience, ils subliment ces thèmes dans leurs œuvres, c’est magnifique. Ceux qui m’ont contacté veulent créer sur ce thème de l’effondrement, que ce soit en BD, en roman, en film, en pièce de théâtre, en spectacle de danse… Donc ça rejoint un peu ce que nous disions dans le livre, c’est-à-dire que faire un essai sur l’effondrement et comprendre ce qui se passe, ce n’est que 10% du chemin.

 

Il faut passer de la raison à l’imaginaire?

P.S. Oui, aux émotions et à l’imaginaire. Car on a besoin de récits, d’histoires, de fiction, on a besoin de s’identifier à des personnages, de danser les choses, de pleurer, de faire la fête. Les émotions et l’imaginaire sont deux grands champs pour avancer.

En ce qui concerne les artistes, pour moi une des priorités, en parallèle des préparations individuelles, ou collectives, ou politiques, c’est d’explorer le champ des récits qui ne soit pas caricaturaux, et qui donne envie d’aborder le futur de manière lucide. En gros, qui ne soit ni dystopique, genre Mad Max ou La Route, ni utopique, genre La Belle Verte, que j’aime bien par ailleurs – et j’aime bien Mad Max aussi – mais qu’on puisse naviguer dans des imaginaires plus fins, moins archétypaux, moins caricaturaux.

 

C’est ce que vous attendez des artistes?

P.S. Qu’ils soient à l’avant-garde de l’imaginaire du futur, avec bienveillance et lucidité. Je trouve que les dystopies sont trop tournées vers la peur. On cherche à faire peur, je comprends, et c’est bien, mais c’est une partie du problème. Ok, tout le monde a peur, mais on n’avance pas qu’avec la peur. Il faut des récits sur la tristesse et le désespoir, sur la colère, des récits sur la joie et l’enthousiasme qu’il y a à dessiner l’avenir et, en fait, il faut même mieux que cela, il faut mélanger tout ça. Il y a plein de thèmes à trouver, à dérouler, plutôt que seulement la peur et la réponse par les armes et la loi du plus fort. ■

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Pablo Servigne est ingénieur agronome. Il est l’auteur avec Raphaël Stevens du best-seller Comment tout peut s’effondrer: petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (2014, Seuil) et de Une autre fin du monde est possible (Seuil, 2018). Une version complète de cet entretien est disponible sur l’excellent site Postapmag.com

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