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QUESTION AUX MÉDECINS

QUI PRATIQUENT LA CASTRATION CHIMIQUE

QUESTION AUX MÉDECINS

QUI PRATIQUENT LA CASTRATION

CHIMIQUE

Jenny Holzer.

“Le traitement médical pour diminuer la libido ne suffit pas

à résoudre le problème complexe de la récidive.”

“Le traitement médical pour diminuer la libido ne suffit pas à résoudre le problème complexe de la récidive.”

Le philosophe Ruwen Ogien nous prévient: la loi “tendant à amoindrir les risque de récidive criminelle”, votée en première lecture au Parlement en novembre 2009, adoptée par le Sénat le 25 février 2010, ouvre la voie au déni du secret médical, au chantage de la castration chimique et à la production judiciaire de “monstres irrécupérables”.

__________________

 

Selon certains principes dits d’éthique médicale, un médecin ne peut procéder à des actes portant atteinte à l’intégrité physique d’une personne si ce n’est au bénéfice de cette personne, et dans la mesure où elle y consent. Mais il ne peut pas le faire contre sa volonté, et pour le profit exclusif de la société. 

 

Les médecins n’électrocutent ni ne pendent. C’est pourquoi, dans les pays où la peine de mort n’a pas encore été abolie, et où ces principes sont respectés, les associations de médecins s’opposent généralement à la participation active de leurs membres aux pendaisons, électrocutions, strangulations, et autres formes d’exécution, qui ne sont pas vraiment des actes réclamés par un patient et visant son bien-être (1). 

Par ailleurs, les médecins sont tenus, depuis toujours, de respecter des règles de confidentialité, ce qu’on appelle le secret médical. 

Tous ces principes ont été violés en France, par la loi contre la récidive, promulguée en mars 2010 (2).

Selon cette loi, en effet, l’auteur d’un crime sexuel ne sera pas quitte de sa “dette envers la société”, même après avoir entièrement purgé sa peine. À sa sortie de prison, il devra accepter de se soumettre à un traitement hormonal inhibiteur de la libido dit de castration chimique, dont les effets secondaires ne sont pas mineurs, s’il veut éviter d’être réincarcéré ou placé en rétention de sûreté. 

Or seul un médecin pourra administrer le traitement. 

Son intervention directe ne se distinguera en rien de celle d’un praticien qui procède à un acte portant atteinte à l’intégrité d’une personne, non pour son propre bénéfice mais pour celui, supposé, de la société. 

De plus, si l’auteur de l’infraction sexuelle interrompt le traitement, ce médecin dit traitant sera tenu d’en informer un médecin dit coordonnateur, qui devra lui-même en informer un juge d’application des peines. On ne peut pas dire que le secret médical sera bien gardé dans ces conditions. 

Bien entendu, les défenseurs de cette loi refusent de considérer que la castration chimique soit un châtiment cruel ou inhumain. Ils affirment que ce traitement n’a rien à voir avec une amputation ou une castration physique, puisqu’il ne s’agit pas d’une intervention irréversible pratiquée contre la volonté du patient. Ils soutiennent qu’il n’y a pas de différence majeure entre cette intervention et l’injonction de soins aux condamnés pour usage de stupéfiants. Enfin, ils avancent l’exemple d’autres pays qui ne sont pas moins démocratiques que la France, et autorisent la castration chimique sous le même prétexte officiel, qui est de prévenir la récidive (3).

 

Le chantage de la castration ou la peine. Pourtant, on ne peut pas mettre sur le même plan les injonctions de soins aux condamnés pour usage de stupéfiants qui ne les privent d’aucune fonction physique importante et la castration chimique. 

Le but de cette dernière est précisément d’atteindre une de ces fonctions, puisqu’elle vise à neutraliser le désir sexuel à perpétuité, même si ce n’est pas de façon physiquement irréversible. 

