Maurizio Cattelan. La Nona Ora, Photo, Zeno Zotti. Courtesy, Maurizio Cattelan’s Archive.
“Tout ce que la religion vous oblige à croire n’est qu’erreur, mensonge, illusion, imposture…”
NADA!
Un entretien de Georges Marbeck avec le curé Jean Meslier (1664-1729),
grand défenseur de l’athéisme défendu par Voltaire.
NADA!
Un entretien de Georges Marbeck avec le curé
Jean Meslier (1664-1729), grand défenseur
de l’athéisme défendu par Voltaire.
C’était à la veille du printemps suite à trois journées radieuses passées à observer en Champagne-Ardenne avec un groupe d’amis ornithologues l’arrivée des grues cendrées au bord d’un lac et dans un parc naturel. Sur le chemin du retour, je fais une halte dans un modeste village de la région: Étrépigny… Ce nom me dit quelque chose, ou quelqu’un. Je m’avance sur la place près des vestiges d’un château, face à la petite église bordée d’un cimetière. Et là je vois, assis, un étrange personnage… Sous son abondante chevelure blanche qui pourrait être une perruque, il porte ouverte sur ses épaules comme une soutane d’un autre âge… Je le reconnais soudain, médusé. C’est lui, le curé Jean Meslier (1664-1729) qui, après avoir officié pendant plus de quarante années dans cette paroisse d’Étrépigny, a rédigé à la fin de sa vie, sous forme de testament, une véritable apologie de l’athéisme dont il se déclare avoir toujours été un adepte convaincu. Flamboyant précurseur de la philosophie des Lumières, athée sans concession publié par Voltaire – qui, s’il dénonçait “l’infâme” dans le fanatisme, demeurait “théiste” –, matérialiste convaincu, anarchiste social avant l’heure, nommé “L’intrépide” et “le Généreux” sous la Convention… Je m’avance vers lui, le salue, il s’étonne que je l’ai reconnu et une riche conversation s’engage.
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Georges Marbeck: Quand on voit toutes ces horreurs qui se commettent aujourd’hui au nom d’un Dieu fantomatique ou par des autocrates baptisés prophètes, on a de sérieuses raisons de dénoncer les ravages produits et entretenus par les religions, comme vous l’aviez fait il y a plus de trois siècles dans vos écrits.
Le curé Meslier: Toutes les religions ne sont que des inventions humaines. Tout ce qu’elles vous obligent à croire comme surnaturel et divin n’est dans le fond qu’erreur, mensonge, illusion, imposture. Voila pourquoi tant de nations sont si souvent devenues le théâtre des extravagances de quelques rêveurs insensés. On a vu mille fois dans toutes les parties du globe des fanatiques enivrés s’égorger les uns les autres, allumer des bûchers, commettre sans scrupule et par devoir les plus grands crimes, faire ruisseler le sang humain. Pourquoi? Pour accréditer les fourberies de quelques imposteurs sur le compte d’un être qui n’existe que dans leur imagination, d’un être tout à fait chimérique.
Georges Marbeck (ironique): Dieu soit loué!
Rires
Le curé Meslier: Nous retrouvons dans toutes les religions de la terre un Dieu des armées, un Dieu jaloux, un Dieu vengeur, un Dieu qui se plait aux carnages et que ses adorateurs se sont fait un devoir de servir à son goût. La notion de cet être sans idée, ou plutôt le mot sous lequel on le désigne, serait une chose indifférente, si elle ne causait des ravages sans nombre sur la terre. On lui immole des agneaux, des enfants, des hommes, des hérétiques, des infidèles, des nations entières. Les serviteurs zélés de ce Dieu barbare ne vont-ils pas se croire obligés de s’offrir eux-mêmes en sacrifice à lui? A force de vouloir le rendre parfait et de vouloir le rendre grand et admirable en toute chose, ils le détruisent et à force de vouloir le dégager de toutes imperfections, ils le réduisent véritablement à rien. Adorer Dieu c’est n’adorer que les propres fictions de son propre cerveau ou plutôt c’est ne rien adorer du tout.
Georges Marbeck: Rien de rien! Nada! C’est au nom de ce rien que se commettent depuis des siècles et des siècles, partout dans le monde, d’abominables horreurs perpétrées par des idolâtres du néant.
