Qiu Xialong
Qiu Xialong
Beijing, 2008. © Honza Soukup.
J’ai lu récemment une plaisanterie sur Internet au sujet d’un oiseau affamé volant au-dessus d’une rizière parce qu’il ne peut pas voir sa nourriture à travers la crasse.
J’ai lu récemment une plaisanterie sur Internet au sujet d’un oiseau affamé volant au-dessus d’une rizière parce qu’il ne peut pas voir sa nourriture à travers la crasse.
AUTOMNE 2021
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AUTOMNE 2021
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Dans le roman policier de Quiu Xialong, Chine retiens ton souffle (Liana Levi, 2018), l’inspecteur Chen Cao de Shanghai est convoqué par le dirigeant du Parti, Zhao, sans savoir pourquoi. Il s’étonne que ce soit pour discuter avec lui d’un nouveau mot de la langue chinoise, smog. Et comprend qu’il doit enquêter sur la belle et populaire militante écologiste Yuan jing, qui dénonce l’intense pollution des cités chinoises.
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Dans le roman policier de Quiu Xialong, Chine retiens ton souffle (Liana Levi, 2018), l’inspecteur Chen Cao de Shanghai est convoqué par le dirigeant du Parti, Zhao, sans savoir pourquoi. Il s’étonne que ce soit pour discuter avec lui d’un nouveau mot de la langue chinoise, smog. Et comprend qu’il doit enquêter sur la belle et populaire militante écologiste Yuan jing, qui dénonce l’intense pollution des cités chinoises.
Peu après, l’inspecteur Chen se retrouva au trente-neuvième étage de l’hôtel Hyatt, en compagnie du camarade Zhao, l’ancien mais toujours puissant secrétaire de la Commission centrale de contrôle de la discipline de la Cité interdite. Ce matin-là, la vue aérienne sur la ville aurait dû être éblouissante, révéler des vaisseaux colorés voguant sur le fleuve Huangpu bordé de gratte-ciel majestueux, mais pour l’instant l’horizon était complètement bouché. L’hôtel semblait enveloppé dans un immense voile gris.
“Comme le reste du pays, Shanghai a tellement changé au cours de la réforme économique, annonça Zhao avecune pointe de nostalgie. À l’est du fleuve, il n’y avait que des champs, je m’en souviens comme si c’était hier. Maintenant les gratte-ciel se dressent les uns contre les autres, la ville est devenue le centre financier de l’Asie et deviendra bientôt sûrement le centre du monde.”
Pour un homme ayant occupé un poste aussi important, Zhao ne s’exprimait pas sur un ton officiel, du moins pas avec Chen. Ce dernier l’écoutait attentivement, droit comme un I, acquiesçant respectueusement tout en essayant de se concentrer sur les paroles de son interlocuteur alors que son esprit ne cessait de dériver vers l’affaire évoquée le matin au bureau de la police.
Le constat de Zhao, prélude à leur conversation, était juste. Ces dernières années, la transformation du paysage urbain avait été radicale, époustouflante, même pour des natifs de Shanghai comme Chen. Et ce, particulièrement dans le district de Pudong, à l’est du fleuve Huangpu. À côté de l’hôtel Hyatt, un nouvel immeuble en construction, le Shanghai Trade Center, qui s’élèverait bientôt plus haut encore que son voisin, pointait comme un génie sorti d’une bouteille. De mystérieux ouvriers masqués grouillaient sur le chantier, dangereusement perchés sur des échafaudages d’acier noyés dans le brouillard, projetant des étincelles dans la grisaille du ciel.
“Oui, sur Internet, les gens surnomment maintenant Shanghai la “ville magique”.” Chen se garda d’ajouter que pour les cybercitoyens, le mot “magique” n’avait pas forcément une connotation positive. Avec le vieux dirigeant du Parti, il valait mieux rester dans le “positif”, même s’il était communément perçu comme un homme plutôt modéré. “Devinez pourquoi je suis à Shanghai cette fois?” poursuivit Zhao comme pour répondre à la question tacite de Chen sur sa visite inopinée. “D’après les journaux, le vieux camarade que je suis accomplit une sorte de voyage d’étude. Mais entre nous, j’en ai assez de l’air de Pékin, du smog, comme ils disent sur Internet. Encore un nouveau mot dans la langue chinoise.
− C’est parce que ce n’est pas la même chose que le brouillard qui, lui, se dissipe dans la matinée. Le smog ne s’évapore pas, il stagne toute la journée. Et il est très malsain, plein de particules fines extrêmement toxiques.