Affirmer que la volonté du patient sera respectée dès lors que l’auteur de l’infraction sexuelle aura formellement demandé lui-même à suivre le traitement ressemble à une farce. Il ne faut pas perdre de vue que le choix proposé à l’auteur d’une infraction sexuelle en fin de peine n’est pas entre se soumettre à un traitement ou prendre le risque d’être réincarcéré s’il commet une faute, mais entre se soumettre à un traitement médical ou être réincarcéré d’office même s’il ne commet pas de faute. 

Alors que la volonté du patient est respectée dans le premier cas, elle ne l’est évidemment pas dans le second. C’est un chantage plus qu’une incitation aux soins.

Par ailleurs, aucun pays européen, à l’exception de la Pologne, n’impose la castration chimique contre la volonté de l’auteur de l’infraction sexuelle. Mais dans tous ceux qui l’autorisent ou envisagent de l’autoriser sous condition de consentement, elle est contestée par les organisations de défense des droits de l’homme (4).

 

Impossible retour à la vie normale. Quand on examine de près ces nouvelles dispositions pénales, on se demande bien d’ailleurs si elles visent vraiment à “amoindrir le risque de récidive criminelle”, comme elles le proclament pompeusement. 

On sait que le traitement médical pour diminuer la libido ne suffit pas à résoudre le problème complexe de la récidive. Certains auteurs d’infractions sexuelles ayant subi ce traitement en ont commis d’autres. Par ailleurs, on peut être exactement dans le même état libidinal qu’un auteur d’infraction sans passer à l’acte.

Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir une libido forte pour commettre ce genre d’infraction, et il ne suffit d’avoir une libido faible pour ne pas en commettre (5). 

 

Finalement tout, dans ces lois, contribue à rendre quasiment impossible le retour à une vie à peu près normale de l’auteur d’une infraction sexuelle. Il sera fiché, surveillé, humilié, considéré comme un monstre irrécupérable même après avoir purgé sa peine. Il sera jugé à la fois comme un malade définitivement incurable et comme une personne parfaitement responsable de ses actes, ce qui est une absurdité.

 

Indifférence générale. Jusqu’à présent, les médecins des sociétés démocratiques pouvaient aider la justice comme experts, soigner les condamnés pendant le temps d’exécution de leur peine, mais  ils ne pouvaient pas infliger eux-mêmes un châtiment, surtout pas ceux qu’on qualifie de cruels ou d’inhumains, comme l’amputation, la lapidation ou la castration. 

On laissait la confusion entre les fonctions de médecin et de bourreau aux sociétés non démocratiques. Ainsi, ce sont des médecins qui, sous le régime des Talibans en Afghanistan, amputaient les voleurs de la main (6).

Mais si la loi contre la récidive est appliquée en France, cela voudra dire que certains médecins devront agir comme des bourreaux dans une société démocratique. 

Même si cette loi permettait de réduire de façon significative le risque de récidive (ce que rien ne permet d’envisager sérieusement dans l’état présent de nos connaissances), les médecins auraient donc de bonnes raisons de refuser de l’appliquer. 

Il ne faudrait pas croire, en tout cas, que ce qui se met en place est un changement mineur, limité aux infractions sexuelles et justifié, au fond, par le caractère particulièrement odieux de certaines d’entre elles. Depuis une vingtaine d’années, les lois de contrôle de la délinquance sexuelle ont toujours servi de modèle  ou de laboratoire à l’ensemble des dispositions pénales (7). 

Avec la loi contre la récidive, le mouvement d’idées qui vise à substituer la notion de dangerosité à celle de culpabilité se renforce et se généralise, avec toutes les menaces qu’il contient pour les libertés individuelles (8).

Il est donc regrettable que cette loi ait été adoptée dans l’indifférence générale. ■

Le philosophe Ruwen Ogien nous prévient: la loi “tendant à amoindrir les risque de récidive criminelle”, votée en première lecture au Parlement en novembre 2009, adoptée par le Sénat le 25 février 2010, ouvre la voie au déni du secret médical, au chantage de la castration chimique et à la production judiciaire de “monstres irrécupérables”.