Le curé Meslier: Cette créance aveugle qu’ils ont chacun de leur côté de la prétendu vérité de leur religion les obligent à regarder toutes les autres comme fausses. C’est ce qui cause perpétuellement entre eux, non seulement des disputes, mais aussi des troubles et des divisions funestes. Ce pourquoi on voit tous les jours qu’ils se persécutent les uns les autres à feu et à sang pour le maintien de leurs folles et aveugles croyances et qu’il n’y a point de maux ni de méchancetés qu’ils n’exercent les uns contre les autres, sous ce beau prétexte de défendre et de maintenir la prétendue vérité de leur religion; les fous! Tous autant qu’ils sont!
Georges Marbeck: Des fous hélas capables des pires atrocités!
Le curé Meslier: La férocité, la stupidité, la folie des hommes se sont de tous temps décelées dans les usages religieux, qui furent si souvent cruels ou extravagants. Un esprit de barbarie s’est perpétué jusqu’à nous. Ne voyons-nous pas encore offrir à la divinité des victimes humaines dans la vue d’apaiser la colère d’un Dieu que l’on suppose toujours aussi féroce, aussi jaloux, aussi vindicatif qu’un sauvage? Des lois de sang font périr, dans des supplices recherchés, ceux qu’on croit lui déplaire par leur façon de penser. Rien de plus dangereux qu’une religion qui lâche la bride à la férocité du peuple et qui justifie à ses yeux les crimes les plus noirs. On ne met plus de bornes à sa méchanceté dès qu’il la croit autorisée par son Dieu. Est-il rien de plus capable d’anéantir toute idée de morale dans l’esprit des hommes, que de leur faire entendre que leur Dieu, si puissant et si parfait, est souvent forcé de se servir du crime pour accomplir ses desseins?
Georges Marbeck: Saigneur Dieu! On pense évidemment aux effroyables boucheries commises par les adorateurs d’Allah, mais nous avons connu ça dans l’occident chrétien avec les croisades, la chasse aux sorcières, les tortures de l’Inquisition, les massacres des protestants, les horreurs de la Saint-Barthélémy …
Le curé Meslier: Toutes les religions du monde ont autorisé des forfaits innombrables: dans l’Ancien Testament, les Juifs, enivrés par les promesses de leur Dieu se sont arrogés le droit d’exterminer des nations entières. Fondés sur les oracles de leurs dieux, les Romains, en vrais brigands, ont conquis et ravagé le monde. Les (musulmans) Arabes, encouragés par leur divin prophète, ont été porter le fer et la flamme chez les chrétiens et les idolâtres. Les chrétiens, sous prétexte d’étendre leur sainte religion ont cent fois couvert de sang l’un et l’autre hémisphères. Quand on voit des nations éclairées se partager en sectes, se déchirer les unes les autres, se haïr et se mépriser pour des opinions également ridicules qu’elles prennent sur les intentions de ce Dieu déraisonnable, rempli de caprices et de folies, on est tenté de s’écrier: O hommes! Vous êtes encore des sauvages! O hommes! Vous n’êtes que des enfants, dès qu’il est question de religion.
Georges Marbeck: Oui des enfants! Toutes les croyances distillées par des despotes au nom d’un Dieu imaginaire ne sont-elles pas toujours et encore un moyen de maintenir des peuples au stade infantile. Ne dit-on pas: “Notre Père qui êtes aux cieux”, en se soumettant à genoux à ses soi-disant volontés?
Le curé Meslier: En matière de religion, les hommes ne sont que de grands enfants. Plus une religion est absurde et remplie de merveilles, plus elle acquiert de droits sur eux. Le dévot se croit obligé de ne mettre aucun terme à sa crédulité. Plus les choses sont inconcevables, et plus il s’imagine qu’il y a pour lui du mérite à les croire. Si la religion était claire, elle aurait bien moins d’attrait pour les ignorants. Il leur faut de l’obscurité, des mystères, des frayeurs, des fables, des prodiges qui fassent perpétuellement travailler leurs cerveaux. La religion séduit l’ignorance à l’aide du merveilleux. Les romans, les contes bleus, les récits des revenants et des sorciers ont bien plus de charmes pour les esprits vulgaires, que les histoires véritables. Les théologiens traitent les hommes comme des enfants, qui jamais ne chicanent sur la vérité des contes qu’on leur fait. Nos nourrices sont nos premières théologiennes. Elles parlent de Dieu aux enfants comme elles leur parlent de loup-garou…
Georges Marbeck: Ils voudraient les endoctriner dès le plus jeune âge…
Le curé Meslier: Le cerveau de l’homme, surtout dans l’enfance, est une cire molle propre à recevoir toutes les impressions que l’on veut y faire. L’éducation lui fournit presque toutes ses opinions, dans un temps ou il est incapable de juger par lui-même. La croyance en Dieu n’est autre chose qu’une habitude machinale de l’enfance. La religion passe des pères aux enfants, comme les biens de famille, avec leurs charges. Si les uns et les autres se trouvent par leur naissance, leur éducation ou quelque autre rencontre, plus attachés à une secte, ou à une religion, qu’à une autre, ce n’est point parce qu’ils connaissent mieux les volontés de Dieu mais parce qu’ils croient aveuglément ce qu’on leur en dit. Ainsi les hommes sont ordinairement chrétiens, mahométans, juifs ou païens, de cela qu’ils sont nés ou élevés dans le mahométisme ou le paganisme. Très peu de gens au monde auraient un Dieu, si l’on n’eut pas pris le soin de leur donner. Chacun reçoit de ses parents et de ses instituteurs le Dieu qu’ils ont reçu des leurs. Mais chacun, suivant son tempérament propre, l’arrange, le modifie, le peint à sa manière.