− Quel que soit son nom, dans la capitale, la qualité de l’air est très mauvaise. Dès que je mets le nez dehors, je suis obligé de porter un masque. Je suis vieux, j’avais besoin de prendre des vacances et de venir respirer l’air pur du Sud. Je pense rester ici une semaine avant d’aller à Suzhou et à Hangzhou…
− Mais ici...” Chen n’osa pas ajouter que la qualité de l’air était tout aussi déplorable.
Peu après, l’inspecteur Chen se retrouva au trente-neuvième étage de l’hôtel Hyatt, en compagnie du camarade Zhao, l’ancien mais toujours puissant secrétaire de la Commission centrale de contrôle de la discipline de la Cité interdite. Ce matin-là, la vue aérienne sur la ville aurait dû être éblouissante, révéler des vaisseaux colorés voguant sur le fleuve Huangpu bordé de gratte-ciel majestueux, mais pour l’instant l’horizon était complètement bouché. L’hôtel semblait enveloppé dans un immense voile gris.
“Comme le reste du pays, Shanghai a tellement changé au cours de la réforme économique, annonça Zhao avecune pointe de nostalgie. À l’est du fleuve, il n’y avait que des champs, je m’en souviens comme si c’était hier. Maintenant les gratte-ciel se dressent les uns contre les autres, la ville est devenue le centre financier de l’Asie et deviendra bientôt sûrement le centre du monde.”
Pour un homme ayant occupé un poste aussi important, Zhao ne s’exprimait pas sur un ton officiel, du moins pas avec Chen. Ce dernier l’écoutait attentivement, droit comme un I, acquiesçant respectueusement tout en essayant de se concentrer sur les paroles de son interlocuteur alors que son esprit ne cessait de dériver vers l’affaire évoquée le matin au bureau de la police.
Le constat de Zhao, prélude à leur conversation, était juste. Ces dernières années, la transformation du paysage urbain avait été radicale, époustouflante, même pour des natifs de Shanghai comme Chen. Et ce, particulièrement dans le district de Pudong, à l’est du fleuve Huangpu. À côté de l’hôtel Hyatt, un nouvel immeuble en construction, le Shanghai Trade Center, qui s’élèverait bientôt plus haut encore que son voisin, pointait comme un génie sorti d’une bouteille. De mystérieux ouvriers masqués grouillaient sur le chantier, dangereusement perchés sur des échafaudages d’acier noyés dans le brouillard, projetant des étincelles dans la grisaille du ciel.
“Oui, sur Internet, les gens surnomment maintenant Shanghai la “ville magique”.” Chen se garda d’ajouter que pour les cybercitoyens, le mot “magique” n’avait pas forcément une connotation positive. Avec le vieux dirigeant du Parti, il valait mieux rester dans le “positif”, même s’il était communément perçu comme un homme plutôt modéré. “Devinez pourquoi je suis à Shanghai cette fois?” poursuivit Zhao comme pour répondre à la question tacite de Chen sur sa visite inopinée. “D’après les journaux, le vieux camarade que je suis accomplit une sorte de voyage d’étude. Mais entre nous, j’en ai assez de l’air de Pékin, du smog, comme ils disent sur Internet. Encore un nouveau mot dans la langue chinoise.
− C’est parce que ce n’est pas la même chose que le brouillard qui, lui, se dissipe dans la matinée. Le smog ne s’évapore pas, il stagne toute la journée. Et il est très malsain, plein de particules fines extrêmement toxiques.
− Quel que soit son nom, dans la capitale, la qualité de l’air est très mauvaise. Dès que je mets le nez dehors, je suis obligé de porter un masque. Je suis vieux, j’avais besoin de prendre des vacances et de venir respirer l’air pur du Sud. Je pense rester ici une semaine avant d’aller à Suzhou et à Hangzhou…
− Mais ici...” Chen n’osa pas ajouter que la qualité de l’air était tout aussi déplorable.
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À Pékin, nous avons dépassé le niveau d’alerte pendant plus de six mois (…) Le nuage est encore plus épais qu’ici, l’air presque irrespirable. Toutes les activités de plein air sont proscrites.
À Pékin, nous avons dépassé le niveau d’alerte pendant plus de six mois (…) Le nuage est encore plus épais qu’ici, l’air presque irrespirable. Toutes les activités de plein air sont proscrites.
Au fond, par rapport à Pékin, peut-être que les Shanghaiens n’étaient pas si mal lotis. Dans la capitale, pendant plusieurs jours, un nombre considérable de vols avaient été annulés ou retardés, avait lu Chen, à cause du manque de visibilité dû au nuage de pollution qui recouvrait l’aéroport.