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Selon certains principes dits d’éthique médicale, un médecin ne peut procéder à des actes portant atteinte à l’intégrité physique d’une personne si ce n’est au bénéfice de cette personne, et dans la mesure où elle y consent. Mais il ne peut pas le faire contre sa volonté, et pour le profit exclusif de la société. 

 

Les médecins n’électrocutent ni ne pendent. C’est pourquoi, dans les pays où la peine de mort n’a pas encore été abolie, et où ces principes sont respectés, les associations de médecins s’opposent généralement à la participation active de leurs membres aux pendaisons, électrocutions, strangulations, et autres formes d’exécution, qui ne sont pas vraiment des actes réclamés par un patient et visant son bien-être (1). 

Par ailleurs, les médecins sont tenus, depuis toujours, de respecter des règles de confidentialité, ce qu’on appelle le secret médical. 

Tous ces principes ont été violés en France, par la loi contre la récidive, promulguée en mars 2010 (2).

Selon cette loi, en effet, l’auteur d’un crime sexuel ne sera pas quitte de sa “dette envers la société”, même après avoir entièrement purgé sa peine. À sa sortie de prison, il devra accepter de se soumettre à un traitement hormonal inhibiteur de la libido dit de castration chimique, dont les effets secondaires ne sont pas mineurs, s’il veut éviter d’être réincarcéré ou placé en rétention de sûreté. 

Or seul un médecin pourra administrer le traitement. 

Son intervention directe ne se distinguera en rien de celle d’un praticien qui procède à un acte portant atteinte à l’intégrité d’une personne, non pour son propre bénéfice mais pour celui, supposé, de la société. 

De plus, si l’auteur de l’infraction sexuelle interrompt le traitement, ce médecin dit traitant sera tenu d’en informer un médecin dit coordonnateur, qui devra lui-même en informer un juge d’application des peines. On ne peut pas dire que le secret médical sera bien gardé dans ces conditions. 

Bien entendu, les défenseurs de cette loi refusent de considérer que la castration chimique soit un châtiment cruel ou inhumain. Ils affirment que ce traitement n’a rien à voir avec une amputation ou une castration physique, puisqu’il ne s’agit pas d’une intervention irréversible pratiquée contre la volonté du patient. Ils soutiennent qu’il n’y a pas de différence majeure entre cette intervention et l’injonction de soins aux condamnés pour usage de stupéfiants. Enfin, ils avancent l’exemple d’autres pays qui ne sont pas moins démocratiques que la France, et autorisent la castration chimique sous le même prétexte officiel, qui est de prévenir la récidive (3).

 

Le chantage de la castration ou la peine. Pourtant, on ne peut pas mettre sur le même plan les injonctions de soins aux condamnés pour usage de stupéfiants qui ne les privent d’aucune fonction physique importante et la castration chimique. 

Le but de cette dernière est précisément d’atteindre une de ces fonctions, puisqu’elle vise à neutraliser le désir sexuel à perpétuité, même si ce n’est pas de façon physiquement irréversible. 

Affirmer que la volonté du patient sera respectée dès lors que l’auteur de l’infraction sexuelle aura formellement demandé lui-même à suivre le traitement ressemble à une farce. Il ne faut pas perdre de vue que le choix proposé à l’auteur d’une infraction sexuelle en fin de peine n’est pas entre se soumettre à un traitement ou prendre le risque d’être réincarcéré s’il commet une faute, mais entre se soumettre à un traitement médical ou être réincarcéré d’office même s’il ne commet pas de faute. 

Alors que la volonté du patient est respectée dans le premier cas, elle ne l’est évidemment pas dans le second. C’est un chantage plus qu’une incitation aux soins.

Par ailleurs, aucun pays européen, à l’exception de la Pologne, n’impose la castration chimique contre la volonté de l’auteur de l’infraction sexuelle. Mais dans tous ceux qui l’autorisent ou envisagent de l’autoriser sous condition de consentement, elle est contestée par les organisations de défense des droits de l’homme (4).