Georges Marbeck: Quand la marque originelle de l’alliance à ce Dieu fantôme n’est que de l’ordre imaginaire on peut toujours l’effacer de soi, mais ce n’est pas le cas lorsque cette marque prend la forme d’une blessure rituelle pratiquée au vif de la chair d’un enfant. Je pense évidemment à l’excision rituelles des petites filles et la circoncision des garçons dont vous avez rappelé le sinistre impératif énoncé dans la Génèse à un certain Abraham, par un supposé Dieu Tout Puissant:
“Tout enfant mâle sera circoncis au huitième jour, car je veux que vous portiez la marque de mon alliance dans votre chair.”
Le curé Meslier (acquiesçant): Quoi! Un Dieu tout puissant et infiniment sage se serait il amusé à vouloir faire porter à tout un peuple la marque de son alliance avec lui dans un si vain et ridicule retranchement de chair ou de peau? Cela n’est nullement croyable… Qui ne rirait de telles sottises?
Georges Marbeck: Ce n’est bien sûr pas un hasard si ces actes de cruauté rituelle s’exercent sur les organes sexuels. C’est une manière d’inscrire la loi d’un prétendu tout-puissant au plus intime de chacun, de chacune des embrigadés dans une croyance imaginaire et de stigmatiser comme un délit passible de l’enfer le libre usage physique et mental des plaisirs charnels. Un dogme que l’on retrouve dans la religion chrétienne… Même si celle-ci s’est heureusement libérée de ces pratiques barbares, elle n’en a pas moins continué de traquer et condamner les plaisirs de la chair.
Le curé Meslier: C’est une erreur de la morale chrétienne de condamner comme elle le fait tous les plaisirs naturels du corps, et non seulement de la chair, mais aussi de tous les désirs et de toutes les pensées volontaires d’en jouir, si ce n’est, comme ils disent, dans un légitime mariage suivant ses lois et ordonnances. C’est une erreur dans cette morale de regarder toutes ces choses comme des actions et comme des pensées criminelles dignes de punitions éternelles. Car comme il n’y a rien de plus naturel et de plus légitime que cette inclination qui porte naturellement tous les hommes à ce penchant, c’est en quelque façon condamner la nature même et son auteur (si elle en avait un autre qu’elle-même) que de condamner comme vicieuse et comme criminelle dans les hommes et dans les femmes une inclination qui leur est si naturelle, et qui vient même du fond le plus intime de la nature. Quoi un Dieu! Un Dieu infiniment bon voudrait par exemple faire brûler éternellement dans les flammes effroyables de l’enfer des jeunes gens pour avoir seulement pris ensemble quelques moments de plaisir? Pour avoir suivi ce doux penchant de la nature et s’être laissé aller à un penchant que Dieu lui-même avait si fortement imprimé dans la nature? Ou même pour avoir seulement consenti, ou pris complaisance dans des pensées, dans des désirs ou des mouvements charnels que Dieu lui-même aurait formé ou excité en eux. Cela est entièrement ridicule et absurde, et il est indigne d’avoir seulement de telles pensées d’un Dieu et d’un Etre qui serait infiniment bon et infiniment parfait. La pensée seule d’une telle cruauté fait horreur.
Georges Marbeck: C’est pourtant cette cruauté de l’emprise sur les sens, la pensée, l’imaginaire des croyants qui fait de la religion l’archétype de tous les pouvoirs despotiques qui oppressent les peuples.