“Oui, c’est une très bonne idée, camarade Zhao. Beaucoup de gens prennent des “vacances au grand air” ou des “vacances à l’air pur” au bord de la mer ou dans d’autres pays où ils vont se nettoyer les poumons...”
Un léger ronronnement envahit soudain la vaste suite, comme le soupir de satisfaction d’un chat se frottant le dos contre la baie vitrée au sortir d’une sieste réparatrice. Dans un hôtel aussi luxueux, la climatisation n’aurait pas dû faire autant de bruit.
“Ne vous inquiétez pas pour ça, Chen. C’est un nouveau système de purifi- cation d’air que le personnel de l’hôtel a fait venir de l’étranger exprès pour moi, expliqua Zhao non sans une pointe d’autodérision. C’est censé être plus efficace queles appareils traditionnels. Il renvoie directement l’air naturel filtré dans ma chambre d’hôtel.”
Chen avait du mal à concevoir comment les mots “filtrés” et “naturel” pouvaient coexister dans la même phrase, mais il s’abstint de tout commentaire. Les hauts cadres du Parti comme Zhao bénéficiaient de privilèges inaccessibles au commun des mortels. Qu’un tel dispositif ait été déployé pour un simple “bavardage” à l’occasion des vacances de Zhao à Shanghai semblait cependant difficile à croire.
Chen avait entendu dire qu’une nouvelle lutte de pouvoir intestine venait d’éclater au sommet de la Cité interdite et apparemment, le nom de Zhao avait été plusieurs fois cité dans les conciliabules. Il n’était pas logique que Zhao quitte Pékin pour s’accorder “des vacances au grand air” à un moment aussi critique. Et il était tout aussi étonnant qu’à peine arrivé à Shanghai, il ressente le besoin de convoquer Chen uniquement pour causer avec lui. “Malheureusement, la qualité de l’air n’est pas très bonne à Shanghai non plus”, poursuivit Zhao avant d’avaler une gorgée de thé d’un air pensif. “J’ai lu récemment une plaisanterie sur Internet au sujet d’un oiseau affamé volant au-dessus d’une rizière parce qu’il ne peut pas voir sa nourriture à travers la crasse qui obscurcit le ciel.
− C’est un vrai problème, approuva Chen pour dire quelque chose. Pendant des jours, les enfants n’ont pas le droit d’aller à l’école ou de sortir de chez eux. Et comme on peut le lire dans le Wenhui, les pics de pollution sont aussi particulièrement nocifs pour les personnes âgées ou malades.
− Oui, la situation est grave, reprit Zhao. À Pékin, cette année, nous avons dépassé le niveau d’alerte pendant plus de six mois, et plusieurs fois, l’indice de qualité de l’air était au-delà du seuil critique. Le nuage est encore plus épais qu’ici, l’air presque irrespirable. Toutes les activités de plein air sont proscrites. On peut comprendre que les gens se plaignent de la pollution et de la corruption aussi, mais…”
Dans les discours de Zhao, il y avait toujours un “mais”, Chen le savait bien. Il s’interrompit pour avaler une autre gorgée de thé et allumer une cigarette Panda. Il n’en proposa pas à Chen.
“Mais je déplore la récupération politique du phénomène. Le problème d’aujourd’hui est la conséquence d’une somme de facteurs historiques complexes alors que le Parti a multiplié les efforts pour combattre la pollution. Il va falloir du temps pour maîtriser la situation, vous savez, surtout dans un pays au développement aussi rapide que le nôtre. Cela dit, les préoccupations d’une population qui vit sous un ciel toxique sont parfaitement justifiées et nous devons les prendre en compte. Pour résumer, le problème doit être abordé au plushaut niveau, à un autre niveau…”
Chen n’était pas insensible à la réponse de Zhao qui semblait prêt à user encore une fois de son autorité pour le défendre. Mais il hésitait.
“C’est vraiment loin de mon domaine de compétences.
− Arrêtez de dire non, camarade inspecteur Chen, insista Zhao en sortant une grosse enveloppe d’une pile de documents posés sur son bureau. Regardez les éléments du dossier. La jeune activiste Yuan Jing habitait auparavant à Wuxi, mais maintenant elle a aussi un bureau à Shanghai. Elle a des relations et en tant que militante écologiste, elle a acquis une notoriété sur Internet en publiant des articles sur les questions environnementales. Il paraît qu’elle a des millions d’abonnés qui partagent systématiquement ses publications avec des millions et des millions d’internautes. Elle a une certaine influence.
