Ruwen Ogien, disparu le 4 mai 2017, est un éthicien, pas un moraliste. Il s’est intéressé toute sa vie à la manière dont s’exprime, se construit, se conceptualise et s’exerce la moralisation de nos sociétés, qu’il juge excessive, mettant en évidence les erreurs de raisonnement, les impasses et les biais des discours moraux et paternalistes, défendant une “morale minimum”.
Dès 2005, il décrypte comment les notions d’“immoralité” et d’“obscénité” apparaissent en Europe au milieu du XIXe siècle, finissant par justifier des politiques répressives – et par interdire des œuvres majeures comme Les Fleurs du mal et condamner l’homosexualité (jetant Verlaine et Oscar Wilde en prison). Ce glissement réguliers des jugements moraux réprobateurs à une légalité punitive et policière inquiète cet enfant de survivants de la Shoah, né en Allemagne après la seconde guerre mondiale, venu en France jeune: “J’en ai gardé une sensibilité particulière pour la condition des parias, des réprouvés, de tous ceux que j’appelle les “indésirables”: personnes méprisées, persécutées, déportées, expulsées, éliminées.”
Dans la revue Ravages dont il fut un des co-fondateurs, Ruwen Ogien s’est intéressé à des sujets éthiques aussi divers qu’embarrassants: défendre l’homoparentalité, l’euthanasie, le clonage thérapeutique; dénoncer les médecins qui participent à la castration chimique des récidivistes sexuels; critiquer les entraves mises au regroupement familial; soutenir le réalisme des cancres (qui savent d’entrée qu’ils sont des exclus)…