Le curé Meslier: La religion, pour les princes, n’est qu’un instrument destiné à tenir les peuples plus fortement sous leur joug. Une religion qui souffre, qui approuve et qui autorise même les abus contraires à la justice et au bon gouvernement des hommes, qui autorise même la tyrannie des Grands, au préjudice des peuples, ne peut pas être véritable, ni véritablement d’institution divine. D’autant que toute religion qui serait divine blâmerait et condamnerait tout ce qui serait contraire à la justice et au bon gouvernement des hommes. Il y a assez longtemps que ces erreurs et ces superstitions règnent dans le monde. Il y a assez longtemps que la tyrannie y règne. La religion ne forme que trop souvent des despotes obéis par des esclaves, que tout oblige à se conformer à leur vues. C’est du ciel que sont venus les fers dont on se servit pour enchaîner les esprits des mortels. Pourquoi le mahométan est-il si souvent esclave? C’est que son prophète le subjugua au nom de la divinité, comme avant lui Moïse avait dompté les Juifs.
Georges Marbeck: Puis ce fut l’alliance du glaive et ciboire, du sabre et du goupillon…
Le curé Meslier: La religion ne semble imaginée que pour installer les princes au-dessus de leurs nations et leur livrer les peuples à discrétion. Il serait temps d’en finir. Tous les hommes sont égaux par la nature, ils ont tous également droit de vivre et de marcher sur la terre, également d’y jouir de leur liberté naturelle, et d’avoir part au bien de la terre, en travaillant utilement les uns et les autres pour avoir les choses nécessaires et utiles à la vie. Des religions qui prennent pour règle de leur doctrine et de leur morale une créance aveugle qui est un principe d’erreurs, d’illusions, d’imposture, une source fatale de troubles et de divisions parmi les hommes ne peuvent être véritablement d’institution divine, n’étant toutes que des inventions humaines…
Georges Marbeck: (enchaînant)… Destinées à exercer un pouvoir despotique sur le bon peuple des croyants… Qu’en diriez-vous aujourd’hui à vos ouailles si vous étiez toujours curé de cette paroisse?
Le curé Meslier: Rejetez entièrement toutes ces vaines et superstitieuses pratiques de religion. Bannissez de vos esprits cette folle et aveugle croyance en ces faux mystères; n’y ajoutez aucune foi. Moquez-vous de tout ce que vos prêtres intéressés vous disent. La plupart d’entre eux n’en croit rien. Point d’autre religion parmi vous que celle de la sagesse et de la probité des mœurs. Point d’autre que celle de la franchise du cœur et de la générosité de l’âme, point d’autre que celle d’avoir entièrement la tyrannie des Dieux et de leurs idoles; point d’autre que celle de vivre tous agréablement en commun. Point d’autre religion que celle de maintenir la liberté publique, de vous aimer les uns les autres et de garder inviolablement la paix et la bonne union entre vous. Heureux si vous suivez les règles et les préceptes de cette seule sage et véritable religion. Et j’ose vous dire, bien que je ne sois pas prophète, que vous serez toujours misérables et malheureux, vous et vos descendants, tant que vous suivrez d’autres religions que celle-là. Les seules lumières de la raison sont capables de conduire les hommes à la perfection de la science et de la sagesse humaine, aussi bien qu’à la perfection des arts.
Georges Marbeck: Les Lumières! Un savoir-vivre intelligent et fraternel avec tous nos semblables de la terre entière. Et aussi, comme vous l’avez souligné dans vos écrits, avec le monde animal si constamment victime des cruautés humaines. Y compris au nom d’une folle croyance en Dieu, comme le sacrifice sanglant des moutons que l’on retrouve dans les trois religions du Livre.
Le curé Meslier: Comment s’imaginer qu’un Dieu qui serait infiniment parfait, infiniment bon, infiniment sage aurait jamais voulu établir ni autoriser de si cruels et si barbares sacrifices? De tuer, d’assommer, d’égorger des animaux qui ne font point de mal, car ils sont sensibles au mal et à la douleur comme nous. Bénies soient les nations qui les traitent favorablement et chaleureusement, qui compatissent à leurs misères, à leurs douleurs. Maudites soient les nations qui les traitent cruellement, qui les tyrannisent, qui aiment à répandre leur sang et sont avides de manger leurs chairs…
A cet instant une splendide mélodie venue du ciel nous fait lever les yeux. C’est alors que nous découvrons, tournoyant au-dessus du village, un immense vol de grues cendrées dont les roucoulements captent notre attention.
Georges Marbeck (levant un doigt au ciel): Vous voyez, vous avez été entendu! Bénies soient nos amies les grues dont l’appel venu des cieux nous enchante.
Nous éclatons d’un grand rire et notre entretien s’arrête, les yeux et les oreilles envahis par cette apparition céleste.