 

Impossible retour à la vie normale. Quand on examine de près ces nouvelles dispositions pénales, on se demande bien d’ailleurs si elles visent vraiment à “amoindrir le risque de récidive criminelle”, comme elles le proclament pompeusement. 

On sait que le traitement médical pour diminuer la libido ne suffit pas à résoudre le problème complexe de la récidive. Certains auteurs d’infractions sexuelles ayant subi ce traitement en ont commis d’autres. Par ailleurs, on peut être exactement dans le même état libidinal qu’un auteur d’infraction sans passer à l’acte.

Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir une libido forte pour commettre ce genre d’infraction, et il ne suffit d’avoir une libido faible pour ne pas en commettre (5). 

 

Finalement tout, dans ces lois, contribue à rendre quasiment impossible le retour à une vie à peu près normale de l’auteur d’une infraction sexuelle. Il sera fiché, surveillé, humilié, considéré comme un monstre irrécupérable même après avoir purgé sa peine. Il sera jugé à la fois comme un malade définitivement incurable et comme une personne parfaitement responsable de ses actes, ce qui est une absurdité.

 

Indifférence générale. Jusqu’à présent, les médecins des sociétés démocratiques pouvaient aider la justice comme experts, soigner les condamnés pendant le temps d’exécution de leur peine, mais  ils ne pouvaient pas infliger eux-mêmes un châtiment, surtout pas ceux qu’on qualifie de cruels ou d’inhumains, comme l’amputation, la lapidation ou la castration. 

On laissait la confusion entre les fonctions de médecin et de bourreau aux sociétés non démocratiques. Ainsi, ce sont des médecins qui, sous le régime des Talibans en Afghanistan, amputaient les voleurs de la main (6).

Mais si la loi contre la récidive est appliquée en France, cela voudra dire que certains médecins devront agir comme des bourreaux dans une société démocratique. 

Même si cette loi permettait de réduire de façon significative le risque de récidive (ce que rien ne permet d’envisager sérieusement dans l’état présent de nos connaissances), les médecins auraient donc de bonnes raisons de refuser de l’appliquer. 

Il ne faudrait pas croire, en tout cas, que ce qui se met en place est un changement mineur, limité aux infractions sexuelles et justifié, au fond, par le caractère particulièrement odieux de certaines d’entre elles. Depuis une vingtaine d’années, les lois de contrôle de la délinquance sexuelle ont toujours servi de modèle  ou de laboratoire à l’ensemble des dispositions pénales (7). 

Avec la loi contre la récidive, le mouvement d’idées qui vise à substituer la notion de dangerosité à celle de culpabilité se renforce et se généralise, avec toutes les menaces qu’il contient pour les libertés individuelles (8).

Il est donc regrettable que cette loi ait été adoptée dans l’indifférence générale. ■

 

(1) C’est, entre autres, la position officielle de l’American Medical Association (AMA) et d’autres associations de praticiens américains (les anesthésistes par exemple).

(2) Journal Officiel, 11 mars 2010.

(3) Rapport n°2007, de M. Jean-Paul Garraud sur le projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle, Assemblée nationale, 4 novembre 2009.

(4) Europeans Debate Castration of Sex Offenders, The New York Times, 10 mars 2009.

(5) Europeans Debate Castration of Sex Offenders, op. cit ; Xavier Lameyre, Les violences sexuelles, Les essentiels Milan, 2001, p. 52-57.

(6) Amnesty International a rapporté plusieurs cas dans lesquels des médecins accompagnaient les voleurs présumés jusqu’au lieu de l’exécution et leur sectionnaient la main à hauteur du poignet après anesthésie: Amnesty International, Atteintes flagrantes au droit à la vie et à la dignité de la personne humaine, 1er janvier 1998, ASA/11/03/98.

(7) Ce fut le cas du «suivi sociojudiciare», par exemple, Josefina Alvaro et Nathalie Gourmelon, La prise en charge pénitentiaire des auteurs d’agressions sexuelles, Paris, La documentation française, 2007, p. 163. 

(8) Mireille Delmas-Marty, Liberté et sûreté dans un monde dangereux, Le Seuil 2010. 

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