− Elle vient de Wuxi? demanda Chen machinalement, plus comme un écho que comme une véritable question.
− Pour le projet qu’elle développe actuellement, elle a trouvé plusieurs partenaires à Shanghai, dont quelques hommes d’affaires très riches et puissants. Vous connaissez bien la ville et ses habitants, n’est-ce pas?”
Chen attrapa l’enveloppe et en sortit un dossier. À la seconde où il l’ouvrit, une photo en couleurs glissa vers le sol... Le temps sembla se suspendre – ou vaciller – comme dans une séance de divination, quand un bâtonnet de bambou tombe solennellement sur les dalles d’un ancien temple en ruine.
Chen ne pouvait détacher les yeux de la photo de Shanshan qui lui souriait d’un air rêveur. Il comprit soudain. Yuan Jing était le nom de blogueuse qu’avait choisi Shanshan. Au cours des dernières années, elle était devenue la chef de file d’un mouvement écologiste national et son incroyable transformation avait eu lieu à l’insu de Chen.
À moins qu’il ne l’ait inconsciemment tenue éloignée de sa vue et de ses pensées?
La surprise le rendait muet.
À son grand soulagement, la sonnerie du portable de Zhao vint briser le silence. Le dirigeant du Parti fronça les sourcils en voyant le numéro qui s’affichait à l’écran et se dirigea vers la chambre tout en faisant signe à Chen de l’attendre.
Sûrement un appel important.
Zhao ferma la porte, laissant son hôte profiter seul du vaste salon. Chen regarda par la fenêtre sans réussir à voir nettement le fleuve. Il laissa alors son imagination voguer au rythme des flots, rouler, jaillir et se superposer brièvement aux eaux du lac Tai qu’il avait tant de fois contemplées main dans la main avec Shanshan... “Ce que l’on ne peut déchirer / ni même effilocher, / c’est le chagrin de la séparation” dit la chanson... ■
Courtesy éditions Liana Levi.
Au fond, par rapport à Pékin, peut-être que les Shanghaiens n’étaient pas si mal lotis. Dans la capitale, pendant plusieurs jours, un nombre considérable de vols avaient été annulés ou retardés, avait lu Chen, à cause du manque de visibilité dû au nuage de pollution qui recouvrait l’aéroport.
“Oui, c’est une très bonne idée, camarade Zhao. Beaucoup de gens prennent des “vacances au grand air” ou des “vacances à l’air pur” au bord de la mer ou dans d’autres pays où ils vont se nettoyer les poumons...”
Un léger ronronnement envahit soudain la vaste suite, comme le soupir de satisfaction d’un chat se frottant le dos contre la baie vitrée au sortir d’une sieste réparatrice. Dans un hôtel aussi luxueux, la climatisation n’aurait pas dû faire autant de bruit.
“Ne vous inquiétez pas pour ça, Chen. C’est un nouveau système de purifi- cation d’air que le personnel de l’hôtel a fait venir de l’étranger exprès pour moi, expliqua Zhao non sans une pointe d’autodérision. C’est censé être plus efficace queles appareils traditionnels. Il renvoie directement l’air naturel filtré dans ma chambre d’hôtel.”
Chen avait du mal à concevoir comment les mots “filtrés” et “naturel” pouvaient coexister dans la même phrase, mais il s’abstint de tout commentaire. Les hauts cadres du Parti comme Zhao bénéficiaient de privilèges inaccessibles au commun des mortels. Qu’un tel dispositif ait été déployé pour un simple “bavardage” à l’occasion des vacances de Zhao à Shanghai semblait cependant difficile à croire.
Chen avait entendu dire qu’une nouvelle lutte de pouvoir intestine venait d’éclater au sommet de la Cité interdite et apparemment, le nom de Zhao avait été plusieurs fois cité dans les conciliabules. Il n’était pas logique que Zhao quitte Pékin pour s’accorder “des vacances au grand air” à un moment aussi critique. Et il était tout aussi étonnant qu’à peine arrivé à Shanghai, il ressente le besoin de convoquer Chen uniquement pour causer avec lui. “Malheureusement, la qualité de l’air n’est pas très bonne à Shanghai non plus”, poursuivit Zhao avant d’avaler une gorgée de thé d’un air pensif. “J’ai lu récemment une plaisanterie sur Internet au sujet d’un oiseau affamé volant au-dessus d’une rizière parce qu’il ne peut pas voir sa nourriture à travers la crasse qui obscurcit le ciel.