C’était à la veille du printemps suite à trois journées radieuses passées à observer en Champagne-Ardenne avec un groupe d’amis ornithologues l’arrivée des grues cendrées au bord d’un lac et dans un parc naturel. Sur le chemin du retour, je fais une halte dans un modeste village de la région: Étrépigny… Ce nom me dit quelque chose, ou quelqu’un. Je m’avance sur la place près des vestiges d’un château, face à la petite église bordée d’un cimetière. Et là je vois, assis, un étrange personnage… Sous son abondante chevelure blanche qui pourrait être une perruque, il porte ouverte sur ses épaules comme une soutane d’un autre âge… Je le reconnais soudain, médusé. C’est lui, le curé Jean Meslier (1664-1729) qui, après avoir officié pendant plus de quarante années dans cette paroisse d’Étrépigny, a rédigé à la fin de sa vie, sous forme de testament, une véritable apologie de l’athéisme dont il se déclare avoir toujours été un adepte convaincu. Flamboyant précurseur de la philosophie des Lumières, athée sans concession publié par Voltaire – qui, s’il dénonçait “l’infâme” dans le fanatisme, demeurait “théiste” –, matérialiste convaincu, anarchiste social avant l’heure, nommé “L’intrépide” et “le Généreux” sous la Convention… Je m’avance vers lui, le salue, il s’étonne que je l’ai reconnu et une riche conversation s’engage.
Georges Marbeck: Quand on voit toutes ces horreurs qui se commettent aujourd’hui au nom d’un Dieu fantomatique ou par des autocrates baptisés prophètes, on a de sérieuses raisons de dénoncer les ravages produits et entretenus par les religions, comme vous l’aviez fait il y a plus de trois siècles dans vos écrits.
Le curé Meslier: Toutes les religions ne sont que des inventions humaines. Tout ce qu’elles vous obligent à croire comme surnaturel et divin n’est dans le fond qu’erreur, mensonge, illusion, imposture. Voila pourquoi tant de nations sont si souvent devenues le théâtre des extravagances de quelques rêveurs insensés. On a vu mille fois dans toutes les parties du globe des fanatiques enivrés s’égorger les uns les autres, allumer des bûchers, commettre sans scrupule et par devoir les plus grands crimes, faire ruisseler le sang humain. Pourquoi? Pour accréditer les fourberies de quelques imposteurs sur le compte d’un être qui n’existe que dans leur imagination, d’un être tout à fait chimérique.
Georges Marbeck (ironique): Dieu soit loué!
Rires
Le curé Meslier: Nous retrouvons dans toutes les religions de la terre un Dieu des armées, un Dieu jaloux, un Dieu vengeur, un Dieu qui se plait aux carnages et que ses adorateurs se sont fait un devoir de servir à son goût. La notion de cet être sans idée, ou plutôt le mot sous lequel on le désigne, serait une chose indifférente, si elle ne causait des ravages sans nombre sur la terre. On lui immole des agneaux, des enfants, des hommes, des hérétiques, des infidèles, des nations entières. Les serviteurs zélés de ce Dieu barbare ne vont-ils pas se croire obligés de s’offrir eux-mêmes en sacrifice à lui? A force de vouloir le rendre parfait et de vouloir le rendre grand et admirable en toute chose, ils le détruisent et à force de vouloir le dégager de toutes imperfections, ils le réduisent véritablement à rien. Adorer Dieu c’est n’adorer que les propres fictions de son propre cerveau ou plutôt c’est ne rien adorer du tout.
Georges Marbeck: Rien de rien! Nada! C’est au nom de ce rien que se commettent depuis des siècles et des siècles, partout dans le monde, d’abominables horreurs perpétrées par des idolâtres du néant.
Le curé Meslier: Cette créance aveugle qu’ils ont chacun de leur côté de la prétendu vérité de leur religion les obligent à regarder toutes les autres comme fausses. C’est ce qui cause perpétuellement entre eux, non seulement des disputes, mais aussi des troubles et des divisions funestes. Ce pourquoi on voit tous les jours qu’ils se persécutent les uns les autres à feu et à sang pour le maintien de leurs folles et aveugles croyances et qu’il n’y a point de maux ni de méchancetés qu’ils n’exercent les uns contre les autres, sous ce beau prétexte de défendre et de maintenir la prétendue vérité de leur religion; les fous! Tous autant qu’ils sont!
Georges Marbeck: Des fous hélas capables des pires atrocités!
Le curé Meslier: La férocité, la stupidité, la folie des hommes se sont de tous temps décelées dans les usages religieux, qui furent si souvent cruels ou extravagants. Un esprit de barbarie s’est perpétué jusqu’à nous. Ne voyons-nous pas encore offrir à la divinité des victimes humaines dans la vue d’apaiser la colère d’un Dieu que l’on suppose toujours aussi féroce, aussi jaloux, aussi vindicatif qu’un sauvage? Des lois de sang font périr, dans des supplices recherchés, ceux qu’on croit lui déplaire par leur façon de penser. Rien de plus dangereux qu’une religion qui lâche la bride à la férocité du peuple et qui justifie à ses yeux les crimes les plus noirs. On ne met plus de bornes à sa méchanceté dès qu’il la croit autorisée par son Dieu. Est-il rien de plus capable d’anéantir toute idée de morale dans l’esprit des hommes, que de leur faire entendre que leur Dieu, si puissant et si parfait, est souvent forcé de se servir du crime pour accomplir ses desseins?
Georges Marbeck: Saigneur Dieu! On pense évidemment aux effroyables boucheries commises par les adorateurs d’Allah, mais nous avons connu ça dans l’occident chrétien avec les croisades, la chasse aux sorcières, les tortures de l’Inquisition, les massacres des protestants, les horreurs de la Saint-Barthélémy …
Le curé Meslier: Toutes les religions du monde ont autorisé des forfaits innombrables: dans l’Ancien Testament, les Juifs, enivrés par les promesses de leur Dieu se sont arrogés le droit d’exterminer des nations entières. Fondés sur les oracles de leurs dieux, les Romains, en vrais brigands, ont conquis et ravagé le monde. Les (musulmans) Arabes, encouragés par leur divin prophète, ont été porter le fer et la flamme chez les chrétiens et les idolâtres. Les chrétiens, sous prétexte d’étendre leur sainte religion ont cent fois couvert de sang l’un et l’autre hémisphères. Quand on voit des nations éclairées se partager en sectes, se déchirer les unes les autres, se haïr et se mépriser pour des opinions également ridicules qu’elles prennent sur les intentions de ce Dieu déraisonnable, rempli de caprices et de folies, on est tenté de s’écrier: O hommes! Vous êtes encore des sauvages! O hommes! Vous n’êtes que des enfants, dès qu’il est question de religion.
Georges Marbeck: Oui des enfants! Toutes les croyances distillées par des despotes au nom d’un Dieu imaginaire ne sont-elles pas toujours et encore un moyen de maintenir des peuples au stade infantile. Ne dit-on pas: “Notre Père qui êtes aux cieux”, en se soumettant à genoux à ses soi-disant volontés?
Le curé Meslier: En matière de religion, les hommes ne sont que de grands enfants. Plus une religion est absurde et remplie de merveilles, plus elle acquiert de droits sur eux. Le dévot se croit obligé de ne mettre aucun terme à sa crédulité. Plus les choses sont inconcevables, et plus il s’imagine qu’il y a pour lui du mérite à les croire. Si la religion était claire, elle aurait bien moins d’attrait pour les ignorants. Il leur faut de l’obscurité, des mystères, des frayeurs, des fables, des prodiges qui fassent perpétuellement travailler leurs cerveaux. La religion séduit l’ignorance à l’aide du merveilleux. Les romans, les contes bleus, les récits des revenants et des sorciers ont bien plus de charmes pour les esprits vulgaires, que les histoires véritables. Les théologiens traitent les hommes comme des enfants, qui jamais ne chicanent sur la vérité des contes qu’on leur fait. Nos nourrices sont nos premières théologiennes. Elles parlent de Dieu aux enfants comme elles leur parlent de loup-garou…
Georges Marbeck: Ils voudraient les endoctriner dès le plus jeune âge…
Le curé Meslier: Le cerveau de l’homme, surtout dans l’enfance, est une cire molle propre à recevoir toutes les impressions que l’on veut y faire. L’éducation lui fournit presque toutes ses opinions, dans un temps ou il est incapable de juger par lui-même. La croyance en Dieu n’est autre chose qu’une habitude machinale de l’enfance. La religion passe des pères aux enfants, comme les biens de famille, avec leurs charges. Si les uns et les autres se trouvent par leur naissance, leur éducation ou quelque autre rencontre, plus attachés à une secte, ou à une religion, qu’à une autre, ce n’est point parce qu’ils connaissent mieux les volontés de Dieu mais parce qu’ils croient aveuglément ce qu’on leur en dit. Ainsi les hommes sont ordinairement chrétiens, mahométans, juifs ou païens, de cela qu’ils sont nés ou élevés dans le mahométisme ou le paganisme. Très peu de gens au monde auraient un Dieu, si l’on n’eut pas pris le soin de leur donner. Chacun reçoit de ses parents et de ses instituteurs le Dieu qu’ils ont reçu des leurs. Mais chacun, suivant son tempérament propre, l’arrange, le modifie, le peint à sa manière.