− C’est un vrai problème, approuva Chen pour dire quelque chose. Pendant des jours, les enfants n’ont pas le droit d’aller à l’école ou de sortir de chez eux. Et comme on peut le lire dans le Wenhui, les pics de pollution sont aussi particulièrement nocifs pour les personnes âgées ou malades.
− Oui, la situation est grave, reprit Zhao. À Pékin, cette année, nous avons dépassé le niveau d’alerte pendant plus de six mois, et plusieurs fois, l’indice de qualité de l’air était au-delà du seuil critique. Le nuage est encore plus épais qu’ici, l’air presque irrespirable. Toutes les activités de plein air sont proscrites. On peut comprendre que les gens se plaignent de la pollution et de la corruption aussi, mais…”
Dans les discours de Zhao, il y avait toujours un “mais”, Chen le savait bien. Il s’interrompit pour avaler une autre gorgée de thé et allumer une cigarette Panda. Il n’en proposa pas à Chen.
“Mais je déplore la récupération politique du phénomène. Le problème d’aujourd’hui est la conséquence d’une somme de facteurs historiques complexes alors que le Parti a multiplié les efforts pour combattre la pollution. Il va falloir du temps pour maîtriser la situation, vous savez, surtout dans un pays au développement aussi rapide que le nôtre. Cela dit, les préoccupations d’une population qui vit sous un ciel toxique sont parfaitement justifiées et nous devons les prendre en compte. Pour résumer, le problème doit être abordé au plushaut niveau, à un autre niveau…”
Chen n’était pas insensible à la réponse de Zhao qui semblait prêt à user encore une fois de son autorité pour le défendre. Mais il hésitait.
“C’est vraiment loin de mon domaine de compétences.
− Arrêtez de dire non, camarade inspecteur Chen, insista Zhao en sortant une grosse enveloppe d’une pile de documents posés sur son bureau. Regardez les éléments du dossier. La jeune activiste Yuan Jing habitait auparavant à Wuxi, mais maintenant elle a aussi un bureau à Shanghai. Elle a des relations et en tant que militante écologiste, elle a acquis une notoriété sur Internet en publiant des articles sur les questions environnementales. Il paraît qu’elle a des millions d’abonnés qui partagent systématiquement ses publications avec des millions et des millions d’internautes. Elle a une certaine influence.
− Elle vient de Wuxi? demanda Chen machinalement, plus comme un écho que comme une véritable question.
− Pour le projet qu’elle développe actuellement, elle a trouvé plusieurs partenaires à Shanghai, dont quelques hommes d’affaires très riches et puissants. Vous connaissez bien la ville et ses habitants, n’est-ce pas?”
Chen attrapa l’enveloppe et en sortit un dossier. À la seconde où il l’ouvrit, une photo en couleurs glissa vers le sol... Le temps sembla se suspendre – ou vaciller – comme dans une séance de divination, quand un bâtonnet de bambou tombe solennellement sur les dalles d’un ancien temple en ruine.
Chen ne pouvait détacher les yeux de la photo de Shanshan qui lui souriait d’un air rêveur. Il comprit soudain. Yuan Jing était le nom de blogueuse qu’avait choisi Shanshan. Au cours des dernières années, elle était devenue la chef de file d’un mouvement écologiste national et son incroyable transformation avait eu lieu à l’insu de Chen.
À moins qu’il ne l’ait inconsciemment tenue éloignée de sa vue et de ses pensées?
La surprise le rendait muet.
À son grand soulagement, la sonnerie du portable de Zhao vint briser le silence. Le dirigeant du Parti fronça les sourcils en voyant le numéro qui s’affichait à l’écran et se dirigea vers la chambre tout en faisant signe à Chen de l’attendre.
Sûrement un appel important.
Zhao ferma la porte, laissant son hôte profiter seul du vaste salon. Chen regarda par la fenêtre sans réussir à voir nettement le fleuve. Il laissa alors son imagination voguer au rythme des flots, rouler, jaillir et se superposer brièvement aux eaux du lac Tai qu’il avait tant de fois contemplées main dans la main avec Shanshan... “Ce que l’on ne peut déchirer / ni même effilocher, / c’est le chagrin de la séparation” dit la chanson... ■
Courtesy éditions Liana Levi.
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Qiu Xialong Auteur chinois de romans policiers. Venu aux Etats-Unis en 1988, il décide d’y rester après la répression de la place Tian’anMen de 1989. Ses livres racontent les bouleversements actuels de la Chine, la vie quotidienne dans l’immense Shanghai, la corruption généralisée, l’omniprésence du PCC – et maintenant la pollution urbaine, révélée par le documentaire Sous le Dôme de 2015, qui a influencé Chine retiens ton souffle.