Georges Marbeck: Quand la marque originelle de l’alliance à ce Dieu fantôme n’est que de l’ordre imaginaire on peut toujours l’effacer de soi, mais ce n’est pas le cas lorsque cette marque prend la forme d’une blessure rituelle pratiquée au vif de la chair d’un enfant. Je pense évidemment à l’excision rituelles des petites filles et la circoncision des garçons dont vous avez rappelé le sinistre impératif énoncé dans la Génèse à un certain Abraham, par un supposé Dieu Tout Puissant:
“Tout enfant mâle sera circoncis au huitième jour, car je veux que vous portiez la marque de mon alliance dans votre chair.”
Le curé Meslier (acquiesçant): Quoi! Un Dieu tout puissant et infiniment sage se serait il amusé à vouloir faire porter à tout un peuple la marque de son alliance avec lui dans un si vain et ridicule retranchement de chair ou de peau? Cela n’est nullement croyable… Qui ne rirait de telles sottises?
Georges Marbeck: Ce n’est bien sûr pas un hasard si ces actes de cruauté rituelle s’exercent sur les organes sexuels. C’est une manière d’inscrire la loi d’un prétendu tout-puissant au plus intime de chacun, de chacune des embrigadés dans une croyance imaginaire et de stigmatiser comme un délit passible de l’enfer le libre usage physique et mental des plaisirs charnels. Un dogme que l’on retrouve dans la religion chrétienne… Même si celle-ci s’est heureusement libérée de ces pratiques barbares, elle n’en a pas moins continué de traquer et condamner les plaisirs de la chair.
Le curé Meslier: C’est une erreur de la morale chrétienne de condamner comme elle le fait tous les plaisirs naturels du corps, et non seulement de la chair, mais aussi de tous les désirs et de toutes les pensées volontaires d’en jouir, si ce n’est, comme ils disent, dans un légitime mariage suivant ses lois et ordonnances. C’est une erreur dans cette morale de regarder toutes ces choses comme des actions et comme des pensées criminelles dignes de punitions éternelles. Car comme il n’y a rien de plus naturel et de plus légitime que cette inclination qui porte naturellement tous les hommes à ce penchant, c’est en quelque façon condamner la nature même et son auteur (si elle en avait un autre qu’elle-même) que de condamner comme vicieuse et comme criminelle dans les hommes et dans les femmes une inclination qui leur est si naturelle, et qui vient même du fond le plus intime de la nature. Quoi un Dieu! Un Dieu infiniment bon voudrait par exemple faire brûler éternellement dans les flammes effroyables de l’enfer des jeunes gens pour avoir seulement pris ensemble quelques moments de plaisir? Pour avoir suivi ce doux penchant de la nature et s’être laissé aller à un penchant que Dieu lui-même avait si fortement imprimé dans la nature? Ou même pour avoir seulement consenti, ou pris complaisance dans des pensées, dans des désirs ou des mouvements charnels que Dieu lui-même aurait formé ou excité en eux. Cela est entièrement ridicule et absurde, et il est indigne d’avoir seulement de telles pensées d’un Dieu et d’un Etre qui serait infiniment bon et infiniment parfait. La pensée seule d’une telle cruauté fait horreur.
Georges Marbeck: C’est pourtant cette cruauté de l’emprise sur les sens, la pensée, l’imaginaire des croyants qui fait de la religion l’archétype de tous les pouvoirs despotiques qui oppressent les peuples.
Le curé Meslier: La religion, pour les princes, n’est qu’un instrument destiné à tenir les peuples plus fortement sous leur joug. Une religion qui souffre, qui approuve et qui autorise même les abus contraires à la justice et au bon gouvernement des hommes, qui autorise même la tyrannie des Grands, au préjudice des peuples, ne peut pas être véritable, ni véritablement d’institution divine. D’autant que toute religion qui serait divine blâmerait et condamnerait tout ce qui serait contraire à la justice et au bon gouvernement des hommes. Il y a assez longtemps que ces erreurs et ces superstitions règnent dans le monde. Il y a assez longtemps que la tyrannie y règne. La religion ne forme que trop souvent des despotes obéis par des esclaves, que tout oblige à se conformer à leur vues. C’est du ciel que sont venus les fers dont on se servit pour enchaîner les esprits des mortels. Pourquoi le mahométan est-il si souvent esclave? C’est que son prophète le subjugua au nom de la divinité, comme avant lui Moïse avait dompté les Juifs.
Georges Marbeck: Puis ce fut l’alliance du glaive et ciboire, du sabre et du goupillon…
Le curé Meslier: La religion ne semble imaginée que pour installer les princes au-dessus de leurs nations et leur livrer les peuples à discrétion. Il serait temps d’en finir. Tous les hommes sont égaux par la nature, ils ont tous également droit de vivre et de marcher sur la terre, également d’y jouir de leur liberté naturelle, et d’avoir part au bien de la terre, en travaillant utilement les uns et les autres pour avoir les choses nécessaires et utiles à la vie. Des religions qui prennent pour règle de leur doctrine et de leur morale une créance aveugle qui est un principe d’erreurs, d’illusions, d’imposture, une source fatale de troubles et de divisions parmi les hommes ne peuvent être véritablement d’institution divine, n’étant toutes que des inventions humaines…
Georges Marbeck: (enchaînant)… Destinées à exercer un pouvoir despotique sur le bon peuple des croyants… Qu’en diriez-vous aujourd’hui à vos ouailles si vous étiez toujours curé de cette paroisse?
Le curé Meslier: Rejetez entièrement toutes ces vaines et superstitieuses pratiques de religion. Bannissez de vos esprits cette folle et aveugle croyance en ces faux mystères; n’y ajoutez aucune foi. Moquez-vous de tout ce que vos prêtres intéressés vous disent. La plupart d’entre eux n’en croit rien. Point d’autre religion parmi vous que celle de la sagesse et de la probité des mœurs. Point d’autre que celle de la franchise du cœur et de la générosité de l’âme, point d’autre que celle d’avoir entièrement la tyrannie des Dieux et de leurs idoles; point d’autre que celle de vivre tous agréablement en commun. Point d’autre religion que celle de maintenir la liberté publique, de vous aimer les uns les autres et de garder inviolablement la paix et la bonne union entre vous. Heureux si vous suivez les règles et les préceptes de cette seule sage et véritable religion. Et j’ose vous dire, bien que je ne sois pas prophète, que vous serez toujours misérables et malheureux, vous et vos descendants, tant que vous suivrez d’autres religions que celle-là. Les seules lumières de la raison sont capables de conduire les hommes à la perfection de la science et de la sagesse humaine, aussi bien qu’à la perfection des arts.
Georges Marbeck: Les Lumières! Un savoir-vivre intelligent et fraternel avec tous nos semblables de la terre entière. Et aussi, comme vous l’avez souligné dans vos écrits, avec le monde animal si constamment victime des cruautés humaines. Y compris au nom d’une folle croyance en Dieu, comme le sacrifice sanglant des moutons que l’on retrouve dans les trois religions du Livre.
Le curé Meslier: Comment s’imaginer qu’un Dieu qui serait infiniment parfait, infiniment bon, infiniment sage aurait jamais voulu établir ni autoriser de si cruels et si barbares sacrifices? De tuer, d’assommer, d’égorger des animaux qui ne font point de mal, car ils sont sensibles au mal et à la douleur comme nous. Bénies soient les nations qui les traitent favorablement et chaleureusement, qui compatissent à leurs misères, à leurs douleurs. Maudites soient les nations qui les traitent cruellement, qui les tyrannisent, qui aiment à répandre leur sang et sont avides de manger leurs chairs…
A cet instant une splendide mélodie venue du ciel nous fait lever les yeux. C’est alors que nous découvrons, tournoyant au-dessus du village, un immense vol de grues cendrées dont les roucoulements captent notre attention.
Georges Marbeck (levant un doigt au ciel): Vous voyez, vous avez été entendu! Bénies soient nos amies les grues dont l’appel venu des cieux nous enchante.
Nous éclatons d’un grand rire et notre entretien s’arrête, les yeux et les oreilles envahis par cette apparition céleste.
––––––––
*Toutes les paroles du curé Jean Meslier sont extraites, mots pour mots de ses écrits. Les Œuvres de Jean Meslier, Editions Anthropos, Paris 1972.
Georges Marbeck a collaboré à la revue Recherches avec Michel Foucault et Gilles Deleuze. Il est l’auteur de Hautefaye, l’année terrible (Robert Laffont). Il a aussi publié L’Orgie, voie du sacré, fait du prince, instinct de fête, ouvrage de référence.
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